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Chita Pale | Des femmes victimes de kidnapping et de viols cherchent de l’aide pour quitter Haïti, selon Sharma Aurélien

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La responsable des programmes à la SOFA était de passage à Chita Pale, le 2 avril dernier. Extraits choisis de cette discussion

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« Après la dictature de Duvalier en 1986, il y avait, à travers plusieurs secteurs, une volonté de reprendre le chemin de la libération, reprendre la vie organisationnelle. Les femmes ont ressenti la nécessité de faire passer leurs revendications et reconnaître leur participation à tous les niveaux. Elles ont dénoncé la vie chère, le droit de cuissage qui obligeait une femme à entretenir une relation avec son patron pour avoir du travail. De là a émergée le slogan « nou vle travay san nou pa pran randevou. »

« Les femmes voulaient travailler en fonction de leur capacité, en raison de leur compétence. Aussi, elles revendiquaient leur participation dans la politique. Elles revendiquaient leur place au sein des institutions. La lutte du 3 avril 1986 a été spontanée. »

« Il y a des efforts qui sont faits, mais les demandes restent les mêmes, prenons par exemple le droit de cuissage pour lequel les femmes se sont battues, il n’a pas changé sinon qu’il peut être difficile pour un homme de le faire ouvertement dépendamment de l’environnement où il évolue. Il est beaucoup plus facile par exemple pour un entrepreneur de le faire s’il n’a pas vraiment une éthique professionnelle. »

« Il est vrai qu’il y a un bureau du travail qui est là pour dénoncer ces agissements. Mais il n’y a aucune garantie qu’une femme qui porte plainte pour harcèlement va être entendue et comprise. Il y a aussi les conventions qu’Haïti a ratifiées. Mais combien de juges sont sensibles à cela ? Aussi, ce sont des choses que l’on peut passer outre vu qu’elles ne sont pas inscrites dans la loi mère du pays. »

« Il y a des efforts qui ont été faits, tel l’accès à l’éducation. Beaucoup plus d’écoles publiques ont été aménagées et aussi, il y a un effort consenti du côté des familles pour envoyer les enfants à l’école sans regarder leur sexe. Avec l’université d’État d’Haïti, les femmes ont un deuxième niveau d’accès à l’éducation. D’autres universités privées ont émergé pour renforcer l’accès aux études supérieures des femmes. »

« Il est vrai qu’il n’y a pas de grandes satisfactions du point de vue politique, mais il y a des efforts qui sont faits pour secouer la participation des femmes. Bien que cela ait été utilisé à d’autres fins, la loi électorale de 2015 avait demandé qu’au moins une femme soit présente dans les cartels. Des avantages étaient promis aux parties ayant inscrit le plus grand nombre de femmes. Cela démontre une volonté à reconnaître les femmes et leur participation dans la gestion de la chose publique. »

« En dépit de la résolution prise pour encourager les femmes à participer, il y a eu zéro femme élue au parlement. Ça a attiré la curiosité. SOFA a réalisé une enquête en 2017. Cela a été catastrophique d’apprendre comment les femmes ont rencontré des difficultés. Beaucoup d’entre elles ont été appauvries. Les hommes trouvent plus facilement des financements, mais aussi maîtrisent si bien les rouages de la violence que les femmes sont prêtes à reculer. »

“Dénigrement, concurrence déloyale, les femmes n’étaient de la partie que parce qu’elles conféraient certains avantages aux partis. Ce ne sont pas des acquis, mais les débats sont ouverts sur la participation des femmes dans la politique.”

“Avant les femmes avaient peur de s’identifier comme féministe. Il y avait des idées préconçues sur le féminisme. Une femme qui se réclamait du féministe était cataloguée de lesbienne ou alors on disait d’elle qu’elle ne pouvait vivre avec des hommes. Il y a aujourd’hui une acceptation au niveau professionnel et organisationnel. Les femmes se réclament du féminisme et assument. Il y a beaucoup plus d’organisations qui défendent les droits de la femme. Cela donne de l’espoir qu’un changement soit possible dans les trente prochaines années. »

‘L’idée de la manifestation du 3 avril 2021 vient du contexte sociopolitique. L’on parle de référendum dans des conditions illégales. Il y a le kidnapping, les viols que subissent les femmes, le féminicide, les massacres dans les quartiers populaires. Les femmes avaient besoin de faire connaître leur position sur la question. ’

‘Quand des femmes choisissent de s’investir dans la politique, elles sont la plupart du temps déçu, car la perception veut que la femme reste en dehors de la politique. Nous avons eu un entretien avec 30 femmes candidates aux législatives en 2015. Certaines ont peur d’y revenir. D’autres veulent simplement changer de partis.’

‘La lutte des femmes va de pair avec la politique. Le contexte dans lequel cette lutte a pris forme y est pour beaucoup. Notre passage de la dictature à la démocratie, la lutte dans la clandestinité aussi. C’est un espace où les femmes négocient leur place dans la société. ’

‘SOFA n’encourage pas les élections dans de telles conditions. Comment demander à quelqu’un d’aller voter avec cette insécurité ? Comment savoir que les élections seront crédibles ? Qui va organiser ces élections ?’

‘Le combat des femmes est multiple.

Les organisations sont nombreuses et travaillent sous différents aspects : politique, mineur, violence, santé, déféminisation… pour ne citer que cela.

Les cas de violences s’amplifient en dépit de la sensibilisation que font les organisations féministes. La violence est institutionnalisée dans le pays.

