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À cause de l’insécurité en Haïti, des centres culturels ne peuvent plus fonctionner

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La situation demande une intervention urgente de l’Etat

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Des centres culturels  et des bibliothèques du pays, situés dans des zones contrôlées par des bandes armées souffrent de l’insécurité. Plusieurs sont obligés de réduire la fréquence de leurs  activités alors que d’autres ont cessé de fonctionner.

C’est le cas du centre culturel Katherine Dunham qui se trouve au Parc national urbain de Martissant, à Martissant 23. En juin 2021, les affrontements entre gangs rivaux à Martissant ont obligé les responsables à surseoir aux activités du centre, selon Thierry Chérizard, directeur de projet à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL).

Ce centre culturel a ouvert ses portes en 2013. Elle comporte une bibliothèque et une salle d’informatique. L’institution est avant tout un espace de rencontre, de savoir et de divertissement  pour les jeunes de Martissant.

« Je prenais plaisir à regarder les enfants et les jeunes  de la zone qui venaient au centre pour lire,  discuter et s’amuser. Voilà que maintenant toutes ces activités sont interrompues », regrette Cherizard qui travaille sur le projet du Parc National Urbain de  Martissant depuis 2010.

Le projet Konbit Bibliyotèk Site Solèy est quasiment dans la même situation. Il a été initié  en 2016, par un groupe de jeunes qui voulaient doter la commune de Cité Soleil d’une grande bibliothèque. L’initiative est donc bloquée depuis tantôt deux ans par la guerre des gangs.

« Lorsqu’on  a commencé, il y avait  une paix apparente dans la commune. La situation allait empirer en 2020. Depuis, l’avancement du projet se trouve en difficulté», regrette Louino Robillard, co-initiateur du projet.

La réalisation du projet devrait coûter 50 millions de gourdes. Le staff a déjà collecté  plus de 26 millions pour  son avancement. « La construction de la bibliothèque était finie à 60%, explique Robillard, spécialiste en développement  communautaire. On avait déjà commencé  avec des activités culturelles et éducatives. Des conférenciers et des écrivains y étaient parfois invités. »

Les violents affrontements entre les gangs de Cité Soleil qui ont éclaté le vendredi 8 juillet 2022 viennent empirer la situation de la bibliothèque, située non loin du commissariat de police de Cité Soleil. Les combats auraient déjà fait plus de 60 morts.

« Personne ne peut s’y rendre.  Même  le commissariat de police est  abandonné », se plaint Robillard.

Dans d’autres zones moins dangereuses, mais tout de même à la merci des bandits, d’autres centres culturels tentent de tenir le coup. Api pou Rechech ak Animasyon Kiltirèl Ayisyen (ARAKA), une association culturelle communautaire qui  gère un centre culturel  portant le même nom, à la rue  de l’enterrement, essaie tant bien que mal de maintenir ses activités. Le nombre des visiteurs a beaucoup diminué.

«On recevait des jeunes  venant  de partout. Maintenant, la présence des jeunes de Martissant ou Bel-Air se fait rare », se plaint Sheenider Jean-Joseph, coordinateur du conseil administratif transitoire d’ARAKA.

Vu la position de ce centre culturel qui se situe à quelques jet du Portail Léogane et de Village de Dieu, les responsables adoptent certaines stratégies pour mitiger les risques.

 «Comme nous ne pouvons  plus inviter des écrivains, par exemple Yanick Lahens ou Franketienne, à présenter des conférences, nous sommes  obligés  de migrer  ces activités  en ligne», fait savoir Jean-Joseph. Du haut de ses 34 années  d’existence, le centre ARAKA a déjà contribué à la formation de plusieurs générations d’écrivains.  En plus des problèmes de sécurité, le centre connait des difficultés financières, confie Sheenider Jean-Joseph.

Mais malgré leur situation difficile, les responsables de ces espaces culturels se veulent rassurants. « On attend que la paix revienne pour reprendre les activités au centre culturel Katherine Dunham à Martissant 23 », affirme Cherizard. En attendant, pour assurer la protection des documents et des matériels du centre, le responsable dit embaucher des gens de la zone, qui en prennent soin. Malgré  les affrontements armés qui bloquent l’entrée sud  de la capitale, les bandits  n’ont pas attaqué le Parc National urbain de Martissant qui emploie plus d’une dizaine de gens pour son entretien.

Louino Robillard  n’entend pas non plus abandonner l’investissement du  projet Konbit Bibliyotèk Site Solèy.  « On doit investir dans l’éducation  des enfants d’Haïti. Les enfants des quartiers  populaires ont besoin d’espace de loisirs, d’un centre culturel et  de bibliothèques. La paix paix durable doit  passer par l’éducation », plaide le spécialiste en développement communautaire.

Le coordonnateur du conseil administratif transitoire ARAKA partage l’avis  de Robillard. «Les jeunes sont  extrêmement  vulnérables, dit Sheenider Jean-Joseph. Ils ont  besoin  d’un accompagnement  communautaire  comme le fait ARAKA et les autres centres culturels. Ces initiatives ont besoin d’encouragement. »

L’essentiel, pense ces responsables, c’est que la paix revienne.  «Je veux lancer un appel  de prise  de conscience aux belligérants qui empêchent le fonctionnement de ces espaces. Il faut donner  une chance  aux enfants qui ont grandement besoin de visiter ces infrastructures», affirme-t-il.

L’Etat Haïtien a déjà abandonné  les locaux du théâtre national situé au Bicentenaire, situé presque en face du groupe armé 5 segond. La Bibliothèque Nationale d’Haïti (BNH) subit aussi les conséquences de l’insécurité à la rue du Centre. A cause de cette situation, les autorités de cette institution publique ont pris la décision de réduire le nombre d’heures de fonctionnement par semaine.

Molière Adely pratique le journalisme depuis 2018. Il a déjà collaboré avec plusieurs médias. Étudiant en sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti (FE/UEH), Adely s’intéresse à la politique, la culture et aux sujets de société.

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