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Association des paysans de Vallue : un modèle de solidarité à valoriser

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En 1987, une initiative communautaire, à la périphérie de Petit-Goâve, s’est donnée pour mission de développer sa communauté. 30 ans plus tard, ses réalisations attirent chercheurs et curieux.

 

Samedi 18 juin 2016. Une vingtaine d’élèves de la classe de philosophie du Collège Saint Charles de Carrefour, accompagnés de leur professeur de sciences sociales, débarquent à Vallue, 12e section communale de Petit-Goâve. Il est 9 h du matin. Les rayons impatients du soleil peinent à se frayer un chemin à travers la végétation dense de cette localité montagneuse de 1500 habitants. À environ 65 km de Port-au-Prince, des sourires complices s’échangent sous les arbres fruitiers, et sont immortalisés avec les cliquetis et les flashs des ‘’téléphones intelligents’’.

Aujourd’hui, ces jeunes visiteurs s’apprêtent à vivre « L’expérience Vallue ». Un planning copieux : excursion dans un paysage verdoyant, visite du « Musée de la Montagne », dégustation de gastronomie bio locale et discussions avec les paysans sur leur niveau de vie remarquable. « Emmener les élèves à Vallue est une façon de les exposer à ce que les montagnes recèlent de ressources et contraintes. Une façon de leur faire voir l’importance des montagnes dans la planification du développement en Haïti. », explique tout sourire, M. Claude Kechner Louissaint, organisateur de la visite.

À l’heure actuelle, 52 % de la population haïtienne vit en milieu rural dans un pays où le relief est montagneux à 75 %. Parce que ruralité rime souvent avec pauvreté extrême, la localité de Vallue est sans conteste un cas atypique du monde rural.

Électrifié, l’endroit est accessible par une route carrossable de 13 km dont 7 sont revêtus de bandes bétonnées. Les bords garnis de pins et d’eucalyptus relèvent d’un décor de carte postale. Les paysans, sensibilisés à la question environnementale ont convenu de manière associative de ne pas abattre d’arbres sans l’approbation des inspecteurs qu’ils ont eux-mêmes institué.

15 sources d’eau sont captées, six citernes de 35 000 à 75 000 gallons anticipent la sécheresse. Une école communautaire accueille 350 élèves jusqu’à la classe de rhéto et un établissement de santé concourt au traitement des urgences.

Pour s’informer, le paysan dispose de la radio communautaire Klofa Pierre et, un amphithéâtre, en hommage à Jacques Roumain, lui ouvre l’accès à la culture par la scène.

Un succès solidaire

Ces réalisations procèdent des efforts de l’Association des Paysans de Vallue (APV). Surgie dans la vague de création d’organisations, de syndicats et de partis politiques suite au départ de Jean-Claude Duvalier, l’APV est officiellement lancée le 3 février 1987. « C’est un instrument pour prouver que le progrès est possible à la campagne », explique M. Abner Septembre, membre fondateur de l’association. « Le paysan est une personne humaine, il a des aspirations de mieux-être et il peut réaliser de grandes choses s’il est encadré » poursuit-il.

vallue-3Malgré les exigences de la décentralisation établies par la Constitution de 1987, Haïti reste encore à forte concentration urbaine. Ainsi, « habiter la montagne, revient généralement à se placer en dehors de la société, des infrastructures, de l’éducation, de l’électricité, de l’assainissement », se plaint M. Faniel Laurent, paysan de la zone. Cependant, ajoute cet entrepreneur qui a initié le « Musée végétal de Zamor » : «L’APV nous permet de prendre notre destin en main par le développement de notre localité ».

 Aujourd’hui, l’APV compte plus de 5000 membres actifs dans une soixantaine de groupements de paysans, ou « districts », éparpillés à travers la région de Petit-Goâve. « Ce système organisationnel explique en grande partie notre succès. Dès le départ, l’ambition a été de rallier la population afin qu’elle discute de ses intérêts, contribue à l’élaboration et à la mise en oeuvre des initiatives, fasse un apport physique et matériel tout en y retirant des bénéfices » souligne Monsieur Septembre.

Une lutte contre l’exode rural

 L’espace urbain, avec ses infrastructures et ses vaines promesses de mobilité économique, exerce sur les paysans un attrait considérable. Selon Antonio Laviolette, peintre et sculpteur de Vallue, « aucune communauté ne peut survivre sans activités financièrement rentables pour ses membres ». Conséquemment, l’objectif premier de l’APV est « d’œuvrer pour une société inclusive où la technologie, la culture, l’économie et le développement peuvent être accessibles à la montagne ». Outre le renforcement des capacités des paysans, cette mission passe aussi par l’établissement d’activités génératrices de revenus, axées sur la valorisation de l’écologie de la montagne…

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C’est dans cette optique que Vallue accueille, depuis plus de 5 ans, des touristes haïtiens et étrangers à sa « foire de la montagne », les faisant vivre « L’expérience Vallue ». Après une formation en hôtellerie, les paysans sont encouragés à participer à ce programme d’immersion culturelle. Leurs maisons sont rénovées pour leur permettre d’héberger et nourrir ces visiteurs contre rémunération. Les visiteurs, pour leur part, expérimentent la vie rurale, côtoient l’histoire et la culture locale et consomment des produits locaux durant leur séjour.

Parallèlement, des centres de transformation, gérés par la localité, ont été construits pour multiplier les sources de revenus et endiguer le gaspillage des produits saisonniers. Ainsi, le lait produit sur place est transformé en yaourt et en fromage à la « Laiterie de la montagne » et les denrées agricoles périssables sont conservées à l’atelier de transformation « Topla ».

Un modèle organisationnel rigoureux

Si l’APV peut se prévaloir d’une implication communautaire significative dans ses initiatives, celle-ci est insuffisante pour expliquer son efficacité. « L’association n’existerait plus si elle était versée dans la politique », estime Monsieur ? Antonio Laviolette. La longévité de la structure résulte aussi de « la transparence et de la mise en place de mécanismes de renouvellement de ses dirigeants, et ce, malgré la réticence de certaines institutions partenaires à changer périodiquement d’interlocuteurs directs », déclare Monsieur Abner Septembre.

Dans un pays où toute initiative de coopération compense un tant soit peu l’irresponsabilité et les incapacités gouvernementales, l’APV prouve qu’avec peu de moyens, une vision claire sur le long terme et une implication populaire forte, un futur commun amélioré est envisageable.

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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