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Barbecue a payé pour l’enterrement d’un journaliste assassiné

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John Wesley Amadi, tué à Laboule, était-il un membre du G9 ou un journaliste bien trop proche du chef de gang Jimmy Chérizier ?

Read in English : A gang leader paid for the funerals of a murdered journalist in Haiti

La brise matinale résistait encore aux assauts du soleil naissant quand la délégation arrive sur la scène du crime à Laboule 12, le 7 janvier dernier. Deux corps froids, l’un face contre terre et l’autre, vide d’expression, contemplant le ciel, sont étendus à proximité d’une ravine. Au moins quatre perforations peuvent être observées sur le cadavre de John Wesley Amadi, deux à la tête et deux autres dans le ventre. Une paire de projectiles ont fini leur course dans le crâne et le cou de son compagnon d’infortune, Wilguens Saint-Louis.

La foule retient sa stupeur. Des gangs, sensibles à la gâchette, se partagent les interstices de la localité aux terrains accidentés dans les hauteurs de Port-au-Prince. Ce matin, il a fallu une délégation d’une vingtaine de policiers, transportés dans trois pickups visiblement fatigués, deux dizaines de journalistes des médias en ligne et quelques membres de la famille des victimes pour récupérer les corps sans vie des professionnels, brutalement assassinés le jour d’avant, en marge d’un rendez-vous avec un gang de la localité.

Le groupe se hâte, enfile les corps dans des sacs mortuaires, reprend le chemin du retour pour se rendre au commissariat de Pétion-Ville, situé à douze minutes du lieu du drame. Et sur place, un juge de paix donne l’autorisation de transférer les exécutés à la morgue Zenith de la rue de l’Enterrement.

Amadi et Saint-Louis sont membres de médias en ligne. Raison pour laquelle les journalistes ont accompagné la famille jusqu’à la morgue, en signe de solidarité. À l’intérieur du salon funéraire, un journaliste s’approche de la sœur de John Wesley Amadi, vers les onze heures. Furtivement, il lui passe une enveloppe remplie de billets, rapporte un témoin : c’est un cadeau de Jimmy Cherizier, le chef redoutable de la coalition de gang, G9.

La sœur de la victime confirme à AyiboPost que la famille avait reçu une somme du journaliste en question. Elle révèle que l’enterrement, fixé à 300 000 gourdes, ne leur a rien couté. D’anciens collègues ont contribué. Mais elle refuse de dévoiler l’apport exact de Barbecue. Le travailleur de la presse confirme aussi avoir, avec un collègue, servi de pont entre le caïd de Delmas 2, et la famille du défunt. Selon ses dires, « rendre ce service ne fait aucun mal à personne ». Il demande l’anonymat pour des raisons de sécurité.

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Le double meurtre de Laboule 12 divise le secteur des médias en ligne. Il lance un débat bouillonnant sur la relation des journalistes aux gangs, le métier de « fixer » pour les médias internationaux, la précarité des travailleurs de la presse et le vide éthique, qui happe bien des carrières. Il démontre aussi le rôle grandissant joué par les plateformes internationales comme YouTube et Facebook qui rémunèrent grassement les vidéos « sensationnelles » des gangs, créant par là un incitatif économique pour des jeunes, livrés à eux-mêmes dans un métier ingrat et faiblement payé.

« John Wesley Amadi était un membre de l’équipe de communication de Jimmy Chérizier », déclare un journaliste étranger, ayant interagi avec le professionnel à plusieurs reprises. Selon ce dernier, Amadi offrait à la presse internationale l’accès à Jimmy Chérizier au prix de 3000 dollars américains. Un autre journaliste évoque un montant oscillant entre 3000 et 5000 dollars par entrevue.

Les « fixers », sorte d’accompagnateurs de professionnels étrangers, exigent souvent des montants élevés, encore plus dans les pays dangereux. Cependant, Amadi ne semblait pas s’arrêter là. Au moins avant un des multiples entretiens réalisés par la presse étrangère avec Barbecue, il s’est chargé de communiquer les points forts du programme « de développement » du chef de gang pour le pays. Sur le terrain, il fait la coordination et démontre sa complicité avec le leader du G9.

