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Charniers humains, exécutions sommaires : la police nationale d’Haïti sur le banc des accusés 

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De plus en plus de policiers sont accusés d’être impliqués dans des cas d’exécutions extrajudiciaires à Port-au-Prince et dans des villes de province, selon une dizaine de témoignages recueillis par AyiboPost

Les agents de la police nationale d’Haïti déployés sur le terrain doivent combattre les gangs et protéger la population civile.

Mais de plus en plus de policiers sont accusés d’être impliqués dans des cas d’exécutions extrajudiciaires à Port-au-Prince et dans des villes de province, selon une dizaine de témoignages recueillis par AyiboPost. 

La plupart des victimes sont tuées dans des zones contrôlées par des gangs, lors d’opérations menées par la police nationale d’Haïti. 

D’autres sont abattus en raison de la possession de pièces d’identité révélant leur appartenance à ces quartiers, ou sur la base de soupçons d’affiliations à des groupes criminels, révèlent de récents rapports d’institution de défense des droits humains consultés par AyiboPost. 

Un habitant de Fontamara, un quartier situé dans la troisième circonscription de Port-au-Prince, raconte à AyiboPost avoir été directement visé par des policiers à la rue La Fleur du Chêne le 23 juin 2025. 

Il était environ deux heures de l’après-midi. 

Le chauffeur de taxi moto se rendait au centre-ville pour récupérer un écolier abonné à son service de transport scolaire.

Pendant qu’il longeait la rue La Fleur du Chêne, investi par les gangs, deux véhicules blindés de la Police nationale d’Haïti patrouillaient. 

L’un des blindés qui se dirigeait en sa direction a ouvert le feu en déclenchant une rafale depuis sa tourelle, «alors qu’il n’y avait aucun affrontement», précise la victime à AyiboPost.

Grièvement blessé avant de perdre conscience, le chauffeur de taxi se souvient : « une balle m’a atteint au visage, puis je suis tombé de ma moto ». 

Il sera secouru peu de temps après. Et depuis son lit d’hôpital, on peut observer les cicatrices laissées par le projectile, qui a traversé sa joue gauche avant de ressortir par son oreille droite. 

« Il a également été atteint de plusieurs projectiles qui ont mutilé sa cuisse gauche, alors qu’il gisait déjà dans son sang », raconte sa sœur, qui l’a accompagné à l’hôpital.                 

Un passager fréquentant la zone confirme à AyiboPost, sous couvert d’anonymat, avoir constaté la présence de plus de trois corps sans vie, sur la chaussée de l’Avenue Christophe ce même après-midi du 23 juin. 

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Cette zone, devenue terrain d’affrontement entre les forces de l’ordre et les bandits de la coalition de gang « Viv Ansanm » reste risquée pour des civils qui s’y aventurent.

Pour la période allant du 15 avril au 20 juin 2025, plus de 800 cas présumés de violations de droits humains impliquant des forces de l’ordre lors des opérations antigang, ont été signalés, indique un rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), publié en juin 2025.   

Il s’agit d’exécutions sommaires et de faits au cours desquels des mesures visant à protéger les civils n’ont pas été suffisantes, précise le rapport.

D’autres cas signalés aux structures de défense droits humains concernent des victimes provenant des quartiers contrôlés par les gangs tels que, La Saline, Cité-Soleil ou le Bas-Delmas. 

Trois responsables d’organisations de droits humains contactés par AyiboPost – qui confirment avoir été alertés par des familles dont des proches ont disparu après avoir été arrêtés par la police – affirment avoir du mal à documenter ces incidents. 

Car, par peur de représailles, les familles refusent souvent de porter plainte. 

Selon Marie Rosy Auguste Ducéna, responsable de programme du RNDDH jointe par AyiboPost, « Ces arrestations surviennent après la vérification de leurs pièces d’identité, entraînant un tri selon leur zone de provenance »

La police considère comme bandits ceux qui viennent de zones ayant des foyers gangs.  La plupart du temps, « les policiers ont tendance à exécuter ces personnes », poursuit la défenseure des droits humains.

Ce qui serait le cas d’Evenson Calixte, 28 ans, résidant à l’impasse Saint Félix, au quartier de Bel-Air depuis son enfance. 

