SOCIÉTÉ

Des écoles techniques et professionnelles en Haïti exploitent leurs étudiants

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Non régulées, la plupart des écoles professionnelles multiplient les stratégies pour extraire de fortes sommes des étudiants

Frais de graduations exorbitants, montants onéreux demandés pour des séminaires… les stratégies utilisées par les écoles techniques et professionnelles en Haïti pour remplir leurs poches aux dépens de jeunes assoiffés d’opportunités sont multiples.

La pratique demeure non réprimée par l’État alors que, beaucoup de ces écoles en Haïti ne sont pas reconnues par les autorités éducatives.

Berline se retrouve parmi les victimes de cette pratique. La jeune dame a intégré en septembre 2022 Nath Make-up, une école professionnelle de la commune de Tabarre. L’institution offre des cours techniques dans ce domaine pendant trois mois.

La pratique demeure non réprimée par l’État.

À la fin du cursus, Berline apprend qu’elle doit verser 200 dollars américains, soit environ 32 000 gourdes, pour prendre part à la remise des diplômes. « Les étudiants qui ne voulaient pas participer à la cérémonie ont été contraints de payer le même montant pour avoir leur diplôme », dit Berline.

Ce frais « caché » s’ajoute aux 4 000 gourdes payées mensuellement pour la formation à Nath Make-up école professionnelle. Selon Yves Villefranche, directeur des opérations au sein de l’Institut national de la formation professionnelle (INFP) qui coordonne et régule l’enseignement technique et professionnel en Haïti, cette école ne fait pas partie des établissements reconnus.

Marjorie Denozil n’avait pas non plus été informée que sa petite sœur allait devoir verser 250 dollars américains pour sa graduation. Sa sœur avait bénéficié d’une bourse d’étude en informatique bureautique chez Séide Professionnel School (SPS) située à Delmas 40. Selon des informations recueillies par AyiboPost, cette école n’est pas reconnue par l’INFP.

Ces frais représentent une manne pour certaines écoles professionnelles.

Le recours abusif aux graduations a été interdit au niveau du préscolaire et dans les classes intermédiaires du fondamental et du secondaire en octobre 2014. Cependant, certaines écoles continuent d’exiger des parents des frais pour des « fêtes de fin d’années » qui s’apparentent aux graduations.

« Ces frais représentent une manne pour certaines écoles professionnelles », reconnaît Yves Villefranche, directeur des opérations à l’INFP.

Direction déconcentrée du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), l’INFP se trouve incapable d’agir. La législation actuelle qui devrait réguler la formation professionnelle est muette sur l’organisation des graduations dans les écoles professionnelles.

La législation actuelle qui devrait réguler la formation professionnelle est muette […]

Le projet de loi de 2014 portant sur la réorganisation et la modernisation de la formation technique et professionnelle dans le pays rend l’INFP responsable de la délivrance des diplômes.

Selon l’article 3 de ce texte de loi : « L’INFP est chargé de l’accréditation et du contrôle des institutions de formation technique et professionnelle ainsi que de l’élaboration des programmes standards de formation technique et professionnelle. II œuvre conjointement avec les instances compétentes du Ministère à l’organisation des épreuves en vue de la délivrance des diplômes d’État. »

Mais, ce texte attend sa validation par le Sénat après avoir été voté à la chambre des députés en 2017.

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Deux autres écoles « non reconnues par l’INFP » contactées pour cet article, l’Institut Francophone de Journalisme (IFJ) et le Centre de recherches école professionnel (CREP), demandent une somme annoncée dès l’inscription pour les graduations.

Le recours à l’organisation de séminaires à des frais « exorbitants » fait partie des méthodes utilisées…

Pour graduer à l’IFJ, il faut 25 000 gourdes pour les étudiants en journalisme et 12 500 gourdes pour les initiés à l’informatique.

Au CREP, l’étudiant verse 15 000 gourdes pour la cérémonie. « L’étudiant qui ne souhaite pas graduer paie à la direction 1 500 gourdes pour récupérer son diplôme sans être contraint de payer les frais requis pour la graduation », déclare Claudy Barthold, directeur de l’institution.

Plus loin, monsieur Barthold avoue que l’accréditation du CREP par l’INFP est en cours. « Le CREP a déjà soumis l’ensemble des documents requis à l’INFP », dit-il.

Le recours à l’organisation de séminaires à des frais « exorbitants » fait partie des méthodes utilisées par les écoles professionnelles pour s’enrichir.

Les étudiants de l’Unity school of business (USB) par exemple, doivent suivre au moins deux séminaires payants pour compléter leur formation, rapporte une source au sein de la direction de cette école. Une étudiante de la promotion 2019-2021 rapporte avoir versé 140 dollars américains pour ces séminaires.

Panneau publicitaire de Unity school of business (USB) | © Jean Feguens Regala

Selon Yves Villefranche, l’INFP n’a pas le plein contrôle sur ces activités génératrices de revenus dans les écoles techniques et professionnelles en Haïti.

Les activités non déclarées ne sont pas les seuls problèmes rencontrés par les étudiants de certaines écoles professionnelles en Haïti. Selon les données fournies à AyiboPost, l’INFP ne reconnaît que 212 écoles techniques et professionnelles sur l’ensemble du territoire.

La formation, et aussi les diplômes délivrés par les autres entités non figurées sur la liste de l’INFP sont donc « sans valeur », rapporte Yves Villefranche de l’institution régulatrice.

L’INFP n’a pas le plein contrôle sur ces activités génératrices de revenus.

Le processus d’accréditation des écoles techniques et professionnelles auprès de l’INFP requiert la validation du programme d’études, des professeurs qualifiés et un espace adapté pour livrer l’enseignement.

Des étudiants formés dans les écoles techniques et professionnelles non reconnues en Haïti et qui émigrent au Canada, se trouvent régulièrement confrontés à des problèmes pour « légaliser » leur diplôme, informe Yves Villefranche.

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Non accréditation par l’INFP ne veut pas dire illégale. La plupart des institutions non reconnues détiennent à la fois « une patente de la Direction générale des Impôts (DGI) et du ministère du Commerce et de l’Industrie les autorisant à fonctionner dans le pays », souligne Yves Villefranche.

Certaines de ces écoles sont régulièrement fermées par l’État selon le directeur. Cependant, Villefranche n’a pas fourni d’exemples concrets.

Emmanuel Moïse Yves

Photo de couverture : graduation des étudiants de la promotion « Optimiste » de l’IFJ, dimanche 26 fevrier 2023. | © IFJ/Facebook Page


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Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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