Lire aussi : Des bandits attaquent cette journaliste à Grand Ravine. Son média l’abandonne.

C’est aussi Amadi qui filmait la plupart des vidéos où l’on voit Jimmy Cherizier seul, avec une personne de l’autre côté de la caméra, avant et même après qu’il a commencé à organiser des conférences de presse, révèlent deux de ses anciens collègues. La plupart de ces vidéos étaient diffusées sur la page Facebook de Barbecue, avant que la firme de Marc Zuckerberg ne supprime son compte.

John Wesley Amadi faisait office de chauffeur lorsque Jeremy Dupin devait tourner un documentaire sur Barbecue pour le média américain Vice, en 2020. Dupin dit ne pouvoir ni confirmer ni infirmer les allégations d’adhésion de Amadi au G9. Les accusations de proximité avec le gang ne lui sont cependant pas étrangères : bien avant la mort d’Amadi, un animateur radio le pointait du doigt en 2021 pour son affiliation aux groupes armés illégaux. « C’est possible qu’il y ait des journalistes sur le payroll du G9 », déclare Dupin.

Un troisième individu ayant accompagné Amadi et Saint-Louis à Laboule 12 a pu s’enfuir lors de l’attaque. Après le carnage, des participants à un groupe WhatsApp réunissant des journalistes de médias en ligne sont rentrés en ébullition. « Qui aurait cru que ce sont ces gars qui seraient morts sous les balles de bandits », a écrit un participant. « Les bandits n’ont jamais d’amis », a rétorqué un deuxième membre du groupe.

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Peu de lois mentionnent le métier de journaliste en Haïti. Il revient donc aux personnes, puis aux institutions, d’encadrer par l’éthique et la déontologie, ce que la législation ne réprime pas.

Pour les festivités à l’Arcahaie le 18 mai 2022, le gouvernement d’Ariel Henry avait mis de l’argent à disponibilité de certains journalistes, confirment deux professionnels au courant des distributions. Les ONG aussi, souvent, distribuent à la fin des conférences de presse de « l’affection », terme faisant référence à la pratique bien établie de transfert direct d’argent entre des journalistes et leurs sujets.

Les gangs redistribuent aussi une partie de leurs gains. Une illustration de cette façon de procéder vient du mois d’aout 2021. Un clash opposait Izo et Manno avec l’ambassade de France en Haïti. L’institution accusait les chefs de gangs de tentative d’extorsion, et en réponse, ces derniers ont convié des journalistes de médias en ligne à une conférence de presse. Une demi-douzaine de professionnels ont fait le déplacement.

Après la conférence, l’épineuse question de « l’affection » a été soulevée. « Nous n’avons pas d’argent pour l’instant, mais quelqu’un doit nous apporter l’argent d’un kidnapping. Si vous pouvez attendre, on pourra vous payer », aurait alors déclaré Manno. Selon les témoignages d’une personne proche des journalistes présents sur la scène, ils ont attendu et reçu chacun un montant en dollars américains.

« La question de l’argent a bien été soulevée par la personne organisatrice », a déclaré à AyiboPost un des journalistes ayant pris part à la conférence. « Mais je n’ai rien reçu, parce que les views générées par ces genres de vidéos sur YouTube et Facebook peuvent nous rapporter bien plus que ce que nous offrent les chefs de gangs. »

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Monétiser ces contenus visuels peut rapporter gros. « J’engrange parfois 300 dollars américains après la publication d’une seule vidéo, et je peux gagner environ 2700 dollars pour un bon mois », révèle le gestionnaire d’une page ayant plus de 100 000 abonnés sur Facebook.

Les contenus « tristes », ou qui mettent les gangs en scène sont les plus visionnés. De ce fait, ils rapportent encore beaucoup plus d’argent.

Et pour les tourner, point besoin d’un diplôme en journalisme. Amadi n’en avait pas. Il détenait un diplôme de « génie électronique » lorsqu’il est embauché comme metteur en ondes à Radio Megastar en 2013, 2014. Le salaire, déjà irrégulier, était chétif, selon un de ses anciens collègues.

