La deuxième ville du pays reçoit ces derniers mois une attention sans précédent
Pour célébrer leur premier anniversaire de mariage, Sasha Nahellie Laguerre et Claude Emmanuel Pressoir se sont rendus au Cap-Haïtien. La ville n’était pas leur premier choix, tant les options qui s’offraient à eux étaient multiples. La cité christophienne finit par l’emporter, parce que c’est dans cette ville qu’ils s’étaient mariés.
Les époux Pressoir sont arrivés le 3 août, une dizaine de jours avant que la frénésie ne s’empare de la ville. Ils y ont passé vingt jours, inoubliables selon Laguerre. « Lorsqu’on planifiait ce voyage, cela ne nous a jamais effleuré l’esprit qu’il y aurait tout ce monde dans la ville », dit-elle. Tous les vols de la compagnie aérienne Spirit, qui fait le trajet de la Floride au Cap-Haïtien étaient remplis, et les prix ne faisaient que grimper.
À cause de l’insécurité qui règne en maître à Port-au-Prince, la deuxième ville du pays est devenue par défaut le lieu de villégiature de centaines de vacanciers. L’affluence a coïncidé avec le 352e anniversaire de la fondation de la ville.
Capoise vivant à Port-au-Prince, Marcelin Damaëlle Gustave et quatre autres amis avaient eux aussi pris la décision de se rendre dans leur ville natale pour la fête. « C’est la première fois que j’ai vu autant de gens dans la ville, depuis que le carnaval national s’y est déroulé en 2013. Cela m’a même intimidée », témoigne-t-elle.
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Cette manne tombée du ciel a profité à plus d’un, notamment les lieux d’hébergement et de restauration. Le boulevard, célèbre rue de la ville où s’étalent les uns aux côtés des autres hôtels et restaurants, était pris d’assaut. Presque aucune chambre d’hôtel ou de maison d’hôte n’était libre pendant toute la période.
Gregory Petit est entrepreneur. Il est l’un des premiers Capois à avoir adopté Airbnb, le célèbre service de location de maison d’hôte. Depuis près de six ans, ses chambres ne désemplissent pas. Le mois d’août, explique-t-il, est en général la haute saison. Mais cette fois, l’affluence a dépassé les attentes. « J’avais tellement de demandes que j’ai dû caser quelques personnes chez des particuliers qui avaient des chambres disponibles », dit-il.
À cause de l’insécurité qui règne en maître à Port-au-Prince, la deuxième ville du pays est devenue par défaut le lieu de villégiature de centaines de vacanciers.
Une pléiade d’activités, pour certaines qui se déroulent d’habitude dans la capitale, ont été délocalisées au Cap. Des Haïtiens vivant à l’étranger, profitant du fait que la ville dispose de l’un des deux seuls aéroports internationaux du pays, ont fait le trajet sans passer par Port-au-Prince.
Marki Lu, une Haïtienne vivant à Paris, a décidé de passer ses vacances dans son pays natal. Elle ne tarit pas d’éloges sur l’accueil qu’elle a reçu dans le Nord, et sur les expériences qu’elle a vécues. « J’avais besoin de me ressourcer, dit la juriste en entreprise. Comme le pays me manquait, je ressentais ce besoin d’y retourner assez rapidement. Haïti m’appelait. »
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Pour elle, visiter Haïti passe par une visite au Cap. « J’ai fait plusieurs soirées et tous les sites touristiques incontournables. À Vertières j’ai posé avec les héros [de l’indépendance] et cela m’a émue », dit-elle.
Au milieu de cette chaude ambiance, de petits entrepreneurs se plaignent de ne pas avoir recueilli plus de graines de la manne économique qu’ont apportée ces quelques jours.
Guyvens Saint-Preux a ouvert en 2021 Bon ti Kasav, qui met en boîte de la cassave faite dans la ville. Différentes saveurs comme la cassave au hareng saure, ou encore à la pistache sont proposées à une clientèle qui vient en général d’autres villes du pays. Il avoue que ses commandes n’ont pas diminué, mais n’ont pas non plus explosé pendant l’affluence des visiteurs.
