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C’est juste un vendredi soir sur la terre…

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Le ventilateur grésille et un vent chaud en ressort.

Les moustiques commencent leur hymne nocturne, la musique bat son plein, aujourd’hui: c’est vendredi… comme on dit ici : «tèt wiken»… mais bizarrement pour certains, dont moi, c’est le perpétuel recommencement n’aboutissant qu’à un labyrinthe de misère noire. Moi, la jeune fille toute innocente venant de Jérémie. En repensant à ma ville natale, j’ai un haut le corps. Un jour, j’y retournerai mais pas pour l’instant…

Petit à petit, le bar commence à se remplir. L’ambiance monte avec les rythmes de rabòday qui s’intensifient alors que les minutes s’écoulent. Madan Blanc me fait un geste clair et net mais je prétends ne pas comprendre pas tout en regardant ailleurs. Elle n’aime pas que ses filles commencent à boire si tôt le soir. Il faut garder un certain « standing » dans son établissement…. Ah ! Le comble de la plaisanterie! Elle tient un hôtel-bar miteux dans ce coin de la Grand-Rue qu’elle croit pouvoir rivaliser avec les gros bâtiments que j’ai vu une fois en me rendant de l’autre côté de la ville…. Vous savez, là où il n’y a que les grosses voitures qui passent. J’avais essayé d’y établir mon commerce mais là-bas, c’est la jungle et les filles ne plaisantent pas avec leur « pain quotidien ». Quand l’une d’entre elles m’avait poignardé, cela avait été aussi clair que du cristal: on ne s’aventurait pas n’importe comment sur leur territoire…. J’avais compris la leçon et je n’avais pas demandé mon reste une fois que l’hôpital Général m’avait exéaté. Je n’y étais plus jamais retournée…

Mon histoire n’est pas différente de celle de beaucoup de femmes qui errent par milliers dans les rues de Carrefour, du Bel–Air ou même sur l’aire du Champs de Mars. Sous leurs airs fallacieux, se cachent des histoires pas terribles. On se demande comment on a bien pu en arriver là malgré les signes avant-coureurs, malgré la déchéance visible de l’environnement, mais quelle autre alternative avons-nous ? Il est facile de nous jeter un regard de pitié ou de s’ériger en juge quand on n’est pas face à la situation. Ça, je l’avais bien vite appris en venant à Port-au-Prince, la cité maudite. C’était par le biais d’un jeune homme que j’y mis les pieds pour la première fois. Chez moi, on l’appelait la ville des maudits. D’après une amie de ma tante adoptive, elle était bruyante et hébergeait tous les vices. Les gens n’y dormaient jamais. Ils étaient tous envoûtés par les perversités « du monde ». A écouter ces récits, j’avoue avoir éprouvé une certaine curiosité mais les aléas de la vie paysanne ne me laissaient pas trop le temps d’y penser. Se lever aux aurores pour nettoyer, faire la lessive, cuisiner… non je n’avais pas le temps d’avoir la tête dans les nuages. Le soir, fatiguée physiquement et psychologiquement, je m’endormais paisiblement sur ma natte. Parfois une larme coulait sur le seul rêve que j’avais mais le sommeil avait toujours eu gain de mes sanglots.

Quand il fit miroiter la possibilité de m’enlever de ma misère quotidienne chez cette tante qui n’en portait que le nom par pur faux respect, je n’avais pas hésité. On avait fait nos plans en secret tout comme notre relation avait évolué dans le silence quand il venait en visite de la capitale. C’était avec lui que j’avais connu mes premiers soupirs de femme et je voulais ne jamais me séparer de lui. Alors, je lui confessai mon rêve de devenir esthéticienne et il parut me supporter. A la capitale, il y avait plein d’instituts de beauté : il m’épaulerait financièrement… peut-être pas dès notre arrivée, mais il s’engageait à prendre à sa charge les frais de sa « femme ». Comment hésiter face à cela ?

