SOCIÉTÉ

Retour sur la vie et les luttes de Didier Dominique, mort en mai dernier

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Après une quarantaine d’années de militance et une carrière de professeur-chercheur, Didier Dominique s’est éteint le 18 mai 2025 à Port-au-Prince. L’homme de 73 ans souffrait d’un cancer du pancréas

Durant sa vie, il s’est illustré dans plusieurs domaines: il a été syndicaliste, architecte et professeur d’université.

Dominique Didier laisse derrière lui un héritage intellectuel et militant riche et marquant. 

Derinx Petit Jean, historien et professeur à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), a connu Didier Dominique comme un «éducateur populaire», un « militant marxiste communiste » et un «intellectuel organique» à la défense de la «classe prolétarienne». 

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Dominique était une figure engagée, mettant son savoir au service des luttes sociales.

«Il y a deux choses qui caractérisent Didier Dominique : l’engagement et la conviction», souligne  Petit Jean à AyiboPost.

Il raconte avoir milité à ses côtés dans la lutte contre la présence de la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH) en 2017 ainsi que pour l’indemnisation des victimes du Choléra à partir de 2010.

Il y a deux choses qui caractérisent Didier Dominique : l’engagement et la conviction

Derinx Petit Jean

Cette épidémie, introduite par des casques bleus népalais, a causé près de 10 000 morts en Haïti. Les Nations unies ont reconnu leur responsabilité dans l’introduction de la maladie en 2016, après des années de déni sans pour autant indemniser individuellement les victimes.

Le professeur Petit Jean, qui considère Dominique comme son mentor, déclare avoir bénéficié de ses formations à travers des organisations de base. 

«Je me souviens que c’est Didier qui m’a offert en cadeau une version créole du Manifeste du parti communiste », témoigne t-il à AyiboPost. 

Publié en 1848  par Karl Marx et Friedrich Engels, cet ouvrage invite les travailleurs à s’unir contre l’exploitation capitaliste.

Pour mener cette vie de lutte en faveur des ouvriers et des paysans, Didier a délaissé l’intérêt de sa dite classe d’origine.

Issu d’une famille mulâtre de la petite bourgeoisie haïtienne, Dominique a vu le jour le 26 janvier 1952, à Port-au-Prince, au corridor Bois de chêne, situé entre l’Avenue Christophe et la rue Capois. 

Il est le dernier né d’une fratrie de six enfants.

Grâce au contexte social et aux moyens de ses parents, Maude et Henry Dominique, il a pu bénéficier d’opportunités que ses camarades du quartier n’ont pas toujours eues.

Après ses études classiques à Port-au-Prince, notamment au Petit séminaire collège Saint Martial et un autre établisssement de la place, il voyage à Porto-Rico pour étudier  l’architecture à l’université de Rio Piedras, où il  rencontre sa première femme, Maryse Penette, mère de sa fille unique, Arielle Dominique. 

« Depuis son enfance, Didier Dominique commence à nourrir une conscience sociale, en observant la misère qui frappe de plein fouet ses camarades avec qui il jouait dans le quartier où il habitait », indique à AyiboPost l’un de ses plus vieux amis et camarade de combat, Rodolphe (Sonson) Mathurin.

Durant ses études en terre portoricaine, poursuit Mathurin, «le mouvement indépendantiste en vogue à Porto-Rico dans les années 1970 visant à mettre fin à la domination des États-Unis sur l’île et à établir une république indépendante, avait beaucoup inspiré Didier».

Depuis son enfance, Didier Dominique commence à nourrir une conscience sociale, en observant la misère qui frappe de plein fouet ses camarades avec qui il jouait dans le quartier où il habitait

À son retour en Haïti, Didier Dominique constata avec acuité la détérioration de la condition de ses amis d’enfance, eux qui n’avaient pas bénéficié des mêmes opportunités de progression que lui.

Plus tard, il confia à sa fille unique, Arielle Dominique, que ce constat fut pour lui un véritable déclic, l’incitant à s’engager en faveur des plus démunis et à lutter pour la justice sociale.

Contactée par AyiboPost, Arielle Dominique estime que Didier s’est  profondément inspiré de son frère aîné, le Père Max Dominique, décédé en septembre 2005 qui fut un prêtre engagé dans  la  promotion de la théologie de libération en Haïti.

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Ce courant chrétien né en Amérique latine dans les années 1960-1970 lie la foi chrétienne à la lutte contre les injustices sociales.

Max Dominique a été exilé sous la dictature des Duvalier.

Selon Arielle Dominique, une bonne partie de la famille proche de Didier vit à l’extérieur du pays.

«J’ai été informée de sa maladie le 23 avril 2025. Moins d’un mois plus tard, il est décédé à l’hôpital », témoigne à AyiboPost Arielle Dominique, avec une pointe de tristesse dans la voix.

Le décès de Didier a été vécu comme un choc par les membres de sa famille.

Son parcours atypique a parfois «saccagé et inquiété» la famille. Malgré cela, «il était une force pour nous», admet sa fille unique. 

Didier Dominique sentait qu’il s’approchait de son tombeau. « J’ai l’impression que je vais partir parce que je ne me sens pas bien du tout », a-t-il annoncé à Sonson Mathurin en mars 2025, au centre culturel Anba Zanmann, situé à la rue Came Liau, au Bois-Verna. 

Mathurin se souvient de Didier Dominique comme son «Tokay». Un homme qu’il a eu la chance de rencontrer il y a 38 ans, dans une cellule politique clandestine, au moment de l’arrivée au pouvoir en Haïti du Conseil National de Gouvernement dirigé par le général Henri Namphy, après la chute des Duvalier.

