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Après la mort de son mari, elle s’occupe seule de sa fille autiste

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« Je n’ai plus cru en cette histoire d’autisme, dit Magella Charles. Je suis allée partout où il y avait des réunions de prières. Je demandais qu’on lui verse de l’eau bénite sur le corps. À chaque fois, elle était comme possédée »

Deux étagères où sont rangés une télévision, quelques bibelots et des assiettes. Une table et un vieux canapé recouvert d’un tissu jaune délavé. La pièce dans laquelle nous accueille Magella Charles fait à la fois office de salon, de salle à manger et de galerie. De nuit comme de jour, elle sert également de chambre à coucher, à la Ruelle Caravelle, non loin de Solino.

L’espace d’environ 5 mètres carrés, ainsi qu’un autre de même dimension, constitue la maison de la sœur cadette de Charles. Elle s’y est installée en janvier 2022, après la mort de son mari en janvier 2021, puis de son fils le 29 décembre 2021. Elle voulait ainsi éviter une possible dépression.

Alors qu’elle nous parle, Magella Charles tient dans ses bras l’enfant qui lui reste : Claudette Orcel. Elle aura bientôt huit ans, et elle est autiste.

Sous son calme apparent, la fillette déborde d’énergie et prend tout le temps de la quadragénaire depuis 2019. C’est l’année où on lui a diagnostiqué son trouble du comportement. C’est sa professeure de maternelle qui a encouragé Magella Charles à voir un médecin avec son enfant, parce qu’elle ne parlait pas du tout en classe. Le seul mot qu’on avait pu tirer d’elle était « maman ». Magella ne pouvait pas y croire, car ce mot, elle ne l’avait entendu qu’une seule fois de la bouche de sa fille, qui n’avait plus jamais parlé après.

Lorsqu’elle est allée avec Claudette Orcel au centre de thérapie la Petite chenille, on a diagnostiqué l’autisme à son enfant.

Un peu avant son diagnostic, Claudette était devenue agressive. Elle préférait passer seule ses journées plutôt que de jouer avec les autres enfants. Elle poussait des cris et riait sans arrêt, ce qui dérangeait sa mère.

« Elle pouvait passer une journée dans la cour, assise devant un arbre, dit Magella Charles. Elle riait sans cesse, et bougeait ses mains bizarrement. Elle parlait à l’arbre, lui proposait de la nourriture, comme s’il était une vraie personne ».

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Apeurée et inquiète, Magella Charles avoue qu’elle la frappait dans l’espoir de la sortir de cet état. Mais ni ses menaces ni ses coups n’ont servi à grand-chose. La fillette ne pleurait même pas. Elle ne pleurait jamais, au contraire de sa mère qui ne retenait pas ses larmes. Elle s’est même convaincue que c’était une punition divine ; sa fille avait sûrement péché pour mériter un tel sort. Elle a commencé à croire ceux qui lui disaient que Claudette était victime de sorcellerie.

« Je n’ai plus cru en cette histoire d’autisme. Je suis allée partout où il y avait des réunions de prières. Je demandais qu’on lui verse de l’eau bénite sur le corps. À chaque fois, elle était comme possédée ».

Claudette a fini par ne plus s’adresser aux arbres. Selon la mère c’est grâce aux prières. Mais parallèlement la fillette suivait des spécialistes parce que les responsables de l’école lui mettaient la pression.

Mais plus que tout, la mort de son père semblait avoir plongé Claudette Orcel dans un profond chagrin. Elle ne comprenait pas ce qui est arrivé, mais elle remarquait son absence. Tous les jours, elle entrait dans la chambre, s’approchait du lit et déposait sa tête à la place où son père dormait d’habitude. Elle caressait les draps pendant des heures en poussant des soupirs.

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Il a fallu plusieurs mois à l’enfant pour accepter la disparition de son parent. Mais à peine commençait-elle à s’y faire que son frère dont elle était très proche a perdu la vie lui aussi. Son état, ses troubles qui s’étaient beaucoup améliorés ont repris pour la plus belle. Elle se faisait pipi dessus. Elle recommençait à ne plus obéir, et les crises reprenaient.

Pour Magella Charles aussi, ces deux pertes étaient lourdes et ont chamboulé sa vie. Elle devait s’occuper seule désormais de son enfant autiste, dont les besoins spéciaux coûtent cher.

La grosse vendeuse de pèpè qu’elle était a fait faillite. C’est grâce à un bienfaiteur que Claudette Orcel a pu aller à l’école, dans un établissement spécialisé, le Centre de thérapie La petite chenille. Heureusement, sa fille peut manger à la cantine de cet établissement, ce qui lui garantit au moins un repas chaque jour.

Pour se débrouiller, Charles accroche quelques morceaux de vêtements aux murs de la maison de sa sœur dans l’espoir de les vendre.

Mais surtout, elle continue de lutter. « Je ris, dit-elle. Ça ne va pas, mais je m’efforce de rire et de vivre pour le bien de ma fille ».

Elle préfère se concentrer sur Claudette, mais Magella Charles reconnaît rencontrer quelques difficultés personnelles à surmonter.

Grâce aux cours spécialisés qu’elle reçoit, Claudette est aujourd’hui plus amicale et a perdu son agressivité. Ses professeurs rapportent qu’elle est autoritaire. Elle travaille ou leur obéit seulement si elle le souhaite. Mais elle est de plus en plus autonome. « Elle se baigne toute seule, se vante sa mère. Elle aime beaucoup travailler à l’école aussi bien qu’à la maison. Elle est très serviable. Elle aide à faire à manger, la vaisselle ou encore le ménage ».

Charles estime que sa fille comprend tout maintenant. À huit ans, elle sait plier le linge comme une pro. C’est surtout la rapidité avec laquelle elle a appris qui rend sa mère fière. « Elle a vu une dame plier le linge une seule fois, dit-elle. Elle a tout de suite retenu comment faire, alors que je n’y arrive pas moi-même ».

Claudette est toujours autiste et cela se remarque dans quelques-unes de ses habitudes. Elle tremble comme une feuille lorsqu’elle est dans la rue, au point de s’agripper aux bras d’inconnus. Elle n’aime pas qu’on mélange cuillères et assiettes ou qu’on entreprenne plusieurs activités en même temps. « Lorsque je fais la lessive, raconte Charles, elle refuse que je me lève pour aller faire à manger. Pour elle, je dois d’abord finir ce que je fais. »

Dans le cas contraire, la gamine hurle de colère et se met à tout briser sur son passage. Jusqu’à ce qu’elle se calme. Un calme plat, enfantin et innocent.

Les photos sont de Carvens Adelson pour AyiboPost

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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