Chute drastique des inscriptions dans les Universités en Haïti

L’université Quisqueya n’écarte pas la possibilité de fermer «temporairement» pour manque d’argent dans un contexte où plusieurs institutions d’enseignement supérieur de premier plan révèlent à AyiboPost une plongée significative des inscriptions

En janvier 2019, la prestigieuse université Quisqueya dénombrait 3 585 étudiants.

À la même époque, en 2021, ce chiffre passera à 2 204.

Mais en novembre, cette année, l’institution d’éducation supérieure compte à peine 850 apprenants pour ses six facultés, une baisse extraordinaire de plus de 76 % par rapport à 2019.

« Nous n’écartons pas le danger imminent de mettre fin aux activités provisoirement à cause d’un problème de revenu suffisant pour soutenir l’université », révèle à AyiboPost Evenson Calixte, vice-recteur aux affaires académiques de l’Université Quisqueya.

L’hémorragie semble toucher tout le secteur. Des universités de premier plan rapportent à AyiboPost une baisse importante des inscriptions, dans un contexte d’immigration de masse, de départ des professeurs vers l’étranger pour cause d’insécurité, d’inflation galopante et de crise économique.

D’après des données du Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (RUEH), les 21 entités de l’institution avaient enregistré 29 209 inscrits pour l’année académique 2022-2023.

Pour 2023-2024, ce chiffre tombe à 14 486, une chute de plus de 50 % pour la plus importante université d’Haïti.

Si l’UEH a enregistré un léger rebondissement de 31 % en 2022-2023, la tendance à la baisse est demeurée constante pour les quatre dernières années, selon le RUEH.

« Nous assistons à une situation empreinte de profonde déception et d’inquiétudes », analyse à AyiboPost Jean Poincy, vice-recteur académique de l’UEH.

Le Campus Henry Christophe de Limonade (CHCL) de l’UEH située au Cap-Haïtien affiche 3014 postulants en total, ce qui contraste avec les 4 000 à 5 000 enregistrés ces quatre dernières années. « Il s’agit d’une diminution », fait savoir à AyiboPost, Evenel Michel doyen par intérim au département des sciences de l’éducation et responsable de l’organisation des concours.

Les institutions privées souffrent aussi.

En 2018, l’Université de Port-au-Prince (UP), établie dans la capitale depuis 40 ans, avait environ 5 000 inscrits.

Mais maintenant, « on a dû mal à retenir un effectif de 2 000 étudiants », révèle à AyiboPost Nancy Durané responsable des affaires académiques au sein de l’UP.

« Des salles de cours qui avaient auparavant 80 à 100 étudiants arrivent difficilement à 30 aujourd’hui », selon Durané.

Beaucoup des étudiants de l’UP ont dû interrompre abruptement leurs cours lors de la dernière session en raison des circonstances difficiles du pays, selon Durané.

on a dû mal à retenir un effectif de 2 000 étudiants

De même que pour les étudiants, les universités sont aussi contraintes de quitter certaines zones en raison de l’insécurité.

C’est le cas de l’Université INUKA, située auparavant sur le Boulevard 15 octobre à Tabarre. La structure a dû plier bagages il y a trois mois pour s’installer à Turgeau.

« Ce déménagement a entraîné une importante perte d’étudiants, contraints d’abandonner les cours en raison de la difficulté du trajet de Tabarre à Turgeau, dans un contexte déjà peu favorable », déplore à AyiboPost Jean-Baptiste Joseph, responsable des inscriptions à INUKA.

L’éducateur parle de 2023 comme d’une « année catastrophique ».

Les inscriptions ont commencé en juillet 2023. « Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore atteint la barre de 200 inscrits sur quatre facultés au total, donc nous ne sommes même pas à un quart de la quantité habituelle d’inscrits », précise Joseph.

Au-delà des considérations économiques, la baisse des admissions vient avec des conséquences pratiques pour les facultés.

En général, l’École normale supérieure de l’UEH enregistre en moyenne 3 000 candidatures « Cette année, on fait avec seulement 800 candidats au total pour les sept départements de l’institution », dit à AyiboPost Louïs Alvarez, directeur de recherche à l’ENS.

Cette situation accompagne une baisse du niveau de la plupart des étudiants admis. « Nous sommes obligés de choisir des candidats dont le niveau académique est relativement moins élevé », fait savoir à AyiboPost Dieuseul Predelus, directeur des affaires financières de l’ENS. « C’est en ce sens que l’administration a décidé de mettre en place des séances de mise à niveau avant même de commencer le programme académique ».

Nous sommes obligés de choisir des candidats dont le niveau académique est relativement moins élevé

Face à cette situation, l’université d’État se retrouve en manque d’options.

« Nous aurions pu envisager d’instaurer des cours en ligne pour les étudiants, mais cette option nous est malheureusement inaccessible en raison de l’absence de ressources adéquates, d’une connectivité internet de qualité insuffisante, de coupures d’électricité récurrentes, et du départ massif de nombreux professeurs du pays », fait savoir le vice-recteur académique de l’UEH, Jean Poincy.

Non subventionnée, une université comme Quisqueya fonctionne principalement sur la scolarité versée par les étudiants.

Pour résister, selon Evenson Calixte, l’institution, dont les recherches ont permis de sauver le «pitimi local», met en place des cours en ligne, entreprend la délocalisation d’au moins une de ses facultés et ajuste le calendrier des paiements pour les étudiants.

Mais ce problème promet des répercussions sur le pays sur le long terme.

«Ces jeunes, qui auraient dû recevoir une solide formation pour contribuer au développement national, partent en grand nombre», remarque Jean Poincy de l’UEH. «Cette réalité engendrera un vide, une pénurie de talents, et, par conséquent, il est à craindre qu’Haïti éprouve davantage des difficultés considérables pour se relancer», prévoit-il.

Par Lucnise Duquereste

Chute drastique des inscriptions dans les Universités en Haïti expliquée dans cette vidéo :