Lorsqu’il est embauché en 2018 par la radio Ecoute FM après son départ de Megastar l’année précédente, il se rendra rapidement dans les zones contrôlées par les gangs comme à Savien, dirigé par Odma, mort depuis, ou à Jean Denis fief de Ti Mepri dans l’Artibonite. Ses vidéos feront la popularité du média, peu connu à l’époque.

« C’est malheureusement une tendance au sensationnalisme », observe Harold Isaac, un journaliste basé en Haïti, mais qui travaille pour de nombreux médias internationaux de premier plan. En ligne, ces jeunes se livrent à une compétition à l’éthique élastique pour obtenir l’attention des internautes. Il est aussi bruit que parfois ils sollicitent financièrement des sources, ce qui est contraire à l’éthique, pour publier du contenu. Ce phénomène risque malheureusement de s’empirer « spécialement avec les élections au tournant », prédit Isaac.

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La quête du sensationnel, pour des raisons idéologiques ou d’audimat, atteint aussi les médias internationaux.

Depuis la montée en puissance des gangs, des journalistes étrangers débarquent souvent en Haïti, et se proposent d’interviewer les barons du crime, parfois sous un angle qualifié d’irresponsable par des experts du pays. « Les messages de haine partagés à une audience large constituent du terrorisme publicitaire », selon l’expert en sécurité, James Boyard.

Progressivement, les gangs comprennent le jeu et se positionnent pour en tirer profit. Le 1er août 2021, le média français M6 rend publique une enquête « exclusive » sur les gangs en Haïti. Quelques semaines avant, Amadi et un autre journaliste haïtien sont chargés par ce média de négocier une entrevue avec Lanmò San Jou, le leader de 400 Mawozo. Ce gang avait kidnappé trois religieux français le 11 avril de la même année.

« Lanmò San Jou avait demandé 20 000 dollars américains pour donner l’entrevue », révèle à AyiboPost l’autre journaliste délégué pour négocier avec le chef de gang.

Lire enfin : Ce journaliste a reçu une balle en plein œil. Il revient à la charge.

M6 a refusé de payer pour l’entrevue, selon le professionnel de la presse. Lanmò San Jou, conseillé par Germine Joly (Yonyon) depuis sa cellule de prison, n’accordera pas l’entrevue gratuitement. Il laissera partir les émissaires, après avoir sniffé en leur présence de la poudre blanche et massacré un cabri à la mitrailleuse.

Cependant, certains médias étrangers trouvent une façon d’obtenir des entrevues avec les chefs de gangs, sans violer le sacro-saint principe du non-paiement des sources, inscrit en lettre forte dans les règlements internes de leurs corporations : « Ils paient grassement les fixers, qui eux se chargent de rémunérer les gangs et leurs alliés », révèle un journaliste haïtien ayant collaboré à plusieurs reprises avec des médias internationaux.

La proximité de John Wesley Amadi avec les barons du crime en Haïti a tour à tour servi aux médias dirigés par des Haïtiens et aux structures internationales. Il occupait un logement brinquebalant à Wharf Jérémie, fief de Micanor, un chef de gang, mais dormait parfois à l’hôtel Marriott de Port-au-Prince, tous frais payés par des corporations étrangères, à l’affut des dernières déclarations des gangs. Lorsqu’il est mort, une page Go Fund Me, lancée au nom de Jeremy Dupin a récolté 10 530 dollars américains. L’objectif affiché était de 20 000 dollars.

Son corps froid, face contre terre, et celui de Wilguens Saint-Louis, vide d’expression, ont été retrouvés à proximité d’une ravine à Laboule 12, un lundi ordinaire en janvier dernier. Les bandits ont dépouillé les deux professionnels de leurs sacs à dos, et de leurs équipements. Le cadavre de John Wesley Amadi était aussi privé d’une paire de baskets tendance, donnée en cadeau par une équipe de journalistes étrangers débarqués en Haïti, révèlent deux témoins.

La photo de couverture est de Mackline Jeudy.

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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