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La police a ciblé des journalistes lors de la manifestation des ouvriers

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« Il y avait une chasse aux journalistes aujourd’hui », déclare le responsable d’un média en ligne, présent lors de l’évènement. Un de ses employés a reçu une bombe de gaz lacrymogène dans l’œil

Des policiers en uniforme à bord d’une voiture « zoreken » blanche. Des crépitements de balles. Au moins un journaliste tué, et deux autres blessés… il était midi, environ, sur la route de l’aéroport, ce mercredi 23 février 2022, lorsque la violence meurtrière s’est invitée à la première manifestation des ouvriers, après l’annonce par l’administration d’Ariel Henry d’une augmentation salariale jugée irrecevable par les protestataires.

Les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser chaque petit attroupement de manifestants toute la matinée aux alentours de Carrefour Trois Mains, rapportent trois témoins.

Une bombe de lacrymo lancée sur les protestataires par la police sera redirigée vers une entreprise sur la route de l’aéroport, qui elle, fermera ses portes, rapporte Jephté Bazil, un journaliste de 27 ans, ayant assisté à la scène.

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Vers midi, la fureur du mouvement n’était plus à son pic. De petits regroupements de journalistes et de protestataires interagissaient près de la Brasserie Nationale d’Haïti, quand un véhicule blanc, occupé par des individus en uniforme de police surgit.

« Ils ont commencé à tirer à hauteur d’homme bien avant la passerelle de BRANA », rapporte Robest Dimanche, un journaliste de Radio Zenith, présent sur la scène.

Dimanche court s’abriter. Son collègue, Maxihen Lazzare, faisait un « live » juste derrière son dos. Il est projeté à terre. Non parce qu’il voulait parer les balles. Mais parce qu’il était atteint d’un projectile à l’estomac. Les médecins prononceront sa mort plus tard dans la journée à l’hôpital.

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« La police est méchante avec les journalistes », analyse Jephté Bazil, qui a vu un collègue touché au pied « gigoter pour aller s’appuyer contre un mur ». Il dit avoir assisté une scène où la police a lancé du gaz lacrymogène sur trois journalistes, ce 23 février. Un des policiers a déclaré, selon Bazil, que ce sont les « journalistes qui sont responsables si les manifestants sont encore dans les rues, puisqu’ils leur tendent leur micro. »

Ralph Tedy Erol, directeur du média en ligne Ted’Actu, se trouvait aussi dans les rues, pour couvrir la manifestation. « Il y avait une chasse aux journalistes aujourd’hui », dit-il. Un des employés de son média, Edouard Fredner, 26 ans, a reçu une bombe de gaz dans l’œil. « Il est touché à la rétine nous a-t-on dit à l’hôpital », révèle Erol.

Dans la matinée, un autre journaliste avait été frappé dans l’œil lui aussi, selon Tedy. Un autre témoin interviewé par AyiboPost corrobore cette information. Les journalistes étaient-ils spécifiquement visés ? « Je ne peux dire qu’ils tiraient sur nous, mais la majeure partie des victimes sont des journalistes », remarque de son côté Robest Dimanche, présentateur à Zenith FM.

Les ouvriers avaient annoncé pour ce mardi la poursuite de leurs mouvements de protestations. Ils exigent 1 500 gourdes comme salaire minimum, pour parer l’inflation galopante, mais aussi l’absence d’augmentation depuis trois ans, contrairement à ce qu’exige la loi.

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Lundi dernier, l’administration en place rendait public un ajustement augmentant jusqu’à 54 % les salaires de certains ouvriers. Ces derniers accusent une fin de non-recevoir à cette offre. « On doit commencer à négocier à partir de 1 000 gourdes », a déclaré ce 23 février Steven Irvenson Benoit, lors d’une interview exclusive accordée à AyiboPost. L’ancien parlementaire, directement impliqué dans les luttes pour la justice salariale en Haïti, critique la gestion « démagogique » de ce dossier par l’administration « de fait » à la tête du pays.

Les requêtes d’AyiboPost pour savoir si le gouvernement d’Ariel Henry a changé sa position depuis son annonce de lundi n’ont pas abouti avant la publication de cet article. Sur Twitter, le Premier ministre de fait a déploré la mort du journaliste. Il dit condamner « les violences qui ont causé des blessés. »

« Tout en s’engageant à garantir la liberté de manifester, dans le respect de la loi et des valeurs républicaines, le gouvernement rappelle la responsabilité des pouvoirs publics d’assurer l’ordre et la sécurité en vue de rétablir la paix », a continué Ariel Henry.

Ces protestations surviennent dans un contexte politique difficile. Le mandat du président Jovenel Moïse a pris fin de façon incontestable le 7 février 2022. Mais Ariel Henry, supporté par des diplomates étrangers et une coalition de partis politiques, menée par l’avocat André Michel, refuse de quitter le pouvoir. Il déclare vouloir organiser des élections cette année, après l’aboutissement du processus de changement de Constitution engagée par l’ancien président, Jovenel Moïse, assassiné dans l’intimité de son lit, le 7 juillet 2021.

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« Les manifestations vont continuer », déclare à AyiboPost, Télémaque Pierre, porte-parole de la plateforme syndicale des usines du textile.

Le syndicaliste estime « juste » les 1500 gourdes demandées par les travailleurs. Selon ses dires, les représentants légaux des ouvriers vont sommer la Police nationale d’Haïti pour pouvoir obtenir le nom des policiers en fonction dans les environs de la manifestation ce 23 février. Deux ouvriers ont également été touchés par des projectiles de la police, révèle Pierre.

La photo de couverture a été prise lors de la manifestation de ce 23 février 2022.

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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