Les attaques des gangs de février 2024, à Port-au-Prince, ont mis hors service onze des 32 sites du réseau UGP-MSPP/PEPFAR fournissant des soins vitaux liés aux VIH-SIDA, apprend AyiboPost d’une source médicale
La dame séropositive de 41 ans a fui précipitamment Canaan en septembre 2023. Le chef de gang Jeff (Kanaran) Larose contrôlait la zone où elle vivait depuis une dizaine d’années.
«Je n’ai pu emporter que mes pièces d’identité, quelques vêtements et un sac à dos», a déclaré à AyiboPost la professionnelle en carrelage et vendeuse de produits de beauté.
Hébergée temporairement à Delmas dans les locaux de «Gipa Network Haïti», une association à but non lucratif dédiée à la promotion des droits des personnes séropositives, cette mère de cinq enfants, dont quatre sont également séropositifs, y a retrouvé des médicaments pour prendre soin d’elle-même et de ses enfants.
Des centaines, voire des milliers, d’autres citoyens séropositifs ayant fui la violence des gangs n’ont pas cette chance, révelènt à AyiboPost plusieurs professionnels de la santé. La dame affirme connaître personnellement d’autres personnes séropositives qui dorment dans les rues et rencontrent de grandes difficultés à continuer de s’approvisionner en médicaments.
Je n’ai pu emporter que mes pièces d’identité, quelques vêtements et un sac à dos.
Exprimant son désarroi, elle déclare, le regard fuyant : «Je me sens triste et coupable, car je n’ai nulle part où aller, et je porte le poids d’avoir des enfants qui n’ont pas choisi de vivre cette situation.»
Les attaques des gangs de février 2024, à Port-au-Prince, ont mis hors service onze des 32 sites du réseau UGP-MSPP/PEPFAR fournissant des soins vitaux liés aux VIH-SIDA, apprend AyiboPost d’une source médicale.
Le contexte précaire de ces «sites en crise» suscite de grandes craintes quant à une augmentation des nouveaux cas d’infection dans les jours à venir, mettant au péril «des progrès significatifs» dans la lutte contre le VIH en Haïti — où les nouvelles infections et les décès liés à la maladie ont été réduits, respectivement, de 21 % puis 75 % entre 2010 à 2022.
Selon un communiqué du 1er décembre 2023, du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), la prévalence du VIH était estimée à 1,7 % parmi les adultes de 15 à 49 ans.
Depuis fin février 2024, les gangs attaquent, pillent, brûlent et maintiennent la pression sur diverses institutions du centre métropolitain de Port-au-Prince, y compris les hôpitaux.
Le contexte précaire de ces «sites en crise» suscite de grandes craintes quant à une augmentation des nouveaux cas d’infection dans les jours à venir.
À l’arrêt depuis mars dernier, les patients et le personnel de l’Hôpital universitaire de l’État d’Haïti (HUEH) ont déserté l’espace aux alentours de la rue Monseigneur Guilloux, contrôlée par des bandits.
Ainsi, le dysfonctionnement du site de suivi VIH qui s’y trouve oblige certains patients séropositifs à poursuivre leur traitement à l’Hôpital universitaire La Paix de Delmas 33 ou dans un nouveau local, à Turgeau.
Lire aussi : Haïti : les hôpitaux dépasssés par les évènements
L’hôpital universitaire La Paix, hébergeant un site de prestation de service lié au VIH pour des centaines de patients séropositifs, dont 93 enfants, perd de vue ces personnes durant la flambée de la violence des gangs.
«Dans notre site, le nombre des patients perdus de vue s’élève à environ 120 personnes, parmi lesquelles figurent deux enfants», explique à AyiboPost un des médecins responsables des maladies infectieuses à l’Hôpital La Paix.
Durant les périodes troubles, trois patients séropositifs de l’hôpital ont été assassinés. Deux autres sont morts par suite d’une rupture de traitement à cause de leur déplacement hors de Port-au-Prince, selon les responsables.
La plupart des patients provenant généralement de zones comme Carrefour, Gressier Tabarre, Bon-Repos, Sarthe, Cabaret, Arcahaie, Saint-Marc, Cap-Haïtien, Jacmel, ne peuvent plus fréquenter l’hôpital pour s’approvisionner en médicaments.
Dans notre site, le nombre des patients perdus de vue s’élève à environ 120 personnes, parmi lesquelles figurent deux enfants.
À la Croix-des-Bouquets, plusieurs maisons de patients étaient abandonnées lorsque des agents de santé se sont rendus sur les lieux, pour essayer de leur fournir en médicaments.
Contraints de quitter chez eux, certains malades se sont rendus dans des villes de province, en République Dominicaine ou aux États-Unis d’Amérique.
À cause de la fermeture d’un site du centre Gheskio et de l’Hôpital universitaire de l’État d’Haïti (HUEH), l’Hôpital La Paix reçoit une dizaine de ces patients en moyenne par semaine, pour les orienter vers des prestataires de médicaments à proximité.
Le 4 mars dernier, des actes de vandalisme suivis de pillages ont été perpétrés dans l’enceinte de l’hôpital Saint-François de Sales, à la rue Chareron.
L’hôpital Sanatorium de Carrefour-Feuilles, quant à lui, est fermé depuis l’offensive sanglante du gang de Grand Ravin sur la population de Carrefour-Feuille, en août 2023.
Lire aussi : Carrefour-Feuilles : l’hôpital Sanatorium cherche refuge pour les tuberculeux éparpillés
L’insécurité affecte également d’autres centres hospitaliers de l’aire métropolitaine tels que l’hôpital communautaire de référence de Bon Repos (HCR – Croix des Bouquets), l’hôpital Dr Ary Bordes de Beudet et les Centre de santé de la Croix-des-Missions.
