Comme presque tout en Haïti, le décret électoral affiche quelques problèmes techniques. Vous rappelez-vous le débat autour de « la loi électorale » que le Sénat ne voulait pas voter ? Comme le prévoit la constitution, le président Martelly a, pour débloquer la situation, fait passer son décret électoral. Pour ceux qui ont cliqué juste parce qu’ils sont momentanément atteints de la fièvre électorale, un décret est une décision légale appliquée par l’Exécutif, mais qui n’a pas bénéficié de la vérification et du contrôle de la branche législative. Oui, je sais, cela va à l’encontre de tous les principes démocratiques. Des fois la démocratie se veut démocratiquement dictatoriale. Revenons à la question qui importe, le Décret électoral !
Un décret poétique
Les contradictions et les oxymores font de beaux recueils de poèmes et d’excellents albums de BIC. Cependant pour un décret électoral, ils peuvent rendre les choses confuses, floues… et haïtiennes. Donc, compliments aux poètes qui se sont réunis autour d’une belle bouteille de Barbancourt pour rédiger ce texte qui, comme tout beau poème, laisse au lecteur le droit à l’interprétation.
Citons le décret-poème
Le décret présente deux articles contradictoires. J’utilise là le communiqué 76 du CEP qui reprend la loi électorale.
« Article 2 : Le président de la République est élu par (sic) au suffrage universel direct à la majorité absolue des votes valides (50%+1), (Art.45 et 52 du décret électoral) ».
Jusque-là, ça va ! Nous sommes encore dans un pays démocratique, la loi du suffrage universel est respectée. Mais il faut dire qu’à ce moment précis de la rédaction, Buron tardait à apporter les verres et le Barbancourt !
Il est environ 11 heures du soir quand arrive Buron, sourire aux lèvres, et verse un premier coup au rédacteur-poète. Après 30 minutes de discussions et de rhum, M. le rédacteur reprend ses forces et surtout son imagination. « Pourquoi ne pas ajouter un oxymore à cette grande allégorie qu’est la loi électorale ? » s’est-il demandé.
D’où la suite de l’article 2.
« Le candidat qui recueille le plus grand nombre de voix, mais sans atteindre la majorité absolue, est déclaré vainqueur dans le cas où son avance par rapport à son poursuivant immédiat est égale ou supérieure à vingt-cinq pour cent (25%), (Art. 38, 45.1 et 52.1) ». Quel chef d’œuvre poétique!
Mathématisons le décret électoral !
Commençons par un exercice simple. Disons que j’ai 32 gourdes et que tu en as 25. Combien d’unités de gourde ai-je de plus que toi ?
Sept(7) : une simple soustraction. Compliments ! Ma prof de première année fondamentale, Madame Anne-Marie, serait fière de toi. Viens que je te colle une étoile au front !
Mais ces 7 gourdes de différence en unité représentent quoi en pourcentage, mon cher Joseph? (fè’m wè’w !)
- Euh ! Peut-être, 7…
- Non, la différence en pourcentage n’est pas 7%. Remets-moi mon étoile mon petit Joseph. La formule pour calculer la différence en pourcentage est : (32-25)/25= 0.28 ou 28%.
Comme maintenant tout le monde se rappelle le calcul du pourcentage, on va l’appliquer aux résultats des élections d’hier comme des grands. Jovenel Moise a 32.87% des voix tandis que son poursuivant immédiat, Jude Célestin, a 25.27%, quel pourcentage Jovenel a-t-il de plus que Jude Célestin ?
(32,81-25.27)/25.27 = 0.298 ou 29.8%.
Compliments ! Je n’ai malheureusement plus d’étoiles, mais voulez-vous une banane ?
Selon les articles 45 et 52 du décret électoral, il y a un second tour entre Jovenel Moise et Jude Célestin. Mais selon les articles 45.1 et 52.1 Jovenel Moise passe dès le premier tour, car il a en effet une avance de plus de 25% sur Jude Célestin. Cette confusion est le résultat d’un système pourri qui refuse d’accepter l’importance des institutions ; dans ce cas-ci l’importance de la tranche législative de l’Etat. Le décret électoral donne assez d’arguments pour prouver deux choses contradictoires. Mais donnons à César ce qui est à César et aux rédacteurs de cette loi ce qui leur revient. Ils ont su magistralement insérer dans ce décret-loi des aspects caractéristiques du peuple haïtien: le désordre et la contradiction.
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