En janvier 2026, si ce gouvernement et ce CPT entendent réellement se conformer à leurs propres principes, ils devront proposer une instance de direction resserrée : un conseil et un gouvernement réduits, chargés d’encadrer la mission de la Force de suppression des gangs, notamment en définissant clairement les responsabilités et les mécanismes de redevabilité en matière de dommages collatéraux, ainsi qu’en préparant l’organisation des élections
Le 7 février 2026 marque la fin du mandat du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en Haïti, conformément à l’Accord du 3 avril 2024 censé encadrer cette énième transition ratée. Il va de soi que le gouvernement actuel n’est pas davantage en mesure de remplacer le CPT. Il est troublant de constater que, malgré les règles que s’étaient fixées ses signataires, nombre d’entre elles n’ont pas été respectées, et encore moins les objectifs fondamentaux atteints. Cet échec nous ramène à deux dilemmes majeurs dans la gouvernance du pays, que nous examinerons en évaluant d’abord les accomplissements de cet organe désormais entré dans l’histoire d’Haïti par la petite porte.
Pour être objectif, j’ai analysé les 53 articles et alinéas de l’accord, convertis en 65 points d’action potentiels, en excluant les articles 12 et 13 relatifs à la fin du mandat, l’article 45 qui en propose un résumé, ainsi que les articles 48 et 49 portant sur le droit de crise et l’inéligibilité des membres du CPT aux élections. L’exercice était simple : 1 point pour une action accomplie, 0,5 pour une action partiellement accomplie, 0 pour une action non réalisée. En additionnant les points possibles, le CPT et le gouvernement n’ont obtenu que 25/65, soit un taux de réussite de 38,46 %.


Même en écartant l’absence flagrante de progrès en matière de sécurité dans les zones sous contrôle des groupes armés, ils n’atteignent pas 40 %. D’où le premier dilemme : à l’expiration du mandat du CPT le 7 février, par quoi sera-t-il remplacé ? Faut-il maintenir en place le gouvernement chargé d’exécuter sa vision ? Car l’échec du CPT est aussi celui de son gouvernement, et, plus largement, celui de toute la classe politique ayant désigné des représentants dans ces deux instances.
Les raisons de cet échec. Primo : ne pas se concentrer sur l’essentiel
Comment comprendre cet échec ? Les causes sont multiples. À la lecture de l’accord, on constate que la mission d’urgence — rétablir la sécurité, apporter des réformes institutionnelles et constitutionnelles et organiser des élections — s’est muée en une mission de gouvernance générale. L’intention pouvait se comprendre, puisqu’il s’agissait d’éviter l’effondrement de l’État, de créer une « Présidence » hors normes, mais à vouloir tout embrasser, le CPT n’a finalement rien étreint.
Le 7 février 2026 marque la fin du mandat du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en Haïti, conformément à l’Accord du 3 avril 2024 censé encadrer cette énième transition ratée.
Non seulement il n’a pas su se concentrer sur l’essentiel, mais ses membres se sont retrouvés empêtrés dans des scandales, des querelles internes, des manœuvres et des remaniements administratifs, se comportant parfois comme des élus investis d’un mandat quinquennal. Ils n’ont pas agi comme un corps et n’ont pas démontré la cohérence interne nécessaire pour donner des résultats. En négligeant ses priorités, la « Présidence » a en quelque sorte cautionné son propre échec, d’autant que les points d’action prévus par l’accord étaient nombreux.
Malgré cette abondance d’objectifs, une répartition défaillante des responsabilités au sein du Conseil, l’incohérence des relations de travail et l’érosion de la confiance provoquée par les scandales ont rendu impossible toute production de résultats tangibles. Plus grave encore, le CPT a envoyé dès le départ des signaux désastreux, rendant inopérants plusieurs mécanismes collaboratifs essentiels, tels que la Conférence nationale, la réforme constitutionnelle ou la préparation des élections.
