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Avec Kowonastigma, Michèle Lemoine s’essaie à la chanson

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 Interview avec Michèle Lemoine, gardienne du théâtre haïtien qui éprouve son talent dans un nouveau genre, la chanson

Les Productions Inhumaines avec le soutien de la « Fondasyon Konesans ak Libète » (FOKAL) ont présenté au grand public leur toute première création : la chanson Kowonastigma. Jehyna Sahyeir, Léo, Staloff Tropfort et d’autres artistes ont créé cette chanson avec l’idée de parler de la stigmatisation en temps de Coronavirus.

L’état d’urgence imposée par la maladie a été levé en juillet dernier. L’hécatombe prévue ne s’est pas réalisée, et la majorité des gens ont jeté leurs masques en même temps que le respect des mesures barrières. Mais, il y a toujours un risque d’être infecté au Coronavirus en Haïti. Et ces artistes apportent leur participation au travail de sensibilisation contre la pandémie.

Ayibopost a discuté avec Michèle Lemoine, la tête pensante du projet.

Bonjour Michèle Lemoine. KOWONASTIGMA est une chanson contre la stigmatisation. On a globalement compris l’idée. Avant de commencer, j’aimerais savoir comment vous avez vécu le confinement.

Eh bien ! pas plus mal en fait. Je suis restée chez moi et j’ai vraiment respecté toutes les consignes de prévention. J’ai travaillé chez moi. Bon, j’étais dans une situation où je pouvais faire du télétravail.

Donc, on a continué à fonctionner au niveau de l’administration et au niveau de certains programmes, pour parler de mes collègues à FOKAL. J’ai beaucoup travaillé, beaucoup fait de réunions à travers l’application Zoom. J’ai même organisé une lecture débat d’une pièce de théâtre sur Zoom qui a bien fonctionné.

Dans ce cas, la collaboration pour la réalisation de ce projet était une belle expérience ?

Oui, c’était une expérience difficile surtout. Parce que c’est une idée qui est née tout au début du confinement, on a mis du temps pour y arriver. Même si on était enfermé, cela ne nous empêchait pas d’observer les choses, d’écouter les informations, de nous tenir au courant de ce qui se passait.

Bon, on était à un moment où l’on craignait le pire pour Haïti. Et l’un des phénomènes qui nous a le plus choqués, et moi-même personnellement cela m’a beaucoup indigné, c’est ce problème de stigmatisation sur lequel d’ailleurs Ayibopost avait fait un article très intéressant. Donc, le fait de s’en prendre aux hôpitaux, aux ambulances et même aux gens qu’on soupçonnait d’être infecté par le Coronavirus, je trouvais cela extrêmement violent dans les circonstances que nous vivions.

Le problème que vous abordez dans cette chanson ne concerne pas uniquement le coronavirus. Cela reste vrai pour le choléra, le SIDA et d’autres maladies infectieuses comme la tuberculose…

Oui oui, bien sûr, là, on a pris comme exemple le Coronavirus parce qu’on était en plein dedans. Mais c’est valable pour toutes sortes de choses, pas seulement pour les maladies. [Je parle du] rejet de l’autre à cause d’une différence, d’une infirmité, de son poids, de son apparence, de sa race ou de son genre.

C’est quelque chose qui est très présent dans toutes les sociétés d’ailleurs, pas seulement en Haïti. On parle d’Haïti parce que nous sommes en Haïti. C’est lié surtout à l’ignorance en ce qui concerne les maladies contagieuses. Et d’ailleurs, j’en profite pour vous annoncer que dans deux ou trois semaines nous allons faire un débat en ligne sur le thème de la stigmatisation. Ce débat va aborder le problème dans tous les sens.

Pensez-vous que ce projet, la vidéo, va vraiment faire un impact ?

Je ne me fais aucune d’illusion à ce sujet. Je pense que la chanson, c’était d’abord pour exprimer ce que nous pensions. Bon, là, on a enregistré quelques visionnages, on est arrivé à presque 9 000. Et si ça atteint quelques personnes, c’est tant mieux. Parce que ces personnes pourront parler à d’autres si on a réussi à les convaincre.

