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Ces désirs qui nous enchaînent…

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Naturelle, défrisée, extensions, mohawk? Androgyne, poitrine à la Kim, fesses à la Nicky? Blonde, rousse, brune? Bimbo au visage refait ou beauté aux traits assumés? Style conventionnel ou signature atypique? Notre image et notre corps ne nous appartiennent plus; nous en sommes devenus esclaves. Nous multiplions les laïus qui dénoncent tour à tour la tyrannie de la minceur, l’objectification de la femme, la suprématie des canons occidentaux, la survalorisation de la beauté et rabâchons à outrance les verbiages sur l’affirmation et l’acceptation de sa beauté intérieure. Mais nous suivons comme des cons la mouvance, victimes et vecteurs du même présupposé: ce qui est beau est bon. Tout part de là.

unnamedTrès tôt, on nous apprend à dissimuler et camoufler qui nous sommes vraiment : encouragées (ici il faut plutôt lire « contraintes ») à nous nourrir de « light », de « diet  », de « low fat », à nous draper de glamour, à cacher nos ô-combien-horribles imperfections sous des couches de maquillage ou de vêtements judicieusement choisis, on nous invite à souffrir pour être belles … bref ! à mettre en scène des icônes qui obéissent aux diktats d’une société au sein de laquelle le paraître supplante l’être. Car la beauté de la femme, en plus d’être imposée, est enchaînée. Dans des conventions sociales qui somment d’être désirable. Dans des critères esthétiques inaccessibles. Dans un espace visuel qui impose un archétype de beauté uniqueJe ne parle pas que du culte de la minceur je parle de toutes ces petites choses qui ont contribué à dénaturer notre regard et à altérer nos représentations de la beauté. Rien qu’à penser aux tailles de vêtements qui affichent pernicieusement du « XL » là où, en fait, il faudrait afficher du « XXS », aux publicités pour soins « antirides » qui mettent en scène des jeunettes de 20 ans ou moins, aux messages zéro‑défauts qui nous sont martelés à longueur de journée et aux concours de beauté qui relayent en second plan tout ce que nous sommes à l’intérieur, nos jambes seront toujours trop courtes, nos seins jamais assez gros, notre visage toujours trop asymétrique … et la liste de nos défauts jamais assez longue.

La beauté est aussi enchainée dans nos esprits. Dans nos consciences – collectivement – déséduquées (puis reformatées), elle est gage de séduction, bonheur, bien-être et succès. Que l’on s’y résolve ou que l’on se révolte, nous ne sommes pas moins tributaires de notre image. Alors nous endossons les contraintes qui nous sont imposées et que (reconnaissons-le !) nous nous imposons aussi. Tous les moyens de contrôle de la forme de notre silhouette et de notre image sont à privilégier. Plans Special K et Slim fast, régimes South Beach, Montignac New Look et Jenny Craig, juicing, solutions coupe-faim, diurétiques, brûleurs de graisse… nous enchaînons les programmes de perte de poids, subissons courageusement le supplice de l’épilation, supportons gracieusement la torture des chaussures qui défient la loi de la gravité et celle des vêtements qui gainent et asphyxient… Et, face à toutes celles qui ne se dissolvent pas, comme nous, dans les conventions établies on se laisse aller, avec une légèreté déroutante (et avouons-le comme de vulgaires moutons de Panurge), aux jugements simplistes, aux censures superficielles et aux attaques puériles, donnant leur pleine mesure aux messages que nous « condamnons ».

Vous me direz que sont des clichés ? Et c’est bien beau de le prendre par ce bout. Sauf que c’est aussi très simpliste et largement réducteur, l’histoire démontrant bien que la relation des femmes à leur corps a toujours été un douloureux et incessant combat entre leur obsession de ressemblance aux canons de beauté et l’oppression de cet impératif esthétique. Masochiste mais logique. Pourquoi ? Parce que la femme est conditionnée pour aspirer à la perfection. À la manière d’Alain Suchon, « on nous inflige des désirs qui nous affligent ». La vérité est là: en tant que femme, pour être, il faut paraître (non ! bien paraître) et nous valons ce que vaut notre image. Personne n’y échappe, même pas maintenant que les injonctions tendent de plus en plus vers la différenciation. Paradoxal ? Détrompez-vous.

Oui, il y’a eu du progrès au cours des dernières années: ces femmes, comme nous, qui sont choisies pour faire la couverture des magasines à cause de leur unicité en sont une illustration certaine. La campagne Real Beauty de Dove qui invite les femmes à se poser un regard plus clément en est une autre. Aujourd’hui, les messages qui sont véhiculés sont de plus en plus axés sur Aviary Photo_130469130922597237l’affirmation de sa différence: « affiche ton originalité », « exprime ta singularité », « raconte et montre au monde ce que tu es ». À priori, nous devrions les recevoir comme une libération et saisir au vol cette occasion inouïe de montrer au monde que toutes les beautés se valent. Pourtant, il n’en est rien car, en fait, la société n’a jamais pas cessé de nous dicter comment il fallait être pour « être ». Seul le référentiel a changé, la dictature du remarquable se substituant à celle de la minceur. Dans une société au sein de laquelle « être » est devenu accessoire, performer (je devrais plutôt dire surperformer) honorable et se faire concurrence une condition de survie, les femmes sont plus que jamais dépendantes du « rendement » de leur image : spectatrices passives de la vie mise en scène des autres on est tout le temps confrontées à nos « lamentables » performances. Alors on ajuste son éclairage de présentoir et on met en vitrine son image, recourant à tous les moyens pour se donner du relief et du piquant. Pour justifier son existence et décrocher un permis d’exister.