Secundo : le manque de transparence
Le premier de ces signaux fut l’évitement pur et simple des sections V et VII de l’Accord, relatives au contrôle des actions de la Transition et à la création de l’Organe de contrôle des actions du gouvernement (OCAG). La non-application de ces dispositions a immédiatement sapé la confiance dans la mission du CPT. Les Haïtiens n’ont jamais eu confiance en leurs dirigeants — et pour cause : leur niveau de vie s’est continuellement dégradé, tandis que les scandales de dilapidation de fonds publics, comme ceux liés aux Fonds PetroCaribe, se sont multipliés.
Au lieu de mettre en place les mécanismes nécessaires pour instaurer un minimum de confiance, les acteurs de la transition ont tout fait à rebours. L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF), la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, ou encore certains cadres du Parlement (toujours rémunérés) auraient pu être mobilisés pour constituer un OCAG à durée limitée. Cela aurait permis de garantir un certain niveau d’autonomie et de s’appuyer sur des institutions existantes, sans alourdir davantage la transition de nouvelles structures budgétivores. Que nenni ! Le gouvernement et le CPT ont préféré l’opacité, redoutant d’être contrôlés par un organe extérieur à un pouvoir qu’ils n’avaient pourtant conquis nulle part. Or tout l’enjeu était qu’en étant transparent et consensuel, les acteurs puissent ramener la confiance pour organiser une conférence nationale, enclencher des réformes constitutionnelles, réconcilier l’État avec la Nation et organiser des élections.
Tertio: la perte de temps
Un autre mauvais signal fut l’instabilité provoquée par le renvoi du gouvernement précédent, celui de Gary Conille. Certes, Conille s’était trop reposé sur l’international ; soit il n’aurait jamais dû être nommé, ce qui relève de la responsabilité du CPT, soit il fallait le recadrer fermement face aux écarts diplomatiques de son gouvernement. Mais pouvait‑on réellement espérer un résultat différent à un an de la fin du mandat de la Transition ? Je ne saurais le dire. Une chose est sûre : ce renvoi nous a fait perdre un temps précieux, un temps que le pays n’avait pas.
Malheureusement, en Haïti, les dirigeants ne perçoivent jamais l’urgence de la même manière que la population : bien rémunérés, portés par des egos démesurés, bénéficiant de privilèges constants, ils ne ressentent pas le poids du temps qui passe. Ainsi, alors qu’il siégeait au CPT, l’actuel président du Conseil a maintenu sa participation au Jackson School’s International Leadership Center de l’Université Yale. Il y avait manifestement si peu de choses àrégler qu’il ne jugeait pas nécessaire de différer ce fellowship. Ce manque d’empathie, cette incapacité à embrasser les préoccupations du plus grand nombre, cette absence de dépassement de soi pour faire primer l’intérêt national demeurent des constantes des gouvernements et législatures haïtiens. Au point où est le malade que représente Haïti, une surveillance constante était nécessaire.
Quarto : lenteurs du soutien international et du CPT lui-même
Les tergiversations de l’International dans ses différentes propositions de soutien ne sont pas sans conséquences. La lenteur des décisions et les lectures erronées de la gravité de la situation ont sans doute contribué à l’échec sur le front de la sécurité. C’est d’ailleurs un schéma que l’on a déjà observé en Ukraine : lorsque les Ukrainiens réclamaient munitions et équipements pour faire face à l’agression, les réponses furent si tardives que, près de quatre ans plus tard, la guerre se poursuit alors qu’ils avaient la possibilité de stopper net les envahisseurs en contrôlant leur ciel.
En Haïti, le soutien au compte‑gouttes : l’arrivée sporadique de dix ou quinze véhicules blindés, l’absence de soutien aérien, puis une force multinationale sous‑équipée et en sous‑effectif, n’a jamais été à la hauteur de la situation. Après l’Ouest et l’Artibonite, le département du Centre a été attaqué par les groupes armés sous le mandat du CPT. Lorsque le CPT a finalement décidé d’adopter un budget de guerre – que nous avons jugé opportun, aucune mesure de mobilisation citoyenne n’a été mise en œuvre. Rétrospectivement, l’on doute que ces mesures seraient efficaces d’autant que le CPT a alimenté, pendant des mois, une perception d’inefficacité à travers scandales et querelles internes, notamment les accusations de corruption contre trois de ses membres, et la gestion opaque des fonds d’intelligence.
