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Opinion | On a coupé mes dreads

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J’adore avoir de la distance par rapport à un sujet pour sentir cette fausse réalité qu’est l’objectivité. Je n’y peux rien, c’est une utopie à laquelle j’aspire. Puisque j’en porte, plusieurs de mes amis m’ont souvent demandé mon opinion sur la récente opération « Chasse aux dreads » initiée par la PNH. À ces questions devenues récurrentes, je répondais toujours par une petite blague souvent auto-dérisoire juste pour éviter ce sujet que l’absurdité rendait presque irréel à mes yeux.

J’ai donc abordé cette « Chasse aux dreads » comme un problème lointain sur lequel je n’avais aucun contrôle et qui ne pouvait avoir d’impacts sur moi. Un peu comme nos esprits appréhendent les attentats au Moyen-Orient, par exemple! On sait que des humains sont morts dans d’horribles et violentes conditions, mais cette compréhension n’affecte que très peu significativement notre journée.

J’ai lu, il n’y a pas longtemps, deux articles dans lesquels les auteurs prenaient position en faveur de la communauté des « dreadlocks » dont je fais partie. J’ai également écouté mes parents raconter à quel point ils étaient offusqués de ces actes qui portent atteinte à la dignité de l’homme. Et, tout cela m’a plu.

La semaine dernière, j’ai pensé participer à la manif organisée pour défendre les droits des dreads mais des contraintes professionnelles m’ont empêché d’y prendre part. Mais je dois aussi avouer que je n’étais pas en vraie révolte face à cette grossièreté de la PNH. Elle me dérangeait, mais, pas au point d’ébullition qui pousse à manifester et à prendre les rues.

Ce weekend, j’ai pris le temps de réfléchir philosophiquement sur la question et j’ai compris que les actions de la Police dans le cadre de cette « Chasse aux dreads » sont en fait de l’ordre du viol. Forcer une personne, contre sa volonté, à faire de son corps ce qu’elle ne veut pas est une atteinte à sa dignité humaine.

Les bavures de ces policiers vont à l’encontre de toutes mes idées et croyances: du simple respect de l’être humain à la plus complexe théorie démocratique. Et pourtant, je n’étais pas en colère. Petite introspection du dimanche matin! Pourquoi tout cela ne m’affectait-il pas plus? Pourquoi ces actes ne me choquaient-ils pas comme ils le devraient? Ce matin, j’ai finalement compris pourquoi. Cette atteinte à la dignité de l’homme ne m’a pas touché parce que, habitué à cela, ma blessure est devenue insensible.

Vous avez coupé mes dreads contre ma volonté quand j’ai entendu vos invectives en entrant dans une salle. Vous avez coupé mes dreads contre ma volonté quand vous m’avez sollicité pour de la drogue. Vous avez coupé mes dreads contre ma volonté quand vous avez demandé à l’agent de sécurité de me tenir à l’oeil. Vous avez coupé mes dreads contre ma volonté quand vous avez affirmé que ceux qui portent des dreads sont le plus souvent des criminels. Vous avez coupé mes dreads contre ma volonté quand vous m’avez regardé avec répugnance et irrespect.

Vous comprendrez donc que je ne sois ni révolté ni choqué face à cette situation parce que vous me coupez les dreads contre ma volonté depuis longtemps. Et je m’y suis habitué. Ces policiers, bien sûr, ont tort et devront comparaitre devant la justice. Mais voyez-vous, ils n’ont fait que danser sur la musique que la société chante depuis très très longtemps.

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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