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Trois Haïtiens menacés par des militaires étrangers dans la baie de P-au-P

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Cet incident se déroule dans un contexte où l’État haïtien communique peu sur les missions d’étrangers dans les eaux nationales

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Une demi-douzaine de militaires à bord d’une petite embarcation ont braqué leurs armes sur les trois occupants d’un canot de Petit-Goâve, se rendant à la Gonâve, dans la baie de Port-au-Prince, à la fin du mois de mars 2024, selon des témoins.

«Ils m’ont ordonné de vider les valises, d’éteindre les moteurs et ensuite de faire demi-tour, ce que j’ai fait», rapporte à AyiboPost Jean Robert Cinéus, un des occupants du canot de Petit-Goâve.

L’embarcation des militaires provenait d’un détachement français venu évacuer des ressortissants européens, selon Gilbert Guichard, un inspecteur des garde-côtes.

Ils m’ont ordonné de vider les valises, d’éteindre les moteurs et ensuite de faire demi-tour, ce que j’ai fait.

Jean Robert Cinéus

Plus de 170 Français et près de 70 ressortissants européens et d’États tiers ont pu quitter Haïti, avait annoncé le ministère des Affaires étrangères de la France le mercredi 27 mars 2024.

«Les navires de guerre redoutent généralement l’intervention de petites embarcations étrangères dans leurs parages», analyse Guichard en réaction aux allégations d’agression portées par Jean-Robert Cinéus.

Questionné sur l’incident, Cinéus déclare avoir été «traumatisé». «Je voyageais sur mon propre territoire, dit-il. C’est pour moi une terrible humiliation».

Contactée par AyiboPost, l’Ambassade de France en Haïti n’a pas fait de commentaires.

Cet incident se déroule dans un contexte où l’État haïtien communique peu sur les missions d’étrangers dans les eaux du pays. Ce manque de transparence alimente des thèses conspirationnistes.

«Personne ne nous informe de la présence de ces bateaux. Et parfois, nous prenons peur», raconte à AyiboPost Petit-Homme Missondor, un originaire de la Gonâve.

Il révèle constater régulièrement des embarcations étrangères au large de l’île.

«Je pense que ces bateaux étrangers profitent de ces patrouilles pour exploiter les ressources du pays», dit Missondor.

Aucune preuve d’exploitation illégale en mer des mines du pays par des étrangers n’existe.

La plupart de ces bateaux viennent pêcher illégalement en Haïti.

D’autres trafiquent de la drogue.

Lire aussi : Des pirates viennent pêcher illégalement en Haïti

Mais des contrats de coopération maritime peu connus existent entre l’État haïtien et des pays étrangers.

Les États-Unis coopèrent étroitement avec Haïti sur les questions de surveillance maritime.

«Il n’existe aucun accord, passé, présent ou prévu, pour céder une partie des eaux haïtiennes aux États-Unis», maintient à AyiboPost l’ambassade de ce pays en Haïti.

Néanmoins, des bateaux américains patrouillent les eaux haïtiennes pour lutter contre l’immigration illégale et endiguer le trafic illicite.

En mai 2024, le gouvernement américain, via l’ambassade américaine, a signalé au Service Maritime et de Navigation d’Haïti (SEMANAH) la venue d’un patrouilleur de la marine américaine dans la baie de Port-au-Prince et le golfe de la Gonâve pour contrôler les embarcations qui y entrent et sortent.

Lire aussi : C’est la marine américaine qui surveille la majorité des eaux territoriales haïtiennes

Selon un accord du 17 octobre 1997 signé entre Haïti et les USA pour combattre le trafic illicite de drogue en milieu marin, la présence d’un agent haïtien reste nécessaire pour ces exercices.

«Dans un premier temps, le commandement de ce patrouilleur américain a requis la présence d’un garde-côte à bord tout le long de leurs activités, renseigne Guichard. Dans un deuxième temps, ils n’ont pas requis la présence de celui-ci.»

Selon Gilbert Guichard, les bateaux américains sont pratiquement présents 24 heures sur 24 dans la zone qui comprend la baie de Caracol et le Môle Saint-Nicolas.

Les États-Unis viennent également en aide au SEMANAH, qui, avec les garde-côtes, devrait assurer la surveillance du trafic maritime en Haïti.

Il n’existe aucun accord, passé, présent ou prévu, pour céder une partie des eaux haïtiennes aux États-Unis.

Après le tremblement de terre, les garde-côtes avaient reçu en cadeau cinq bateaux de la coopération canadienne.

Ces engins sont aujourd’hui en fin de vie. Seulement trois fonctionnent difficilement, révèle à AyiboPost un haut placé de l’institution.

Les USA aidaient à acheter les pièces pour les réparer, mais elles coûtent tellement cher que ce pays avait promis d’aider à l’achat de nouveaux bateaux.

Les Haïtiens attendent ces bateaux depuis janvier.

Lire aussi : Les gangs multiplient les attaques contre les bateaux au large de Port-au-Prince

Parallèlement, les bandits du pays prennent la mer comme terrain d’activités, transportant de la drogue et attaquant marchands et passagers.

Alertés sur une présence suspecte dans la baie de Port-au-Prince à la fin du mois de janvier 2024, plusieurs garde-côtes ont découvert et échangé des tirs avec six bandits à bord d’un bateau rempli d’armes, selon un haut cadre de l’institution qui demande l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Quatre des bandits ont été tués et les deux autres ont réussi à s’échapper, selon la source.

Par Junior Legrand et Widlore Mérancourt

Image de couverture : Un garçon haïtien observe des marins américains à bord de bateaux pneumatiques. 19 janvier 2010. | AFP PHOTO/US NAVY/Kristopher Wilson


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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