On ignore également quelles mesures ont été prises pour stopper les flux de munitions transitant par les frontières haïtiano‑dominicaines ou les ports. Les États‑Unis (et non Haïti) ont annoncé avoir reçu des promesses d’engagement de 7 500 soldats pour la nouvelle force de suppression des gangs le 19 décembre 2025. Mais, chat échaudé craignant l’eau froide, permettez‑nous de demeurer prudents tant que nous n’aurons pas vu et ressenti les résultats, surtout au regard du nombre de soldats qui avaient été mobilisés lors de la MINUSTAH en Haïti.
Enfin, les lenteurs et les bévues du CPT, inhérentes au patchwork qui l’a constitué, ont entraîné des retards considérables dans l’accomplissement des tâches essentielles. Or, tout retard dans une action stratégique produit un effet boule de neige. Ainsi, n’ont pas été réalisés dans les délais la constitution du Conseil électoral provisoire (articles 33-36), la création de la Commission Justice, Vérité et Réparations (article 20) ou encore la mise en place du Conseil national de Sécurité (article 25).
Des irrégularités et maladresses ont même entaché les rares avancées du Conseil, au point de les faire basculer vers la débâcle, comme ce fut le cas pour la Conférence nationale (article 28). Cette dernière, pourtant centrale pour la mission et la vision de la Transition, a été abordée avec un tel manque de considération pour la question de la confiance que les membres du CPT ont jugé bon d’en confier la présidence à un ancien Premier ministre décrié de la précédente transition. Le comité de pilotage s’est alors rapidement comporté comme une Assemblée constituante, sans jamais démocratiser sa démarche.
Peut-on réconcilier la Nation si l’on ne va pas vers elle ? Si l’on ne lui parle pas? Comment la population pourrait-elle faire confiance à ses dirigeants lorsqu’elle constate que les financiers des gangs ne sont pas inquiétés et que la Justice peine à les sanctionner ainsi que ceux qui ont dilapidé les fonds publics ? Que des monopoles existent encore alors qu’ils sont la cause du manque d’investissement étranger et des prix exorbitants sur le marché ? Sans stratégie de communication publique, sans pédagogie, sans transparence, sans des signaux clairs, cette Conférence nationale était vouée à l’échec.
Quinto : des résultats macro toujours aussi désastreux
La préoccupation majeure des Haïtiens, au-delà de la cherté de la vie, demeure l’insécurité. Malheureusement, la performance de n’importe quelle administration à venir est liée au soutien externe dans la lutte contre l’insécurité : que ce soit sur la livraison de matériels appropriés pour contrôler le territoire, la stratégie de lutte anti-gang, ou la formation du personnel policier et militaire sur l’utilisation des nouveaux outils. Cette stratégie ne peut être implémentée sans l’assentiment des Haïtiens, sans une approche communautaire pour le retour à la paix. Les résultats au cours des seize derniers mois en disent long.
De manière générale, entre 2024 et 2025, les rares victoires du CPT n’ont produit aucun effet transformateur. Les indicateurs parlent d’eux-mêmes : en compilant les diverses données publiées par les Nations Unies et les organisations des droits humains, on se rend compte que le nombre d’homicides est passé de 6 972 homicides en 2022 et 2023 à 8,742 en 2024 et au mois de novembre 2025 (sujet à augmenter d’ici le 31 décembre 2025); l’inflation a légèrement augmenté passant de 26.9 % en 2024 à 27.8 % en 2025 ; l’économie a enregistré une septième année consécutive de récession, passant de -4% en 2024 à –3.1 % en 2025 selon les projections du FMI (via Worldometer).

A cela s’ajoutent la fermeture récente de l’aéroport de Port-au-Prince aux vols nationaux en raison de l’insécurité, ainsi que le blanc-seing donné à des frappes de drones causant des victimes civiles sans aucun cadre juridique pour encadrer ces opérations destinées à combattre les gangs, les déportations massives sans respect pour les droits des migrants de la République dominicaine.
Préparer la nouvelle transition
Cela dit, nul n’ignore qu’il ne s’agissait pas d’une tâche aisée. Lorsqu’un malade est laissé se dégrader à un tel point, le traitement peut exiger autant de temps, sinon davantage, que la convalescence elle-même. Amertumes et frustrations à part, nous devons reconnaître qu’une nouvelle transition va se dessiner. Pour revenir au dilemme initial, il est évident que l’on ne peut maintenir ni le CPT ni le gouvernement dans sa forme actuelle.
