Insécurité

De Cité Soleil à place Hugo Chavez, témoignages de femmes

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Elles ont vu des corps calcinés. Des enfants disparus. Et l’explosion de leurs familles

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Des dizaines de familles fuyant l’affrontement sanglant entre les gangs du G9 dirigé par Barbecue et G-pèp de Ti Gabriel à Cité Soleil prennent refuge sur la place publique Hugo Chavez à Tabarre, non loin de l’Office national de l’aviation civile (OFNAC) depuis le début des hostilités le 7 juillet 2022.

Aussi, l’entrée de l’aéroport international Toussaint Louverture est transformée en un vaste centre d’accueil à ciel ouvert.

Plusieurs femmes enceintes sont remarquées sur le site. Certaines sont assises à même le sol alors que d’autres s’allongent sur des draps sous le soleil de plomb.

Ces dames couvent des récits glaçants. Certaines ont pu quitter la cité entre deux et quatre heures du matin, puisqu’il y a moins de fusillades durant cette tranche d’heure.

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Chantal César, enceinte de quatre mois, se souvient encore du 18 juillet 2022, date à laquelle elle a fui Soleil 17 pour rejoindre les déplacés sur la place Hugo Chavez avec son petit garçon de huit ans.

Aujourd’hui, César arrive difficilement à trouver de quoi nourrir son garçon. « On m’a informé que mon mari a reçu une balle à la tête, témoigne la dame, âgée de 35 ans. Je ne peux pas confirmer si c’est vrai, mais je ne l’ai plus jamais vu depuis mon départ. »

La mairie de Tabarre et la protection civile de cette commune refusent de prendre en charge les victimes de la place Hugo Chavez. Selon Emmanuel Pierre Saint, coordonnateur de la protection civile de cette commune, il revient à la protection civile et la mairie de cité Soleil de s’occuper des déplacés. « Ce sont des habitants de leur commune », dit-il.

Le maire de Cité Soleil n’a pas répondu aux appels d’AyiboPost pour un entretien sur le sujet. Quelques semaines plus tôt, il avait déclaré à la presse n’avoir pas les moyens pour intervenir efficacement.

Sans soutien des autorités publiques, les sinistrés doivent compter sur la bienveillance des œuvres caritatives et des passants. La sœur Paësie Claire Joëlle Philippe, qui dirige les centres d’éducation non formelle de Cité Soleil, leur fournit de la soupe presque chaque matin, selon les témoignages recueillis par AyiboPost auprès des déplacés.

La ligne des victimes grossit au quotidien sur la place Hugo Chavez. L’incertitude et la désolation se lisent sur les visages.

Anglène Médard, enceinte de six mois, dit avoir vu de ses propres yeux les exactions inhumaines des bandes armées. « J’ai vécu les pires moments de ma vie à Cité Soleil », explique la jeune mère de deux enfants âgée de 26 ans.

Médard se souviendra longtemps des voisins transpercés par les balles et des nombreux morts, enveloppés dans des draps sales. Sa grande sœur a perdu son mari dans le conflit. « On l’a brûlé vif non loin des locaux de e-Power à Cité Soleil pendant qu’il tentait de rentrer chez lui. »

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La nouvelle a occasionné une crise d’hypertension artérielle chez la veuve. « Elle a été transportée à l’hôpital grâce à la sœur Paësie », rajoute Médard.

C’est l’incertitude qui tenaille Lilie Grossaint. Âgée de 40 ans, la dame n’a pas de nouvelles de ses trois enfants. Sa maman a reçu une balle à la tête le 8 juillet : elle en est morte sous le coup.

En fuyant, Grossaint a été blessée au pied gauche. « Je ne sais pas si mes enfants ont eu la vie sauve », fait-elle savoir, au bord des larmes.

Benjamin a lui perdu son mari. Le motard a été exécuté pendant qu’il tentait de s’enfuir avec un passager. « Il était mon seul soutien », raconte la dame qui a pu s’enfuir avec sa fille de onze mois. « Je pensais que mon fils de quatre ans était mort, explique la veuve. C’est après quelques jours qu’une amie m’a informé qu’il était entre ses mains ».

Avant d’atterrir sur la place, Benjamin a passé quelques jours chez une amie, mais l’accueil n’était pas agréable. « J’ai laissé la maison pour venir sur la place Hugo Chavez », affirme-t-elle.

Toutefois, les conditions de vie à Tabarre demeurent difficiles. « Ici, on n’a presque rien à manger. On dort mal sur des draps que des gens nous ont offerts », se plaint-elle.

Selon les données du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), la violence des gangs à Cité Soleil a fait près de 300 morts et plusieurs centaines de blessés. Les Nations unies relèvent environ 500 morts, blessés ou disparus.

Molière Adely pratique le journalisme depuis 2018. Il a déjà collaboré avec plusieurs médias. Étudiant en sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (FE/UEH), Adely s’intéresse à la politique, la culture et aux sujets de société.

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