Récit d’une journée de plaisir, de douilles et de pleurs
Dimanche dernier, vers midi, presque toutes les installations étaient en place pour la tenue d’un « car wash » en face de l’hôpital Saint-François de Sales à la rue de l’Enterrement. Les fêtards ont vraiment commencé à affluer aux environs de deux heures de l’après-midi. Les jeunes dansaient, buvaient, fumaient et s’amusaient aux rythmes entrainants du rabòday et des sons du rappeur « Kolonèl Freez ».
La rue de l’Enterrement est connue pour être l’une des pionnières de l’organisation de ce type de festivités qui rassemble à chaque fois des milliers de gens. Pour des jeunes de la zone, le « car wash » du 19 juillet était l’occasion pour relancer les activités qui battaient de l’aile dans le quartier à cause de la période du confinement.
Aux environs de six heures de l’après-midi, l’activité a atteint son paroxysme. Trois voitures de police surgissent à ce moment, expliquent des témoins. Les agents se sont stationnés à l’extrémité du carrefour à l’angle des rues de l’Enterrement et Chareron.
Les policiers ont commencé par créer du désordre dès leur arrivée, disent à l’unisson deux groupes d’une dizaine de citoyens de la zone qui racontent avoir participé à la soirée.
En réaction à l’agression, des membres de la population auraient lancé des bouteilles et des pierres en direction des forces de l’ordre. « Les policiers sont en faute ! Ils ne peuvent pas vouloir stopper un programme et dès leurs arrivées, ils commencent à tabasser les gens, à les frapper avec la crosse de leurs armes », s’est indigné un des jeunes fêtards, visiblement dans la vingtaine. Les car wash sont interdits pendant la pandémie du coronavirus.
Plusieurs victimes
Le porte-parole adjoint de la PNH, Gary Desrosiers, n’a pas réagi pour donner la version de l’institution. Après les événements, le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Jacques Lafontant, avait blanchi la PNH et mis en cause les organisateurs du car wash. Pour Lafontant, qui a remis sa démission depuis, ce sont les fêtards qui ont ouvert le feu sur les policiers. Les agents ont dû répliquer pour se défendre.
Plusieurs personnes sont sorties blessées ou mortes après l’intervention de la police. Le dernier bilan faisait état de trois décès. Beaucoup de victimes des coups, blessures par balles, ou qui ont été électrocutées sont aujourd’hui éparpillées dans divers hôpitaux de la capitale.
Alors que l’affrontement se déroulait, des victimes se sont engouffrées dans l’entrée qui donne à la salle d’urgence de l’hôpital Saint François de Sales, perturbé par les bruits du « car wash ». Selon les responsables de la structure, les blessés étaient nombreux, et la plupart sont partis le lendemain du drame après avoir été pansés. D’autres ont été transportés à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti, ou vers d’autres hôpitaux privés de la capitale.
Conflit ouvert
Les événements de dimanche dernier réveillent un conflit latent entre l’hôpital Saint François de Sales et des citoyens de la Rue de l’Enterrement. Certains accusent les responsables de l’hôpital d’avoir appelé la police et causé la tragédie. Très remontés, des habitants de la rue décrivent les responsables de la structure catholique comme des voleurs avides qui priorisent l’argent sur l’humain.
Un peu plus bas de l’hôpital, une demi-douzaine de jeunes tient conciliabule sous une galerie, lundi dernier. Un d’entre eux, Johnny — nom d’emprunt — a le visage balafré. Il a pris part au car wash de dimanche. « Tu vois cette marque sur mon visage, dit-il en colère, j’ai passé deux heures à l’hôpital Saint-François de Sales pour être cousu. Ils m’ont demandé 23 000 gourdes. Si tu n’as pas d’argent, tu ne recevras pas de soin. Il faut faire un dépôt avant. Ce sont des voleurs. Les jeunes du quartier auraient dû le brûler. Si je n’avais pas menacé avec mon arme les agents de sécurité de l’hôpital, ils n’auraient pas laissé entrer les gens hier soir [dimanche 19 juillet]. »
Le conflit vient de loin. Selon Johnny, l’hôpital n’a jamais « coopéré » avec eux et ses responsables causent toujours des problèmes aux « autorités de la zone », lorsqu’ils essaient d’apporter un peu de « plaisir » à la population.
Pour Roland, un homme dans la cinquantaine, « cet hôpital est bien plus cher que celui de Canapé Vert. Si vous n’avez pas d’argent, vous allez mourir ». Ce personnage pense aussi qu’il faut mettre le feu à l’édifice. Alors qu’il exprimait cette position, un citoyen qui était en train d’écouter d’une oreille distraite protesta contre l’idée, même s’il regrette la cherté des services offerts par la structure.
Communauté exclue
Pour manifester leur colère, des habitants de la Rue de l’Enterrement ont lancé des bouteilles à l’intérieur de l’hôpital, érigé des barricades de pneus enflammés, placé des pierres tout le long de la chaussée et installé des carcasses de voitures obstruant la route menant à la structure lundi dernier, dans la matinée. À cause de cela, les responsables ont dû faire appel à des agents de la PNH pour rétablir l’ordre.
Les médecins et autres personnels se disent terrorisés par les menaces des hommes armés qui sont entrés dans l’espace réservé à l’urgence de l’hôpital.
Le directeur médical a. i dit être conscient que la communauté avoisinante de l’hôpital a été exclue dans les travaux de la reconstruction de l’édifice
Le directeur général adjoint de Saint-François de Sales, Monseigneur Jean Théodule Domond, fait savoir qu’il ne comprend pas pourquoi la population est si en colère contre la structure sanitaire. « Cette institution est le bras social de l’Église catholique et elle offre des services à des prix accessibles à toutes les petites bourses de la communauté », soutient le prélat qui dit être au courant des rumeurs faisant croire que l’hôpital dessert uniquement les riches.
Pour sa part, le Dr Joseph Rodrigue Clériné, directeur médical a. i de l’entité, dit être conscient que la communauté avoisinante de l’hôpital a été exclue dans les travaux de la reconstruction de l’édifice, il y a trois ans. Il assure que l’inclusion de la communauté dans les activités de l’hôpital reste pour lui une préoccupation.
Hervia Dorsinville
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