Il est difficile d’avoir accès aux cimetières ou d’acheter les produits nécessaires aux dévotions dans certains pays
Étienne Senatus vit en Guadeloupe depuis 2010. Il est vodouisant, comme son père et sa mère. Il a quitté Haïti pour s’installer dans ce département d’outre-mer français afin d’être plus proche de son dernier enfant, et de la mère de celui-ci. Le vodou, il le traîne derrière lui, parce que c’est tout ce qu’il connaît. C’est sa foi.
« Je suis né dans une famille de vodouisants, dit-il. Mon père et mon grand-père étaient hougans. J’ai deux frères du côté de ma mère, nous nous adonnons uniquement au vodou en tant que guérisseurs. »
Comme Senatus, Riva Precil, chanteuse établie à New York, a gardé son attachement à la culture de ses parents. Elle est née aux États-Unis, de mère américaine et de père haïtien. C’est en Haïti que la chanteuse a grandi, depuis l’âge de cinq ans, jusqu’à son départ pour son pays natal en 2004. Mais le vodou, Riva Precil l’a aussi dans le sang. Sa mère l’emmenait souvent dans des cérémonies dans son enfance, et le goût lui en est resté. Aujourd’hui, elle chante les loas et poursuit sa route d’initiée.
Precil et Senatus font partie de ces Haïtiens qui ont quitté le pays, mais qui n’ont pas renoncé à leurs traditions, au mode de vie vodou qu’ils ont toujours connu. Même si professer leur foi n’est pas toujours simple à l’étranger, loin de leur terre natale, ils essaient chaque jour de pratiquer leur culture.
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Erol Josué, hougan, chanteur, et directeur du Bureau national d’ethnologie a vécu 23 ans à l’étranger, entre la France et les États-Unis. Pour lui, il est normal que les vodouisants en dehors du pays restent attachés à leur culture, parce que c’est cela qui les définit en tant que personne. « Quand ces Haïtiens sont à l’étranger, ils ont parfois besoin de ressentir leurs racines ; ils ont besoin d’ancrage. La culture qui les accueille est vaste, mais ils veulent sentir un attachement plus profond encore. »
Le vodou haïtien a ses rituels, ses pratiques, ses jours sacrés. Un adepte, en fonction du rite qu’il pratique, ou des divinités qu’il sert, doit respecter certaines exigences propres à ces rites ou divinités. Certaines dates, comme les 1er et 2 novembre, sont l’occasion pour les pratiquants de commémorer leurs morts. En Haïti, les cimetières ne désemplissent pas durant cette période. Mais dans certains pays, cela est plus compliqué. « Aux États-Unis, par exemple un cimetière est un lieu de recueillement, observe Erol Josué. Mais en Haïti, il est aussi un lieu festif, surtout lors de certaines cérémonies. Parfois, on est obligés de rentrer en Haïti pour certaines dévotions. À l’étranger, les cérémonies sont plus symboliques. »
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Riva Precil révèle aussi qu’elle est obligée de rentrer en Haïti pour certaines dévotions. Elle ne veut pas se résigner aux limitations qu’impose sa vie loin du pays. « Honnêtement, chaque nouvelle journée qui passe, et qui me voit en dehors d’Haïti, n’est pas une journée idéale. Toute l’énergie, la beauté, la magie, c’est en Haïti », déclare la chanteuse.
Les limitations se font encore plus sentir quand il faut se procurer des produits qui ne sont pas disponibles là où elle se trouve. « Parfois, nous avons besoin de choses qui viennent spécifiquement d’Haïti. D’autres fois, c’est un peu de terre qu’il nous faut, alors quelqu’un doit nous l’apporter. Mais, il y a aussi heureusement des marchés haïtiens ici, où on peut trouver beaucoup parmi ce dont on a besoin. » Erol Josué confirme qu’en Amérique ou en Europe, certains éléments indispensables sont difficiles à se procurer.
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Etre vodouisant c’est aussi faire un avec la nature et ce n’est pas toujours possible. Cela peut dépendre de la météo, reconnaît Precil, surtout s’il neige.
Les vodouisants haïtiens ont à cœur de respecter les lois de la société qui les accueillent. Il s’agit de respecter l’ordre établi. Les cérémonies vodou sont en général très arrosées. L’alcool coule à flots. Selon Erol Josué, c’est tout un défi de gérer quelques dérives qui peuvent en découler. « L’important est de comprendre qu’on doit respecter l’ordre établi, et qu’il faut une politique de bon voisinage pour ne pas déranger les gens qui habitent tout près », explique le directeur du BNE.
