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«Compas direct» ou «Konpa dirèk» ? | Perspective

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Le conflit linguistique en Haïti trouve son écho dans la musique de Nemours Jean-Baptiste

«Compas direct» ou «Konpa dirèk» ? La question de savoir comment écrire la musique popularisée par Nemours Jean-Baptiste passionne.

L’analyste musical Philippe Saint-Louis désapprouve «Konpa dirèk».

«Nemours a enregistré son orchestre avec l’orthographe française», soutient Saint-Louis.

«L’orthographe française telle qu’elle a été écrite par Nemours est un fait historique qui peut être prouvé», poursuit le propriétaire de la plateforme Alternative Plus.

La grande majorité des chansons de compas sont en créole.

Mais l’orthographe de cette musique créée dans les années 1950 – une période où le créole était moins valorisé et structuré qu’aujourd’hui – continue de faire débat.

Nemours Jean-Baptiste avait utilisé l’orthographe française sur tous ses albums.

L’orthographe française telle qu’elle a été écrite par Nemours est un fait historique qui peut être prouvé.

Philippe Saint-Louis 

Les groupes ayant suivi ses traces dans les années 1960 et 1970 avaient aussi utilisé l’orthographe «Compas direct» et non «Konpa dirèk».

Pourtant, à partir des années 1980, l’orthographe «Konpa dirèk» devient très populaire.

D’ailleurs, cette musique a été officiellement déposée par la délégation permanente d’Haïti auprès de l’UNESCO en mars 2024, pour être inscrite sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité sous les deux orthographes : Konpa/Compas.

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Que l’usage des langues officielles du pays pour écrire le compas fasse encore débat indique que du chemin reste à parcourir pour faire accepter le créole comme langue à part entière dans un pays encore dominé par une diglossie en défaveur de la langue parlée par la majorité.

Nemours Jean-Baptiste n’avait pas écrit «konpa» à cause du contexte linguistique des années 1950, analyse Jhonny Célicourt, critique musical et auteur de DictionnArt.

Dans les années 1950, le créole était en situation d’infériorité officielle face à la langue française. Il n’avait ni une orthographe formelle, encore moins un statut légal.

Cette langue était marginalisée, voire interdite dans certains espaces, notamment les médias et l’enseignement.

Nemours Jean-Baptiste n’avait pas écrit «konpa» à cause du contexte linguistique des années 1950.

Jhonny Célicourt

L’acte de l’indépendance d’Haïti de 1804 était rédigé en français.

Selon toutes les Constitutions haïtiennes de 1918 jusqu’avant celle de 1987, le français était la langue de l’administration, de l’enseignement, de la presse.

Le créole commence à prendre de la place dans l’éducation à partir de la réforme du ministre Joseph C. Bernard dans le système éducatif entre 1979 et 1980.

D’autres dates restent importantes pour comprendre l’ascension du créole.

La langue obtient par exemple une orthographe officielle en 1979 ; arrache sa reconnaissance comme langue nationale dans la Constitution de 1983 sous le régime des Duvalier ; et un statut officiel dans la Constitution de 1987.

Son utilisation dans des publicités et des campagnes de sensibilisation s’est intensifiée après son officialisation.

Le premier président de l’ère dite démocratique, Jean Bertrand Aristide, a utilisé le créole dans son discours d’investiture en 1991.

Dans son article «Haïti, le français en héritage», Jean-Marie Théodat a évoqué l’évolution de la relation des Haïtiens à la langue française.

Selon l’auteur, le créole connaît une certaine hégémonie dans les médias et la culture et l’anglais monte en puissance.

Ces facteurs sociaux contribuent à la régression du français tant dans la société haïtienne que dans le secteur Konpa.

Le créole commence à prendre de la place dans l’éducation à partir de la réforme du ministre Joseph C. Bernard dans le système éducatif entre 1979 et 1980.

Progressivement, le français, langue des élites intellectuelles et politiques, perd en prestige social.

Aujourd’hui, aucun groupe ténor de cette génération sur la scène Konpa ne porte un nom en français.

Dans certains cas, ce sont des noms composés, dans d’autres, ce sont des noms créoles ou anglais.

Parmi ces groupes, on peut citer Klass, Nu-Look, Harmonik, T-Vice, Zenglen, Kreyòl La, Enposib, Kaï, Vayb, Gabel, Mass Konpa, Disip et Ekip.

Pourtant, dans les années 1960 et 1970, lorsque le créole était en situation de minorisation au profit du français, beaucoup de groupes avaient des noms français.

En plus des groupes de Nemours comme Ensemble aux Calebasses et Ensemble Nemours Jean-Baptiste, la majorité des autres groupes faisaient usage de la langue française.

On peut citer entre autres Les Loups Noirs, Les Frères Dejean, Les Ambassadeurs, Les Difficiles de Pétion-Ville, Les Fantaisistes de Carrefour et Les Invincibles de Jacmel.

Aujourd’hui, aucun groupe ténor de cette génération sur la scène Konpa ne porte un nom en français.

Entre les groupes phares et les moins populaires, j’ai répertorié une trentaine de groupes Konpa avec des noms en français dans les années 1960 et 1970.

Aujourd’hui, mis à part Arly Larivière et sa formation musicale Nu-Look, qui fait un usage considérable du français, on peut compter sur les doigts de la main les albums et les chansons ayant des titres français.

Ce n’était pas le cas auparavant lorsque le français détenait tout son prestige social dans le pays.

Cette langue avait une certaine présence dans le Konpa par le biais des noms de groupes, de titres de chansons et d’albums ainsi que des textes de chansons.

Dans mes propres articles et travaux de recherches sur la musique de Nemours dans les années antérieures, je n’utilisais que l’orthographe française «Compas direct».

Depuis quelques années, en vue de mettre en exergue mon identité créolophone d’une part, et de rappeler à mes lecteurs que cette musique est ancrée dans la culture haïtienne, d’autre part, j’ai décidé de ne plus utiliser l’orthographe française.

Lire aussi : « Kreyòl Nou Ye » de Zenglen, une chanson importante peu étudiée

D’anciens conservateurs sur ces questions s’assouplissent.

«J’ai eu l’honneur de côtoyer Nemours Jean-Baptiste et il utilisait l’orthographe française ‘’Compas Direct’’», avait insisté Jean Jean-Pierre, ancien batteur de Bossa Combo et de l’Immortel Shleu Shleu, dans un message qu’il m’a adressé en avril 2024 après la publication de mon article titré «Le Konpa n’appartient plus aux Haïtiens».

Mais Jean-Pierre veut, volontiers, accepter l’usage du créole pour mettre l’emphase sur Haïti, le pays d’origine de la musique.

Par Nazaire Joinville

Image de couverture éditée par AyiboPost, mettant en avant le saxophoniste haïtien Nemours Jean-Baptiste.


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Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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