La police considère comme bandits ceux qui viennent de zones ayant des foyers gangs.  La plupart du temps, « les policiers ont tendance à exécuter ces personnes »

Marie Rosy Auguste Ducéna

L’homme a disparu le 3 janvier 2025. Selon sa veuve, Flore Nicolas, il était parti « récupérer un transfert d’argent, puis se procurer de l’électrolyte pour une batterie », à Lalue

Portrait d’Evenson Calixte, résidant du quartier de Bel-Air, disparu le 3 janvier 2025 au bas du quartier de Lalue.

Le père de famille n’est jamais revenu chez-lui. 

Le lendemain, Flore Nicolas raconte être sortie sillonner la zone de Lalue à sa recherche. 

Selon les informations recueillies par sa femme auprès des habitants de la zone, Evenson Calixte aurait indiqué aux policiers qu’il se rendait dans un supermarché du quartier.  

« Certaines personnes m’ont indiqué avoir vu que des policiers l’ont appelé pour l’interroger sur sa destination », témoigne Nicolas à AyiboPost. 

Après vérification de sa carte d’identité mentionnant qu’il était de Bel-Air, deux agents lui auraient tiré plusieurs balles dans la tête, rapporte Flore Nicolas, citant des témoignages reçus sur place.

L’emplacement où le corps de ce père d’un garçon de six ans aurait été brûlé est repéré non loin de la rue Lamarre, mais aucune trace de la dépouille n’a été retrouvée, informe la dame.

Après vérification de sa carte d’identité mentionnant qu’il était de Bel-Air, deux agents lui auraient tiré plusieurs balles dans la tête, rapporte Flore Nicolas, citant des témoignages reçus sur place.

Au mois d’avril 2025, un journaliste d’AyiboPost a été témoin de la manière dont une brigade du quartier de Pacot a stoppé un individu, l’écartant momentanément de son chemin après avoir constaté que sa carte d’identité le déclarait originaire de la commune de Croix-des-Bouquets, une zone sous le contrôle d’un gang. 

Lire aussi : Photos | Témoignages de victimes de gangs vivant avec des blessures et des traumatismes non soignés à P-au-P

Un policier ayant l’habitude de participer aux interventions, joint par AyiboPost, affirme trouver la réalité sur le terrain « complexe ».

Cet agent de la police parlementaire souhaitant garder l’anonymat participe à certaines opérations menées à Christ Roi et Nazon contre les gangs. Il estime que les victimes civiles sont dues « au fait que les gen§s vivent à proximité des bandits ». 

Ces gens pris en otage, « sont des bandits indirectement », car selon lui, « ils participent implicitement aux activités des gangs ». 

Selon l’agent, ces personnes sont parfois contraintes d’acheminer des munitions aux bandits, repérer les véhicules de la police, ou transporter des membres de gangs à moto. 

Des attaques visant des personnes suspectées de soutenir l’activité des gangs sont également commises par des groupes d’autodéfense, souvent sont composés de policiers et de civils armés.

Lors d’une série d’interventions menées par la Police nationale d’Haïti et les forces kényanes à Petite Rivière de l’Artibonite en décembre 2024, des témoins rapportent à AyiboPost que des agents, accompagnés des membres de brigade, ont exécuté plusieurs personnes accusées d’affiliation au gang « Gran grif », de la localité de Savien.

Ce gang est responsable de 80 % des décès civils, depuis 2022 dans le département de l’Artibonite, selon une fiche d’information du Département d’État américain.

Trois habitants joints par AyiboPost affirment avoir été témoins de scènes où des membres du groupe d’autodéfense de la commune de Liancourt, dénommé « Kowalisyon », accompagnés de policiers, transportaient des personnes à bord de véhicules blindés pour les exécuter aux abords du fleuve Artibonite en décembre 2024. 

Selon deux autres habitants sur place interrogés par AyiboPost, jusqu’à date, il est possible d’observer l’emplacement de charniers humains, où les cadavres ont été brûlés, ainsi que des restes de vêtements, de chaussures empilées sur la rive du fleuve.

Au cours de la période d’octobre 2024 à juin 2025, un rapport du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) a tenu pour responsable l’Unité temporaire antigang  (UTAG) et l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO), de l’exécution sommaire d’au moins dix-sept personnes soupçonnées d’appartenance au gang « Gran grif », dans la commune de Petite Rivière de l’Artibonite.

