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Lyonel Trouillot | Déficit d’empathie

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Et si, à force de nous familiariser avec le pire, nous avions perdu les réflexes les plus ordinaires de la bonté civile : dire bonjour, accueillir le nécessiteux, donner à une main tendue, être sensible à la blessure de l’autre ? Et si, même quand nous voulons faire le bien, nous le faisions mal ?

Une adolescente violée par un proche. Une femme victime de violences conjugales. Un enfant maltraité. Des choses qui se passent au moment où j’écris, et, sans doute, tous les jours. Un garçon qui n’a pas un rond, qu’un petit boulot aiderait. Ce n’est pas seulement l’échec des politiques à sortir le pays de la catastrophe et ses conséquences sur les groupes sociaux qui font mal.
C’est aussi la banalisation, la normalisation de situations individuelles pourtant en soi inacceptables. Il y a tant de choses ici contre lesquelles n’importe quelle personne dotée d’un zeste d’humanisme devrait s’insurger.
À fréquenter des jeunes, je côtoie des misères sociales et intérieures dont la rigueur et la violence font frémir, et dont, pourtant, personne ne parle.
Sauf quelques ONG et quelques organisations locales en mal de subsides auprès des ONG. Et souvent dans des termes qui ne correspondent pas à la réalité, dans un faire-semblant inefficace.
Et si, à force de nous familiariser avec le pire, nous avions perdu les réflexes les plus ordinaires de la bonté civile : dire bonjour, accueillir le nécessiteux, donner à une main tendue, être sensible à la blessure de l’autre ? Et si, même quand nous voulons faire le bien, nous le faisions mal ? Trop occupés à théoriser dans l’abstrait, à élaborer des programmes, à monter des projets sans aucun sens de l’immédiateté, du malheur, de la souffrance. Et si nous faisions semblant de viser haut pour ne pas regarder près ?
Je me rappelle une chanson de Catherine Le Forestier que nous chantions à gauche dans les années 70 : allez voir mes voisins. Elle recommandait de prêter attention aux souffrances toutes proches de ceux qui voulaient chercher les grandes souffrances dans des pays lointains.
D’aucuns jugeront ce texte vaseux, larmoyant, sans haute portée. Peut-être auront-ils raison. Mais je revendique le droit d’avoir mal à l’ami qui n’a pas où se loger, à la presque jeune fille qui bientôt devra faire la pute, à ces choses courantes dans mon voisinage et auxquelles je ne veux pas m’habituer.
Il n’y a dans ce pays que les magouilles et trahisons politiques des CPT et premiers ministres, pas que le mépris et les diktats d’une puissance impériale, pas que des structures économiques qui reproduisent inégalités et pauvreté. Il y a peut-être aussi un déficit d’empathie envers les situations concrètes dont nous sommes témoins et sur lesquelles nous pourrions agir petitement, individuellement. En attendant l’exécution de nos mille et un grands projets.
Il n’y a dans ce pays que les magouilles et trahisons politiques des CPT et premiers ministres, pas que le mépris et les diktats d’une puissance impériale, pas que des structures économiques qui reproduisent inégalités et pauvreté.
Toi, l’occupé, le technocrate, le spécialiste de l’avenir, des grands ensembles qui as trouvé mon texte idiot, je n’ai qu’une petite question : quel est le geste d’empathie que tu as posé aujourd’hui ?

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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