Alors oui, on nous invite à voir la vie en rose mais finalement le rose qu’on nous propose n’est pas si rose que ça. Un, parce que se voir comme un symbole de beauté ou s’identifier à ses « défauts » physiques revient toujours à se définir par son apparence. Deux, parce que même quand on est encouragée à être « normale » cette normalité est codifiée: il s’agit d’avoir le bon leggings normal, les bonnes chaussures normales et le bon t-shirt normal, donc de subir cette exhortation à une imperfection parfaite. Résultat: une norme se substituant à une autre, retour au point de départ avec la même pression suffocante des apparences. Pourtant, on est belle en vrai, à l’intérieur, sans les filtres des logiciels photo, sans les artifices du maquillage et sans signature extravagante. Mais on n’y croit pas et on se flagelle devant son miroir car on se sent fade et ordinaire. Moi, je dénonce haut et fort la dictature du beau qui nous enferme dans des carcans psychologiques et je m’interroge sérieusement sur la valeur de ce « soi-disant » changement de perspective dans les idéaux de beauté. D’abord parce que la singularité prônée, aussi illusoire qu’éphémère, coûte chère, le prix de notre essence. Ensuite parce qu’elle est fragile et exclusivement tributaire de la validation de l’autre. Et enfin parce qu’elle est dictatrice car elle obéit aux codes et tendances du moment et qu’elle doit constamment être actualisée. Ma beauté ne devrait pas se résumer à une question de vêtements, de coiffure ou de tour de taille tout comme l’expression de mon individualité ne devrait pas être réduite à sa dimension superficielle. La beauté devrait se vivre à travers une distinction authentique, comme un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur (pas l’inverse !) et surtout, être appréhendée comme un tout. Nos failles font partie des mille et une choses qui font notre unicité et, par ce fait même, dessinent elles aussi notre identité. Nous sommes belles, parce que nous sommes nous-mêmes : imparfaites et humaines.

Mais entre être et paraître, beaucoup ont résolument opté pour la seconde option et, j’ai le regret de dire que (trop) souvent je fais partie de ce lot. Car au 21e siècle, la femme doit encore « souffrir pour être belle », peut-être même plus qu’avant. À ceux qui trouvent que les choses ont changé, dans quel monde évoluez-vous ? Regardez-bien autour de vous et dites-moi qui autorise les Aviary Photo_130469132430719920femmes à s’affranchir des discours culpabilisants de l’industrie de la mode. Qui accepte qu’elles se défassent des conventions qui leur sont prescrites dès le berceau. Parce que moi, j’aimerais bien comprendre comment je peux être moi-même lorsqu’on me dicte comment le faire. J’aimerais aussi qu’on cesse de me dire que je suis libre de m’afficher telle que je suis, car quand on me demande de choisir entre l’acceptation des normes et mon essence au prix de la marginalisation sociale, on me met au pied du mur. Et indépendamment du choix que je choisis de faire au pied de ce mur le simple fait d’y avoir été mise fait de moi une victime des apparences. Le fait d’être contrainte de me défaire de toute la construction sociale qui a modelé mes représentations de la beauté quand je choisis la marginalisation fait aussi de moi une victime des apparences. Alors épargnez-nous de vos discours hypocrites sur l’affirmation de notre beauté, sur l’affichage de notre individualité et sur la primauté de notre essence sur notre image. Non ! La société ne nous donne pas le droit d’être nous-mêmes. Nous payons pour l’obtenir le prix du ridicule, de l’exclusion et du rejet. Et quand nous choisissons de paraître pour être, c’est souvent parce que nous n’avons pas de quoi payer ce prix. Alors au final, il s’agit simplement de choisir comment on veut se faire avoir car nous avons, fort heureusement, le choix entre la baise en amont ou la baise en aval.

Je fais 1.60 m pour 130 livres, j’ai des rondeurs et la liste de mes imperfections est infinie mais je suis belle. Pourtant, face à mon reflet dans la glace je me surprends parfois à m’examiner sous le filtre d’un idéal inatteignable, moi aussi, frissonnant de ne pas correspondre aux filles de papier glacé ou de ne pas être assez originale. Je rêve du jour où je pourrai porter ce qui me plait sans me sentir obligée d’obéir aux codes du moment. Du jour où je pourrai choisir la beauté qui me convient à moi, sans ressentir le besoin de recevoir de validations extérieures. Du jour où j’accepterai vraiment qu’être jolie sans être vraie avec soi-même, ça ne vaut absolument rien. Mais plutôt que de rêver, peut-être devrais-je commencer à penser à la manière dont je préfèrerais me faire avoir. Après tout, je serai baisée soit en amont, soit en aval.

N.@.Ï.K.{&}: Human. Being. With a story still being written....

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