La clé est de s’organiser, mais aussi d’avoir l’autorisation des autorités pour organiser des évènements ou tout simplement déclarer ses activités. Certaines dévotions ne peuvent pas se faire sans l’accompagnement de la police. « J’organisais par exemple des processions pour Erzulie, et des policiers nous accompagnaient, explique Josué. Mais en réalité, dans la ville de New York, qui est très cosmopolite, c’est plus facile. Je faisais partie d’une association appelée Interfaith Center, qui réunissait des responsables parmi toutes les religions qu’on trouvait à New York. J’étais le représentant d’Haïti. »
Dans les territoires d’outremer de la France, Etienne Senatus a dû obtenir une autorisation aussi. « Il faut déclarer son activité. On se rend à la chambre de commerce, et l’on vous donne une liste de documents à fournir. »
Mais Senatus n’organise pas de grandes cérémonies. Il préfère se rendre en Haïti. C’est pour cela qu’il a par la suite renoncé à une licence de fonctionnement qu’on lui avait octroyée. Cette « autorisation » venait avec des impôts à payer. « Je me suis rendu compte que je n’aurais pas dû me déclarer, regrette le vodouisant. D’autres hougans qui ont de plus grands espaces que moi, doivent se déclarer. »
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En Haïti, le vodou reprend du poil de la bête, notamment grâce aux avancées des nouvelles technologies. De plus en plus de jeunes semblent s’intéresser à une religion qui a subi des persécutions dans le temps. L’Église catholique, puis les protestants, ont à plusieurs reprises saccagé des temples vodous, qu’ils associent au culte du diable.
À l’étranger, la pratique est parfois victime des clichés hollywoodiens qui la résument aux zombies et à la magie noire. Selon Laënnec Hurbon, dans son article, Le statut du vodou et l’histoire de l’anthropologie, les représentations du vodou diffèrent selon les pays. Aux États-Unis par exemple, « le vodou est donné dans la presse comme la clé du sous-développement d’Haïti et la source des gouvernements despotiques que le pays a connus pendant les deux derniers siècles ». Et en Europe, « il faut encore régulièrement et sans cesse démontrer que le vodou, venu d’Afrique, n’est pas une mosaïque de rites magiques et de sorcellerie qui font des Haïtiens un peuple-enfant, et qui ramène à l’enfance de l’humanité. »
Mais là aussi, les lignes semblent bouger, analyse Erol Josué. « Moi je privilégie la médecine traditionnelle. J’utilise des feuilles et d’autres produits pour prendre soin des gens. Mais en même temps, j’étais dans un pays qui considère les soins hospitaliers comme prioritaires. Quand même, à l’hôpital universitaire de Boston, il y avait un groupe appelé Healing Landscape. On y avait réuni des représentants de différentes communautés de Cuba, d’Haïti ou d’Afrique, pour comprendre la médecine traditionnelle de ces pays, afin de mieux savoir comment prendre en charge des patients qui font partie de ces communautés. »
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Mais cette tolérance n’est pas la même partout. Ils sont encore nombreux ceux qui ne comprennent pas le vodou. Cela conduit parfois à le pratiquer dans le secret, autant que possible. C’est ce qu’explique E. S., un adepte du vodou qui vit en Guadeloupe. Il demande l’anonymat parce que ses papiers ne sont pas encore en règle. Il a été initié à cette pratique spirituelle à dix-huit ans. « Il y a des Haïtiens qui pratiquent le vodou en Guadeloupe, mais ils sont cachés, dit E. S.. Lorsque je suis arrivé ici, j’ai effectué des recherches pour trouver une communauté de vodouisants. Je n’en ai pas trouvé. Puis progressivement, j’ai commencé à côtoyer des Haïtiens pratiquants. Parfois, on m’invite à une cérémonie, et je vois qu’il y a un Guadeloupéen. Alors tout le monde s’interroge sur sa présence, se demandant comment connaît-il l’existence du groupe. C’est un cercle très fermé », confie-t-il.
Selon E. S., cela s’explique par deux raisons. Premièrement, la majeure partie des vodouisants haïtiens qui vivent en Guadeloupe sont issus des villes de province, et sont plus viscéralement attachés à ce culte qu’ils gardent entre eux. « Moi je viens de Port-au-Prince, dit E. S. Je suis plus enclin à partager mes connaissances. Ce n’est pas toujours la même chose dans d’autres régions du pays. »
Deuxièmement, le vodou hérite d’une mauvaise perception. « Les colons se sont assurés d’en donner une mauvaise image, pour empêcher que les gens se l’approprient », croit E. S. Et tout cela peut compliquer la vie des vodouisants loin d’Haïti.
Pour l’anthropologue et professeur à l’université Emmanuel Stephan Laurent, la représentation du vodou dans la culture populaire n’aide pas non plus à redorer son blason. Qu’il s’agisse de cinéma, ou de musique ou même dans les livres d’histoire, le vodou est souvent dépeint comme une mauvaise pratique.
Pour le chercheur, c’est surtout le sujet de la zombification qui est représenté dans la culture populaire, en particulier dans le cinéma. Toujours selon lui, c’est la manière dont cette dernière sera décrite dans le cinéma qui bâtira les clichés que nous lui connaissons aujourd’hui.
« C’est avec l’occupation américaine en 1915 qu’on va avoir les premières références au vodou dans le cinéma, déclare Emmanuel Stephan Laurent. L’une des personnalités à avoir donné le ton sur le sujet est l’auteur américain William C. Brooke. Il écrira un livre qu’il appellera l’île magique, dans lequel il décrit le vodou comme une religion anthropophage, cannibale et affirme avoir été en contact avec un véritable zombi. Ce livre aura un impact tel qu’il inspirera l’une des vidéos les plus célèbres de l’histoire, celle de thriller du célèbre chanteur Michael Jackson. »
La photo de couverture est de Pierre Michel Jean pour Visit Haiti.
Ce texte rentre dans le cadre de l’exploration d’AyiboPost sur la migration Haïtienne. Cliquez ICI pour lire les reportages, les tribunes d’experts et regarder les documentaires.
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