Appréhendés sur les routes rurales ou dans les centres urbains, ces individus, après avoir subi un interrogatoire public ou avoir été remis à la police par des membres de la population, ont été abattus en dehors de toute procédure judiciaire.

Entre le 9 et le 12 décembre 2024, les groupes d’auto-défense ont exécuté 67 personnes dans les localités rivartibonitiennes de Bois Laville, Passe–Barque et Ti Rouge, selon le rapport du BINUH de juin 2025. 

Lire aussi : Certaines brigades de quartier dérapent

Certaines familles vivent encore avec les séquelles des exécutions sommaires de leurs proches. D’autres  doivent engager des dépenses importantes pour venir en aide aux rescapés. 

Le chauffeur de taxi de Fontamara confie à AyiboPost avoir déjà subi quatre interventions chirurgicales, dont l’une à l’oreille gauche (il a perdu l’audition) et les autres à la cuisse droite, où la plaie reste encore béante. Ces interventions lui ont coûté de plus de 200 000 gourdes.

Si l’homme a déjà passé un examen radiologique à Delmas 60, sa sœur craint de ne pas pouvoir en effectuer un autre – cette fois un audiogramme recommandé par les médecins – dans le quartier de Canapé-Vert, redouté pour des cas d’exécutions sommaires perpétrées par sa brigade d’autodéfense. 

La dame craint que la blessure par balles de son frère puisse le faire passer pour un bandit aux yeux des membres de cette brigade.

« Je ne me vois pas me rendre à Canapé-Vert avec un patient [blessé par balle] pour faire un audiogramme », relate la sœur de la victime.

En mai 2024, des policiers qui poursuivaient des bandits auraient tiré en direction de Wildor Pierre Louis, qui discutait avec un ami, à proximité de l’Institution Sacré-Coeur de Turgeau à l’angle de l’Avenue Christophe et Jean-Paul II

Alors qu’un véhicule de la police s’approchait d’eux, d’autres policiers aux alentours leur auraient intimé l’ordre de ne pas bouger, témoigne Pierre Louis à AyiboPost. 

S’ils ont eu le réflexe de lever les mains, cela n’a pas empêché Pierre Louis d’être atteint par trois projectiles avant de perdre connaissance. 

Son ami Victor, joint par AyiboPost, confirme ses propos.

Touché à la mâchoire inférieure et à l’épaule, l’homme doit subir une intervention chirurgicale visant à reconstituer sa mâchoire.

Portrait de Wildor Pierre Louis avant et après les événements de mai 2024.

Faute de moyens, Pierre Louis, déjà soumis à des suivis médicaux coûteux, confirme à AyiboPost avoir lancé une collecte de fonds afin de réunir les ressources indispensables à son opération.

AyiboPost a contacté la Police nationale d’Haïti au sujet de ces cas d’exécutions extrajudiciaires impliquant des policiers, via son porte-parole adjoint, Lionel Lazarre. L’institution policière n’a pas répondu avant la publication de cet article.

Entre janvier et mai 2025, le BINUH a enregistré plus de 4 000 victimes d’homicides volontaires impliquant des gangs, soit une hausse de 24 % par rapport aux données de l’année 2024 pour la même période. 

Le BINUH et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) affirment avoir acheminé auprès de l’inspection générale de la police nationale d’Haïti, des informations élaborées sur 89 cas avérés d’exécutions et de tentatives d’exécution extrajudiciaires occasionnant 165 morts, dont 140 hommes, douze femmes, treize enfants, et 37 blessés. 

67 de ces exécutions ont eu lieu en 2024, et 22 en 2025. 

La veuve de Calixte a entrepris des démarches auprès de l’institution Fondasyon Je Klere (FJKL) pour tenter d’obtenir justice, car le nom de son mari circulait comme étant un bandit tué.

Entre procédure non encore abouti et les traumatismes d’un deuil sans le corps, Flore Nicolas a encore du mal à s’en remettre. « J’ai eu l’impression que c’était moi qu’on a tué, dit la dame. Mon corps s’est paralysé, car il représentait tout pour moi ». 

Par : Jérôme Wendy Norestyl

Wethzer Piercin  a participé à ce reportage.

La photo de couverture a été prise sur la page Facebok de la Police Nationale d’Haiti – PNH, photo publiée le 16 juin 2016.

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Éditeur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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