Ayant subi des actes de vandalisme en février 2023, le site du HCR de Bon-Repos, zone asphyxiée par le gang de Canaan emmené par le dénommé Jeff, coopérait avec le centre de la Croix-des-Missions pour poursuivre ses activités, par moment.
Mais en janvier 2024, l’institution a été obligée de fusionner avec le Centre de Santé de la Croix-des-Missions, vu la situation à Bon-Repos.
Contraints de quitter chez eux, certains malades se sont rendus dans des villes de province, en République Dominicaine ou aux États-Unis d’Amérique.
Aujourd’hui, le site de la Croix-des-Missions demeure impénétrable à cause de l’érection de barricades et de l’insécurité.
Ce qui contraint une nouvelle fois les responsables à ouvrir un site satellite à Caradeux pour continuer l’assistance des patients séropositifs en dépit des embûches.
«Actuellement, le problème majeur consiste à trouver les patients, car beaucoup se sont déplacés à cause de l’insécurité», exprime un responsable de l’HCR de Bon-Repos fusionné avec le centre de la Croix des Missions.
Les deux centres qui comptent respectivement 624 et 334 patients concernés par le VIH, en reçoivent «une cinquantaine par mois pour les visites de suivis, durant cette période de crise», poursuit à AyiboPost la médecin responsable du site. Ce qui diffère des périodes normales où l’établissement accueillait cette quantité au cours d’une journée.
Lire aussi : Haïti en danger : l’insécurité pousse les médecins spécialisés à quitter le pays
L’insécurité régnant à la Croix-des-Bouquets depuis cinq ans environ terrasse les institutions hospitalières dans la zone. Les habitants désertent l’endroit contrôlé par le gang «400 Mawozo», dirigé par le caïd Wilson Joseph, alias Lanmò San Jou.
La majeure partie des patients du centre de santé de la zone ont fui après que l’espace a été vandalisé, en 2022.
«Cela entraîne le ralentissement de nos activités de prise en charge des patients séropositifs, car nous ne pouvons pas les rejoindre dans certaines zones», témoigne un responsable du programme VIH du centre de santé Croix-des-Bouquets. Il demande l’anonymat parce qu’il n’est pas autorisé à prendre la parole au nom de l’institution.
Pour ce site de plus d’une centaine de patients dont le «fonctionnement dépend du climat sécuritaire de la zone», la diminution de l’affluence est alarmante.
«Nous avons enregistré une baisse de plus de 50 % de la fréquentation du site », poursuit le médecin qui souligne également que ces patients en rupture de traitement peuvent devenir un vecteur de transmission.
Actuellement, le problème majeur consiste à trouver les patients, car beaucoup se sont déplacés à cause de l’insécurité.
Le plus important site du réseau du Groupe haïtien d’étude du syndrome de Kaposi et des infections opportunistes (GHESKIO), situé au Bicentenaire, est fermé depuis l’enlèvement contre rançon du docteur Douglas Pape, fils du médecin cofondateur du centre, William Pape.
Le centre Gheskio, l’un des plus grands réseaux de suivi VIH, avec plus de 20 000 patients, affronte aussi le problème d’abandon de traitement dans ses différents sites.
«Les patients perdus de vue ou déplacés vers les provinces s’évaluent à 3 000», informe le docteur Bernard Liautaud, l’un des membres fondateurs du centre.
Malgré la situation, les activités du Gheskio continuent à travers d’autres espaces situés à Carrefour, l’Hôpital Militaire, la Ruelle Berne, etc.
Vu l’insécurité grandissante, le personnel du site de Gheskio au Bicentenaire a été relogé dans un nouveau site, l’Institut des maladies infectieuses et Santé reproductive (IMIS), situé sur la route de Tabarre à Chateaublond.
Les patients perdus de vue ou déplacés vers les provinces s’évaluent à 3 000.
La situation du pays pressure le personnel médical.
«Pour évoluer dans un contexte pareil, cela demande de la volonté, car les employés habitent, eux aussi, dans les zones à risque», évoque le médecin de l’Hôpital La Paix.
Les suivis avec ces patients continuent à travers les opérateurs d’appels, les travailleurs sociaux et d’agents ambulants faisant des points fixes.
Le centre de Bon-Repos, de son côté, mobilise son équipe même au-delà des heures et jours ouvrables.
«Nous faisons tout ce qui est possible», relate un responsable du HCR de Bon-Repos qui explique aussi que les centres de la zone et de la Croix-des-Missions tentent d’établir une connexion avec ceux des provinces, là où les patients se rendent.
Au centre de Caradeux, une diminution du stock de médicaments s’observe, mais le personnel n’hésite pas à en fournir aux patients pour plusieurs mois au cas où ils décident de quitter la zone.
Selon les chiffres de la plateforme, «Monitoring Evaluation et Surveillance Intégrée» (Mesi), de janvier à mars 2024, la population de VIH des 13 sites du réseau Ugp-Mspp-Pepfar de l’Ouest est de 12 915 patients infectés.
Cette plateforme de suivi, conçue en 2004 sous le leadership du ministère e la santé publique et de la population (MSPP) et du Programme national de Lutte contre le Sida (PNLS), a fait état de 8 388 personnes sous ARV ayant un résultat de test de charge virale.
Le PNLS a été contacté sans succès avant la publication de cet article.
Image de couverture : Une patiente en train de passer un test de dépistage du VIH/SIDA. | © freepik
Gardez contact avec AyiboPost via :
► Notre canal Telegram : cliquez ici
► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici
► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments