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Jean Casimir | De l’oppression, de la colonialité et de la nation

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Avec l’Indépendance en 1804, la racialisation juridique disparaît, mais la domination ne s’éteint pas pour autant. La nation haïtienne et l’État montre que la société haïtienne post indépendance est non racialisée, mais profondément désarticulée : une nation minorée, mais organisée et un État hérité de la matrice coloniale coexistent sans médiation durable

Introduction

La culture opprimée, Haïti et ses élites. L’interminable dialogue de sourds, La nation haïtienne et l’État, et Une lecture décoloniale de l’Histoire des Haïtiens permettent de penser la domination coloniale et postcoloniale non comme une simple continuité historique, mais comme une transformation des formes de l’oppression, passant de la racialisation ontologique à la disqualification politico-culturelle.

La société racialisée : l’oppression comme négation de l’humanité

La culture opprimée établit que la société esclavagiste coloniale repose sur une racialisation totale. La race n’y constitue pas un marqueur parmi d’autres, mais le principe organisateur global de l’ordre social. Le captif esclave n’est pas conçu comme un travailleur dominé, mais comme un objet juridique exclu de l’humanité socialement reconnue. Cette négation ontologique autorise une violence sans médiation et rend impossible toute réforme interne du système.

La culture des captifs est dès lors disqualifiée dans son principe même. La reconnaître reviendrait à reconnaître l’humanité de ceux que l’ordre colonial définit précisément comme non-humains. La résistance ne peut donc être que rupture : marronnage et contre-plantation (qui n’impliquent pas nécessairement des déplacements dans l’espace), ainsi que révolution haïtienne (qui constitue une remise en cause radicale de l’ordre racial mondial).

1804 : fin de la racialisation, non de la domination

Avec l’Indépendance en 1804, la racialisation juridique disparaît, mais la domination ne s’éteint pas pour autant. La nation haïtienne et l’État montre que la société haïtienne post indépendance est non racialisée, mais profondément désarticulée : une nation minorée, mais organisée et un État hérité de la matrice coloniale coexistent sans médiation durable.

L’oppression devient alors institutionnelle et politique. Elle ne repose plus sur la négation de l’humanité, mais sur la négation de la légitimité sociale et politique des institutions populaires. La société villageoise, loin d’être archaïque, constitue une formation historique complète qui se reproduit en marge de l’État.

Les oligarchies et la colonialité intériorisée

Haïti et ses élites, l’interminable dialogue de sourds introduit une médiation décisive : l’oppression non racialisée s’exerce principalement à travers les oligarchies qui se font appelées des élites. Celles-ci, socialisées dans des normes héritées de l’Europe, parlent au nom de l’État sans reconnaître la culture populaire comme langage politique légitime.

Le conflit entre l’État et la nation réelle prend alors la forme d’un dialogue de sourds. Le peuple n’est pas muet ; il est rendu inaudible. L’oppression n’est plus fondée sur la race, mais sur une disqualification culturelle qui prolonge la colonialité sous une forme nouvelle.

Une lecture décoloniale de l’histoire

Une lecture décoloniale de l’Histoire des Haïtiens unifie les travaux antérieurs en proposant un changement radical de point de vue. Il ne s’agit plus de raconter l’histoire à partir de l’État ou des normes occidentales, mais à partir de la trajectoire propre de la société majoritaire, de ses institutions et de ses rationalités.

La domination apparaît alors comme un conflit entre projets de société incompatibles, plutôt que comme un simple déficit de modernité. La société haïtienne n’est pas inachevée ; elle est méconnue.

L’ensemble des quatre ouvrages permet de formuler une thèse unificatrice : la domination coloniale nie l’humanité de l’opprimé, tandis que la domination postcoloniale nie la légitimité sociale et politique de sa culture. Dans les deux cas, la société dominée persiste, se reproduit et crée du sens en dehors des catégories du pouvoir. L’œuvre contribue ainsi à une théorie de la colonialité et à une critique de l’État postcolonial.

Par : 

Décembre 2025

Source photo couverture : Haïti Wonderland

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Jean Casimir, doktè nan sosyoloji, ap anseye nan Fakilte Syans Imen, Inivèsite Leta Ayiti.

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