C’est une des causes de la rareté de dollars dans les banques
Devant une succursale de la Unibank à Lalue, Myriam s’adonne à un interminable aller-retour. Elle aborde chaque client dans la file pour leur demander de lui acheter 50 dollars, une fois à la caisse.
Depuis des semaines, les banques haïtiennes ne vendent que 50 dollars américains à un client lambda. Cette décision désespère Myriam qui doit trouver 2 000 dollars, pour faire marcher un petit commerce qu’elle tient dans la capitale.
Cette rareté du dollar sur le marché haïtien est due à une inadéquation entre l’offre du dollar et la demande de plus en plus croissante du billet vert.
Depuis septembre 2020, la Banque de la République d’Haïti a pris la décision d’exiger que tous les transferts soient payés en gourdes, au taux de référence. Ceci rend l’argent vert moins accessible au citoyen lambda.
Les banques et les entrepreneurs qui bénéficient de la mesure sur les importations stratégiques, achètent les dollars qu’injecte la BRH pour les revendre sur le marché noir.
Selon la circulaire 114-2 de la BRH, 30 % du montant des transferts en dollars sont gardés par la Banque centrale qui les injecte au moment opportun sur le marché. 30 % sont confiés aux maisons de transfert avec la possibilité que ces dollars soient vendus sur le marché informel et 40 % sont confiés aux banques commerciales. Ces institutions doivent normalement revendre ces dollars à ceux qui effectuent des « importations prioritaires » comme les produits de première nécessité, les produits pétroliers et les matériaux de construction.
La diaspora a transféré 2,97 milliards de dollars américains au pays entre octobre 2019 à septembre 2020. Trois économistes interrogés par AyiboPost révèlent que les banques et les entrepreneurs qui bénéficient de la mesure sur les importations stratégiques, achètent les dollars qu’injecte la BRH pour les revendre sur le marché noir. Ces professionnels réclament l’anonymat à cause de la sensibilité du sujet.
Un responsable de la BRH qui requiert l’anonymat, lui aussi, admet l’influence de spéculateurs sur le marché des changes. Ayibopost a contacté quatre cambistes opérant à Port-au-Prince et à Pétion-Ville. Ils ont tous confirmé l’existence de ces spéculateurs du dollar qu’ils nomment « contacts ». Selon eux, ce sont ces « gros bras » qui alimentent le marché noir en dollars, obtenus des banques commerciales.
Malversation bien établie
L’expérience de Jasmin peut bien illustrer la magouille. Ce propriétaire d’une station à essence dans la région métropolitaine de Port-au-Prince n’a pas besoin de dollars pour acheter du carburant chez les distributeurs, dévoile-t-il. Pourtant, grâce à son entreprise, Jasmin parvient à éviter le désagrément des banques quand il a besoin de dollars pour envoyer à sa femme et ses deux filles aux États-Unis d’Amérique.
« J’arrive à convertir facilement mes gourdes en les transférant sur le compte dollar de mon entreprise. Une fois transférées, je peux réaliser des retraits au nom de l’entreprise, pour régler des affaires personnelles ».
Pour l’heure, la BRH est à la recherche d’une stratégie pouvant stopper l’hémorragie du dollar dans les coffres des banques. Cependant, le cadre anonyme croit « qu’indexer les coupables » n’aidera pas à résoudre le problème.
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Outre le fait que l’économie du pays soit tournée vers l’importation qui nécessite l’utilisation du dollar, l’insécurité et les crises politiques poussent de plus en plus de parents haïtiens à revenu moyen à scolariser leurs enfants à l’étranger.
Ces deux phénomènes pèsent lourdement sur la demande de dollars, résume le directeur exécutif de l’Association des professionnels de la banque, Vladimir François.
Devant cette réalité, les sous-agents des bureaux de transfert avaient développé un stratagème dans le but de générer des profits, en se substituant aux bureaux de change. Ils contraignaient les clients à recevoir leurs transferts en gourdes, à un taux inférieur à celui des banques commerciales, afin de pouvoir revendre le billet vert aux demandeurs, à un prix plus élevé.
Contrôle serré
Selon Vladimir François de l’Association des Professionnelles de Banques, avec l’application de cette circulaire, la BRH contrôle le dollar. Depuis l’adoption de cette mesure, ce sont aussi les gros bonnets qui arrivent à trouver le billet vert, pour en faire la revente au prix fort ou pour les activités d’importation.
Avec ce contrôle rigoureux de la BRH, on ne peut prévoir que des conséquences néfastes pour le marché informel, analyse Vladimir François.
Ainsi, il n’y a pas beaucoup de façons d’acquérir le dollar. « Soit vous l’obtenez d’un membre de la diaspora qui rentre au pays, soit vous demandez à un proche aux États-Unis d’effectuer un dépôt en dollars sur votre compte, depuis les États-Unis », dit Vladimir François.
En attendant la résolution de ce problème, ce sont les citoyens à faible et revenus moyens qui en paient les frais.
« Le problème c’est que la banque centrale ne peut pas contrôler les activités des banques commerciales. Cela crée un marché asymétrique apte à la tentation et la magouille », dit l’un des économistes.
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À Gressier, Lenes est lui aussi en difficulté pour trouver des dollars. Il tient un dépôt de provisions alimentaires. Le grossiste auprès duquel il s’approvisionne réclame le paiement en dollars américains.
Face au caprice des banques commerciales, ce père de trois enfants est obligé de s’alimenter sur le marché informel. « Le taux de référence de la BRH est de 73 gourdes, mais je suis contraint à acheter un dollar à 85 gourdes », gronde l’homme qui voit ainsi diminuer ses bénéfices.
Par ailleurs, l’importateur avec qui Lenes fait affaire n’avait nullement besoin de lui exiger des dollars, puisqu’il peut lui-même s’en procurer facilement auprès des banques.
Rareté asymétrique
En attendant la résolution de ce problème, ce sont les citoyens à faible et revenus moyens qui en paient les frais. Emmanuel Moise Yves est journaliste à AyiboPost. Il a pour habitude tous les mois de convertir son salaire en dollars, au taux du jour et d’en faire le dépôt sur son compte.
Pendant ce mois de janvier 2021, il a été déçu d’apprendre que sa banque ne voulait plus convertir des gourdes en dollars. « On m’a dit que je ne pouvais acheter que 50 dollars et les déposer sur le compte, puis partir avec les gourdes qui me restaient », dit le journaliste.
Ronald aussi a eu droit à une douche froide en décembre dernier. Comme Emmanuel, ce comptable optait pour économiser son argent en dollars, afin de parer l’instabilité de la gourde. « J’ai voulu convertir 50 000 gourdes et les déposer sur mon compte en dollars. La caissière m’a demandé si j’avais perdu la tête », lance Ronald.
Même Wendy, un cadre de la banque centrale, a subi cette fâcheuse expérience. Il a dû acquérir le dollar d’un « cambiste » à 86 gourdes. Le taux de référence de la BRH tourne autour de 70 gourdes.
Samuel Celiné
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