Mais une fois à Port-au-Prince, le prince charmant se transforma en un bourreau. Il n’était plus l’homme qui me contait fleurette mais un ivrogne qui me traitait comme son esclave le jour comme la nuit. Les deux seules fois où j’osai lui rappeler ses promesses, ce furent les voisins qui vinrent à ma rescousse sous ses coups, alertés par mes cris désespérés dans le « pyès kay » à Cité de Dieu où nous logions. Il finit par disparaître peu de temps après lui avoir annoncé que je portais son enfant. Selon ses amis, il avait pris l’exil en terre voisine à la recherche d’un mieux-être. Il m’avait laissé seule, sans argent, et avec un propriétaire qui venait réclamer un an de loyer amplement dû. Époque difficile sans aucune porte de sortie vers laquelle se tourner…

Alors, je finis par faire ce que toute femme sans moyens, sans recours, faisait. Et c’est ainsi qu’une de mes voisines me fit rencontrer Madan Blanc. C’était une grosse femme qui transpirait de la tête aux pieds, elle avait une complexion bizarre due à la pratique du « douco » et ses veines toutes bleutées semblaient vouloir exploser. Elle parlait d’une voix saccadée, forte et brutale mais je découvris bien plus tard qu’elle n’était pas une mauvaise femme. Elle avait été rejetée par son mari et avait dû se tailler une place à la sueur de son « front » si l’on pouvait s’exprimer ainsi dans son cas. Mais, elle avait été plus intelligente selon elle et elle avait su s’en sortir en maquant d’autres filles dans le besoin. Cette vieille guenon qui avait roulé sa bosse avait été bonne envers elles en les prenant sous sa coupe. Elle en avait fait de même pour moi, me laissant garder mon enfant et m’avait offert une chambre à l’hôtel.

J’avais pensé à avorter pour ensuite retourner à Jérémie mais pour y faire quoi ? Je n’avais pas revu ma vraie famille depuis le jour où « ma tante » avait pris ma garde en échange de quelques milliers de gourdes. J’avais appris que cette dernière maudissait le jour où elle m’avait accueilli sous son toit. Il faut dire que la somme de dix mille gourdes subtilisée pour m’enfuir avec mon amoureux éliminait la possibilité d’un quelconque mea-culpa.

Alors je serre les dents et la nuit tandis que mon nourrisson pleure près de ma tête, les soubresauts de mes clients dévorent ma chair déjà meurtrie par la vie. Certains clients semblent être même excités par ses pleurs qui leur sert de couverture pour crier leur extase plus fort. Certains s’énervent alors je leur fais un rabais sur la partie qui me reviendra une fois que Madan Blanc aura déduit sa commission. Car s’il y a bien une chose que cette matrone ne négocie pas, c’est son magot. Je l’ai déjà vu à l’œuvre quand elle pense être lésée dans les calculs après une nuit fructueuse…. Et bien sûr, les clients oublient vite fait leur dégoût initial pour un rabais ou une gâterie additionnelle. Je me demande souvent ce qu’ils disent à leurs femmes ou à leurs concubines quand ils viennent échouer entre mes jambes pour toute la nuit. Certains ont des vices qui expliquent qu’ils aient recours à l’argent pour réaliser ces fantasmes. A ces moments-là, je les surtaxe mais une passe reste une passe et à la Grand-Rue, les prix restent dérisoires face au coût toujours en hausse de la vie.

J’ai envie de demander ma cinquième Prestige mais je sens une main sur ma cuisse et un souffle derrière ma nuque. Ici, c’est tenue relax, pas de maquillage, la clientèle n’est pas exigeante. Pour le prix offert, ils vont de toute façon consommer. Je me tourne avec un sourire figé qui devient encore plus jaune quand je remarque que c’est l’habitué de la maison. Il vient régulièrement et ce soir, il m’a choisi comme cible. Il a un prix forfaitaire en raison de son « assiduité ». Il se colle à moi tandis que le DJ entame son répertoire de musique africaine au plus grand plaisir des clients. Il me murmure que c’est l’heure d’y aller alors je hoche la tête, lui prend la main et monte l’escalier. Et tandis qu’à peine la porte fermée, il plonge sur moi tout en me frappant, je sais que la nuit va être longue.

Heureusement que ma fille dort paisiblement ces derniers temps… Heureusement que depuis longtemps, j’ai appris à rêver pour passer le temps… oui, je ne suis pas dans cette pièce qui sent le moisi avec un homme qui va alterner les coups de poing et les coups de son membre.

« Oui, je ne suis pas ici. J’ai pu rentrer à l’institut de beauté…. Je souris car j’ai pu poursuivre mon unique rêve…. Et là présentement, c’est un juste un vendredi soir sur la terre… et il y en aura d’autres vendredis comme cela »

I am just a girl in love with coffee crossing life with her ups and downs. I prefer to let people have their own idea about who I am. I am also a humanitarian worker and I love to discover new culture and new people. I want my writing to touch people and make an impact in their life.

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