‘Au moins vingt cas de féminicides en 2020.

Pas moins de 6 cas au 5 janvier 2021. Le féminicide, tel que nous le définissons, est le dernier niveau de la violence. C’est lorsque la femme en est morte.’

‘C’est grave lorsqu’une personne est obligée de subir un rapport sexuel non consenti. Cela fragilise davantage les femmes. La vie chère affecte tout le monde. Mais nous savons que traditionnellement, les foyers sont à la charge des femmes. Les femmes sont donc beaucoup plus exposées économiquement.’

‘Le décret de 1983 n’a pas été suffisant, il a fallu une loi sur la question de la paternité pour pallier l’irresponsabilité des pères. Cette loi a été publiée en 2014, mais elle n’est pas à la portée de tous. Et n’est pas réellement utilisée en temps utile. »

‘L’insécurité réduit considérablement le travail des organisations féministes. Nous avons une faiblesse de statistiques à travers le pays. Les trois derniers cas de viols que nous avons recensés, parmi elles une victime de kidnapping, ont demandé à quitter le pays. Cela ne rentre malheureusement pas dans nos compétences. Mais les gens vivent dans la terreur et veulent demander l’asile politique. Il n’y a pas une étude systématique, mais nous savons que l’insécurité touche chaque catégorie de femme différemment.’

‘Lorsque les routes sont bloquées et que les marchandises qui viennent des provinces ne peuvent être délivrées, car des gangs sont en train d’opérer. C’est un coup dur pour les femmes paysannes qui se tuent au travail. On a toujours tendance à penser que ce sont les hommes qui travaillent la terre. Mais les femmes paysannes travaillent tellement dur que leur corps se transforme. Elles sont aussi musclées que les garçons.’

‘Le décret Code pénal ne peut être fragmenté. L’un des plaidoyers de SOFA est sur l’avortement. Nous sommes pour la dépénalisation, car l’interdiction n’empêche pas les femmes de se faire avorter. Il leur arrive de payer de leur vie, car elles ne sont pas prises en charge correctement et le font dans la clandestinité. Or les conditions de vie de la femme ne lui permettent pas toujours de garder un enfant que peut-être elle ne voulait pas avoir. Parallèlement nous faisons une sensibilisation sur la question. L’avortement s’il est fait, doit se faire dans des conditions hygiéniques et sécuritaires. »

‘Il est vrai que depuis [Michel] Martelly, il y a plus d’inclusions de femmes au pouvoir. Plus de femmes ministres, plus de femmes dans l’administration publique. De même qu’avec Jovenel Moïse qui je peux dire est le prolongement du régime, il y a une tendance qui pousse à croire que l’administration travaille à une émancipation de la femme. Toutefois, il y a des hommes dans l’administration à qui l’on reproche des comportements violents et de viols qui sont maintenus dans leur fonction sans qu’il ne leur soit fait aucune explication, sans qu’aucune sanction ne soit prise.’

‘La plus grande faiblesse de nos dirigeants actuels c’est la démission. Ils préfèrent voir la situation s’empirer que de démissionner.’

‘Le Ministère à la Condition féminine est supposé coiffer toutes les organisations. Mais parfois ils n’ont même pas les moyens nécessaires pour accompagner une femme victime qu’il réfère aux organisations.’

‘Sous l’administration Jovenel-Jouthe, nous n’avons presque pas de rapport avec la ministre. Suite à des manifestations que la SOFA a organisées, pour marquer son indignation dans l’affaire Evelyne Sincère, devant les locaux du ministère pour demander à l’état de s’engager dans la protection des femmes, la ministre a répondu qu’elle n’a pas à intervenir et que c’est la SOFA qui détient les fonds de l’international.’

‘La pénalisation du viol, la paternité responsable, sont le résultat des batailles menées par les organisations féministes et le ministère à la condition féminine qui réfléchit sur des problèmes spécifiques que vivent les femmes. Dire qu’elle n’a pas son rôle à jouer dans la société, c’est passer outre les lois qu’elle a fait voter.’

‘En 2017, la SOFA avait obtenu, après deux ans de plaidoyers, du ministère de l’Agriculture treize hectares de terre à la Savane Diane, afin de procéder à des expérimentations en culture bio dans le cadre d’une ferme-école qui forme des femmes à l’agriculture (ferme école d’agriculture Delicia Jean). En 2020, les femmes ont été chassées à deux reprises de cette plantation. La première fois par le CASEC de la huitième section de l’Attalaye qui a réclamé le terrain pour [Andy] Apaid. La SOFA a dénoncé ces agissements par des notes de presse puis a cherché des institutions pour trancher le conflit. Le 8 février 2021, en dépit de son statut de président de facto, Jovenel Moïse a sorti un décret à la faveur d’Apaid pour la culture de Stevia sur l’étendue de la Savane Diane. Or, la savane Diane a été déclarée 3e grenier d’Haïti, car la terre y est très fertile. Le ministre de l’Agriculture, suite à ce différend, a demandé à la SOFA d’entrer en négociation avec Apaid, ce que nous avons refusé.’

‘Il y a eu plusieurs mouvements de protestations contre l’installation de l’usine à la Savane Diane. Mais ce ne sont pas des mouvements qui prennent de l’ampleur. ’

‘La SOFA n’a pas une solution miracle à la crise. Mais les élections ne sont pas possibles dans ce contexte.’

La rédaction de Ayibopost

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