SOCIÉTÉ

Après l’arrestation d’Arnel Joseph, une mère habitant au Bicentenaire témoigne

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Le chef de gangs Arnel Joseph a été appréhendé par la Police aux Cayes le 22 juillet dernier. Au Bicentenaire, où il semait la terreur, on ne fête pas son arrestation. Une dame de la zone explique comment l’emprise des bandits a transformé la localité.

Il est 7h du soir, Manmida fait la vaisselle. Elle touche chaque assiette avec un sentiment d’impuissance et de résignation. « Personne n’avait peur de personne avant ces bagarres à Cité Plus », se plaint-elle dans un long soupir. La dame de 50 ans habite dans cette zone du Bicentenaire depuis plus d’une quinzaine d’années. Elle entreprend depuis 2003 un commerce de pain qui lui permet de prendre soin de ses cinq enfants qui sont à ce jour presque tous majeurs. « Avant ces perturbations dans la zone, je vendais du pain même durant la nuit tombant sans crainte », confie la mère.

Bicentenaire évolue toujours sous un climat de tension après l’arrestation d’Arnel Joseph le 22 juillet dernier. Pas plus tard que le samedi 3 août dernier, des tirs nourris ont été entendus dans le quartier.

La nouvelle de l’arrestation du chef de gangs n’a pas été célébrée comme cela a été le cas pour l’annonce de la mort d’autres bandits fait remarquer Manmida. « Nous nous sommes gardés de le faire parce qu’une fois, une rumeur faisait croire qu’Arnel était mort. Il est retourné après pour terroriser la population pour avoir jubilé sur son prétendu décès. »

Au fait, les affrontements entre des gangs rivaux au Village de Dieu et à Coq d’or agitent Bicentenaire et ses environs depuis mars 2017. Ces turbulences entraînent régulièrement la paralysie de la Route nationale numéro 2, ce qui perturbe les activités dans les départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand-Anse.

Une zone au passé violent

Tout a basculé, après le carnaval en février 2017.  Après s’être évadé de la prison, Arnel Joseph s’est rendu à Village de Dieu. Il y dirigeait une association de malfaiteurs avant d’être arrêté en 2011. « Arnel a assassiné le chef de gangs [le plus influent] d’alors pour le remplacer, se rappelle Manmida. Insatisfait de son exploit, le bandit voulait conquérir le village Plus. Pour ce faire, il a battu et tué tous ceux qui l’empêchait d’atteindre son objectif. »

Cité Plus compte quatre ruelles inter-reliées. La première qui se trouve en face du Théâtre national n’est séparée du Village de Dieu que par une ravine. La quatrième est aussi séparée par une ravine d’un autre quartier, la Cité de l’Éternel.

Pour commencer, les bandits du Village de Dieu se sont emparés du bureau du comité de la zone. C’est l’organe qui se chargeait entre autres de la gestion du courant électrique des ménages.

Et Manmida d’ajouter : « Par des affiches, le hors la loi [Arnel Joseph] a fixé les prix mensuels de l’électricité: 1000 gourdes pour les maisons en dalles, 500 gourdes pour celles qui sont en tôles. En plus de cela, certains de ses disciples commençaient à fouiller les résidents à une certaine heure de la nuit. Face à ces circonstances, un autre groupe de gang logé à Coq d’Or (en face du Bicentenaire, à proximité de l’Église de Dieu de la prophétie) était offusqué. Ils ont échangé des messages violents entachés de menace de part et d’autre sur internet. Depuis, Bicentenaire est bouleversé ».

Manmida ne peut plus gagner sa vie en vendant du pain et ne cache pas sa souffrance. Elle relate que pendant deux ans, les cas de meurtres et d’assassinats qui ont été perpétrés à Bicentenaire et dans ses environs sont innombrables.

Les turbulences ont bouleversé la vie des habitants de la zone

« Si vous venez à Cité Plus aujourd’hui avance la mère, vous pouvez croire que vous êtes dans un désert. Il n’en était pas toujours ainsi. C’était le parfait endroit pour ouvrir n’importe quel business, tellement il y avait du monde. »

Après que la zone ait été pris en otage, beaucoup d’habitants l’ont abandonné. Ceux qui avaient un peu d’argent ont loué des logements dans d’autres zones relativement calmes. Ceux qui, comme Manmida n’ont pas de moyens ont emménagé chez un proche. En juin 2018, Manmida s’est donc rendu chez sa sœur.

« Ma sœur m’a rendu un grand service en me recevant avec mes enfants. Mais la vie n’était pas rose chez elle », se souvient la dame. Elle ne voulait pas parler des expériences malencontreuses qu’elle a vécues chez sa sœur, mais Manmida confie qu’à un certain moment, sa sœur ne voulait plus d’elle dans sa demeure. « Elle m’a dit un bon matin qu’elle comptait affermer la partie de la maison que mes enfants et moi occupaient. » Perturbée, Manmida est retournée chez elle contre son gré et a laissé les enfants pour qu’ils puissent continuer leurs études en attendant qu’elle trouve une maison à louer.

Une zone sous tension après l’arrestation d’Arnel Joseph

Comme tout propriétaire du Bicentenaire, Manmida se sent lésée. Presque tous ses locataires sont partis, certains n’ont même pas attendu le terme de leur bail. « Maintenant je n’ai plus de clients pour acheter le pain, et toutes les pièces de ma maison sont vides. Je n’ai plus de sources de revenus. Ailleurs, les maisons sont très chères. Est-ce donc un moyen utilisé par l’État pour nous déloger de cette zone », se demande-t-elle.

Manmida est un nom d’emprunt utilisé pour protéger l’identité de la personne interviewée. 

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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