Parce que l’histoire de la chanson, c’est de dire : si vous faites cela, vous risquez d’être victime aussi de la stigmatisation. Et c’est pour cela qu’on a choisi de le dire avec les mots les plus simple possible et avec des histoires qui peuvent concerner directement les gens, où ils peuvent se reconnaître.

Le personnage de Madan Lesage…

Ben ouais, tout le monde connaît cela en Haïti. Premièrement si on ignore la maladie, si on refuse d’accepter qu’elle existe, si on rejette et agresse l’autre, cela ne va rien changer pour nous. Nous allons l’attraper de toute façon.

Donc, pour revenir à l’impact, c’est un tout petit et minuscule impact. Je pense qu’il faut s’engager dans cette direction. Et plus nombreux seront les gens qui s’engagent par divers médias que ce soit la chanson ou d’autres supports, plus cela aura d’impact. Et si l’on a laissé quelque chose, on est heureux.

Cette chanson sera disponible où ?

On va la mettre en téléchargement libre sur plusieurs pages. On va aussi la faire circuler sur WhatsApp. Et elle sera disponible à télécharger, si les radios veulent la passer, elles la passeront.

Est-ce que vous avez déjà essayé de faire des vidéos de ce genre ? Est-ce que FOKAL a l’habitude de participer dans ce type de projet ?

Non, je crois que c’est notre première expérience, mais ce n’est pas le cas pour FOKAL. C’est un projet spontané auquel FOKAL a participé en assumant le rôle de diffuseur général. Mais c’est une expérience bénévole pour le groupe d’artiste.

Maintenant, parlons un peu de Productions Inhumaines ? C’est quoi ?

C’est un nourrisson les Productions Inhumaines. On espère qu’elle va faire plein d’autres choses. C’est un groupe d’artistes engagés. Les artistes ont continué de produire durant tout le confinement. Dans tous les domaines, cela ne s’est pas arrêté durant le confinement.

Il y a eu une énorme vitalité dans ce milieu, et il y a beaucoup d’engagements aussi. [Les artistes] ne parlent pas pour ne rien dire. Et ce n’est pas seulement de l’art pour l’art. L’art pour l’art est très important aussi, mais il est très important que les artistes continuent à s’exprimer. Ils ont vraiment envahi les réseaux durant cette période et ne sont pas restés chez eux à se morfondre. Ils ont continué à créer.

Et pour revenir aux Productions Inhumaines, c’est quelque chose qui parle de choses inhumaines, mais en essayant de rester dans l’humanité. De remettre l’humanité au goût du jour, si vous voulez.

Souvent, quand les artistes sont face à l’adversité et le désespoir dans des situations comme le Coronavirus ou le séisme du 12 janvier, il y a une pique de créativité. Comment vous vivez cela ? L’avez-vous déjà connue, cette fièvre ?

Je l’ai connu comme tout le monde, au moment du tremblement de terre, du Peyi lòk. C’était une situation de forte adversité pour les artistes. Mais je crois que tout ce qui a de l’impact sur nous en tant que personne nous motive encore plus.

Et comme le but de l’artiste c’est de s’exprimer par la voie de la création, je pense que la conséquence que ce genre d’événement a sur eux, c’est de les faire créer encore plus et différemment, parce que ce sont des choses qui nous touchent au plus profond de nous-mêmes.

Comment travaillez-vous ?

[Productions Inhumaines] compte des chanteurs, des comédiens, des slameurs et des musiciens. Mais ce n’est pas une équipe qui est là constamment. Ce sont des artistes avec lesquels j’ai l’habitude de travailler très régulièrement. Et quand il y a un projet, je fais appel à une partie de l’équipe et parfois toute l’équipe. Ce n’est pas un groupe constitué, ce sont des gens qui se rassemblent sur un projet à chaque fois.

Avez-vous d’autres choses à ajouter ?

Je voudrais juste rajouter que le but aussi de Productions Inhumaines c’est de rassembler toutes les productions des artistes durant et après le confinement pour créer une mémoire de tout ça. Parce que souvent, on fait un truc et cela disparaît des écrans et des mémoires.

Moi ce qui je souhaiterais, c’est créer une page, un média où l’on pourrait répertorier tout ça. Cela va se faire petit à petit, parce que c’est un travail qui prend du temps.

Hervia Dorsinville

Photo couverture: Valérie Baeriswyl

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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