« Ce sont surtout les hôtels, les bars, les lieux de restauration en général qui se trouvent sur le boulevard qui en ont le plus bénéficié », regrette-t-il.
Ce constat est partagé par d’autres vacanciers ou entrepreneurs. Certains grands hôtels, s’ils ne se trouvent pas au cœur de la ville, proposent une expérience unique à leurs clients, qui ne les encouragent pas à visiter le Cap-Haïtien. Ils préfèrent ainsi rester dans ces lieux d’hébergement, et visiter quelques monuments comme la Citadelle, sans parcourir les rues de la ville.
Le Cap-Haïtien connaît depuis plusieurs mois une pénurie d’électricité.
« Si le visiteur a des amis au Cap-Haïtien, alors il visitera la ville, mais sinon il se fera conduire directement au boulevard où ont lieu toutes les activités », ajoute un autre entrepreneur qui souhaite rester anonyme, parce que dit-il « le sujet est très polarisant dans la ville ».
Par ailleurs, certains estiment que la deuxième ville du pays n’était pas totalement prête pour recevoir ces visiteurs. Le Cap-Haïtien connaît depuis plusieurs mois une pénurie d’électricité, qui ne fait que s’aggraver de jour en jour. Un problème de disponibilité des produits pétroliers, pour faire fonctionner les centrales, en est la principale cause.
Les vacanciers, pour la plupart, n’en ont pas été conscients, vu que les hôtels et guest house se sont convertis au solaire.
Un autre problème non encore résolu a frappé certains visiteurs : les immondices. Marki Lu, à qui cette tournée au Cap-Haïtien n’a laissé que de bons souvenirs, estime quand même avoir été choquée par l’insalubrité à l’entrée de la ville, en passant par la route de l’aéroport pour arriver sur le boulevard.
« Je suis venue quelques jours avant le début des festivités et ce n’était vraiment pas beau à voir. C’est révoltant, poursuit-elle. Les jours qui ont suivi, j’ai vu qu’ils ont fait des efforts, mais ce n’est pas encore suffisant. Et il ne faut pas attendre une forte affluence pour le faire ».
Selon Gregory Petit, qui a écrit un livre sur la gestion des déchets, rien n’a été fait pour donner une image positive de la ville, à ce niveau.
Il y a quelques semaines, la mairie du Cap-Haïtien a annoncé qu’elle ne pourrait plus faire la collecte des immondices dans la ville, à cause de la pénurie d’essence, qui a aussi fait grimper le prix des produits pétroliers sur le marché noir.
Toutefois, malgré ces manquements, le Cap-Haïtien était l’une des seules destinations du pays, pour ceux qui voulaient jouir de leurs vacances. D’autres villes comme Jacmel ou les Cayes souffrent du banditisme qui coupe la route menant vers le Sud.
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Au Cap-Haïtien, Sasha Laguerre estime qu’elle s’est sentie en sécurité. « L’hôtel où on est descendus était super, explique-t-elle. Mais comme il est situé à plusieurs kilomètres du centre-ville, parfois on rentrait tard. »
Dans une entrevue accordée à AyiboPost il y a quelques mois, le maire assesseur Patrick Almonord avait expliqué que les autorités de la ville avaient pris des dispositions, de concert avec la Police nationale, pour empêcher que le grand banditisme de la capitale ne s’installe dans la deuxième ville du pays.
Grâce à cette sécurité toute relative, tous les yeux ont été braqués sur la ville. Mais, pour Guyvens Saint-Preux, c’est une opportunité ratée pour les responsables de la ville qui auraient dû en profiter, de concert avec les citoyens, pour changer l’image de la cité christophienne pour de bon.
D’autres activités, traditionnellement l’apanage de Port-au-Prince, sont annoncées au Cap-Haïtien. C’est l’exemple du Festival de Jazz de Port-au-Prince, qui sera organisé, contrairement à son nom, au Cap.
Couverture : Alex Proimos
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