Mais que faire alors ?
En janvier 2026, si ce gouvernement et ce CPT entendent réellement se conformer à leurs propres principes, ils devront proposer une instance de direction resserrée : un conseil et un gouvernement réduits, chargés d’encadrer la mission de la Force de suppression des gangs, notamment en définissant clairement les responsabilités et les mécanismes de redevabilité en matière de dommages collatéraux, ainsi qu’en préparant l’organisation des élections.
Il faut que, de cette énième mission, l’Armée et la Police haïtiennes sortent renforcées et capables d’assurer la relève. Peut-être que, pour les quelques jours qui leur restent, le gouvernement et le CPT pourraient au moins travailler à formaliser ces règles et ces exigences.
Éliminer certains postes ministériels — voire supprimer le CPT — permettrait de consacrer davantage de ressources au rétablissement de la sécurité. Ni le Premier ministre actuel ni la Présidence du CPT ne devraient faire partie de ce nouveau format. Cela peut paraître contre‑productif, mais sur quelle base pourrait‑on nous convaincre que conserver l’un serait préférable à conserver l’autre ?
Il est certes indispensable de mobiliser des cadres maîtrisant les dossiers. Il faudra donc faire appel à des responsables de l’administration publique et de la Justice déjà impliqués dans cette Transition, afin d’assurer la continuité de l’État, de conduire le processus électoral et de remettre le pouvoir le 7 février 2027.
Le second dilemme majeur réside dans la tension entre l’impératif de restaurer l’ordre démocratique et l’impossibilité manifeste d’organiser des élections dans un contexte d’insécurité aussi aiguë. Les départements de l’Ouest et de l’Artibonite concentrent à eux seuls environ la moitié de la population haïtienne. Or, si les citoyens ne jouissent pas de la liberté de circulation la plus élémentaire, comment pourraient-ils exercer leur droit de vote dans de telles conditions ?
Même en habitant à Port-au-Prince, je prenais la route avec mes amis pour aller voter aux Gonaïves. Ceux qui sont encore à Port-au-Prince et qui souhaiteraient le faire, le pourront-ils ?
Certes, seules certaines communes des départements de l’Ouest, de l’Artibonite et du Centre sont les plus sévèrement affectées par les blocages, mais cela représente néanmoins une portion substantielle de l’électorat qui se trouverait de facto exclue du processus électoral si l’on persistait à organiser des scrutins sans un rétablissement préalable et crédible de la sécurité publique.
Parallèlement, il n’est ni tenable ni légitime de maintenir indéfiniment des individus à des fonctions électives par le biais de nominations exceptionnelles ou sous l’effet d’ingérences extérieures. En assurant la réussite d’interventions incisives et soutenues de la Police, de l’Armée haïtienne et de la FSG, menées par rotation et sur plusieurs jours, cette nouvelle transition peut espérer, en trois mois, libérer les « territoires perdus » et inviter le peuple en ses comices.
Le 7 février 2026 aurait pu constituer un symbole éclatant de réussite : quarante ans après la chute de la dictature des Duvalier, dix ans après les dernières élections, Haïti aurait renoué avec la trajectoire de sa construction institutionnelle. Mais la force des symboles n’a jamais suffi à contraindre nos dirigeants. Haïti, déjà un symbole, est devenu un paria dans notre hémisphère sous le poids de la corruption et de l’impunité. Le fait que la Justice ne sévisse jamais avec la rigueur nécessaire en dit long sur l’état d’esprit de ceux qui gouvernent.
Quant au point positif sur cette Transition, il tient à une réalité simple : le pays subsiste, envers et contre tout. Aujourd’hui, face aux multiples errements et bévues de cette instance, il devient impératif de céder la place à une gouvernance resserrée, strictement limitée à l’essentiel, afin de prioriser des lignes de dépenses liées au retour de la sécurité et amener le pays vers l’ordre démocratique.
Par : Yvens Rumbold
Couverture | Conseil Présidentiel de Transition (CPT)
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