J’ai l’impression que je vais partir parce que je ne me sens pas bien du tout.

-Didier Dominique

Pour Télémaque Pierre, membre de la plateforme syndicale Batay Ouvriye,  Dominique était un pilier de l’organisation et celui qui avait fait de la structure vieille d’une trentaine d’années un mouvement politique de masse pour défendre les droits des ouvriers.

Jusqu’à sa mort, Didier a été dirigeant et porte-parole de l’organisation syndicale.

Militant et ouvrier, Télémaque Pierre se rappelle avoir été invité à plusieurs reprises par Dominique pour faire des présentations pour des étudiants sur la lutte ouvrière dans l’espace universitaire.

Didier Dominique appelait constamment les travailleurs à s’organiser, tous secteurs confondus, afin de défendre leurs droits et intérêts.

Son engagement a suscité la création de syndicats au niveau de l’Electricité d’Haïti (EDH) et au sein du Ministère des Travaux Publics dans le Nord du pays. 

En collaboration avec une organisation de droits humains en République dominicaine, Dominique initie, en 2015, un mouvement pour que les haïtiens nés sur le territoire dominicain et travaillant dans les champs depuis des décennies puissent obtenir des documents d’identité, rapporte Pierre à AyiboPost. 

Cette initiative s’inscrivait dans un contexte tendu, deux ans après l’arrêt 168-13 de la Cour constitutionnelle dominicaine, qui a rendu apatrides des milliers de descendants d’Haïtiens en leur retirant rétroactivement la nationalité dominicaine.

Pour sa part, Josué Merilien, coordinateur de l’Union nationale des normaliens haïtiens ( UNNOH), considère Dominique comme un militant internationaliste dont «les luttes vont au-delà de nos frontières».

Il rapporte qu’en 2003, Didier Dominique s’était opposé à l’implantation de zones industrielles sur les terres agricoles de la plaine de Maribaroux, à Ouanaminthe, dans le Nord-Est du pays.

Le syndicaliste confie à AyiboPost qu’à plusieurs reprises, à l’étranger, il a partagé la scène avec Didier Dominique lors de panels abordant la situation des travailleurs à l’échelle mondiale ou le symbolisme de la Bataille de Vertières.

Architecte, Didier Dominique a laissé son empreinte à l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN).

Josué Merilien, coordinateur de l’Union nationale des normaliens haïtiens ( UNNOH), considère Dominique comme un militant internationaliste dont «les luttes vont au-delà de nos frontières».

Dans la décennie des années 1970, sous la direction du célèbre architecte et sculpteur haitien Albert Mangonès, Didier Dominique avait travaillé sur le projet d’Inventaire des monuments et sites touristiques d’Haïti. 

Ce fut le premier travail de l’Office national du tourisme et des relations publiques (ONTP) qui va constituer la base de la création de l’ISPAN en mars 1979, témoigne l’architecte Ginette Chérubin dans son texte d’adieu à Didier Dominique partagé avec AyiboPost. 

Dominique a opté pour l’élargissement de l’inventaire dans la Caraïbe. Dès son retour à l’ISPAN dans les années 1990, il est devenu l’un des membres fondateurs de l’Organisation des Caraïbes pour les monuments et les sites (CARIMOS).

Il a également travaillé dans le projet d’innovation de la Citadelle Laferrière entre les années 1970 à 1990.

Didier Dominique a entretenu une profonde affinité avec la culture vodou. Au cours de ses pèlerinages à travers le pays, il a pu rencontrer l’anthropologue Rachel Beauvoir à Lakou Souvenance, aux Gonaives, relate sa fille, Arielle Dominique. 

Unis par le mariage, Dominique et Beauvoir consacrent leur engagement à la valorisation et à la défense du vodou.

Ensemble, ils ont coécrit l’ouvrage intitulé Savalou E, publié en 1989, qui explore le vodou haïtien ainsi que l’univers des sociétés secrètes.

 Cet ouvrage a été primé la même année au concours Casa de Las Américas. 

Ce prix, créé en 1960, vise à valoriser et promouvoir les œuvres littéraires et artistiques des pays d’Amérique latine, des Caraïbes, et parfois d’autres régions du monde.

Trois mois après le décès de Rachel Beauvoir, survenu en janvier 2018, Didier Dominique est devenu officiellement hougan, succédant à son épouse dans leur péristyle situé à Mariani, dans la commune de Carrefour, rapporte sa fille Arielle Dominique.

La famille souhaitait pouvoir y organiser les funérailles du défunt, mais la constante présence des gangs dans la zone avait rendu l’accès au péristyle impossible.  

Professeur de sociologie urbaine à la Faculté des Sciences de l’Université d’Etat d’Haïti, Didier Dominique a lutté pour l’autonomie de l’université après la fin de la dictature des Duvalier en 1986, indique l’historien et géographe Georges Eddy Lucien, joint par AyiboPost. 

Trois mois après le décès de Rachel Beauvoir, survenu en janvier 2018, Didier Dominique est devenu officiellement hougan, succédant à son épouse dans leur péristyle situé à Mariani, dans la commune de Carrefour, rapporte sa fille Arielle Dominique.

« Didier reste attaché à l’idéologie marxiste jusqu’à sa mort. C’est un modèle d’engagement et d’attachement à la conviction», commente Lucien.

D’après le professeur, Dominique est un militant qui a donné la priorité au temps collectif sur le temps individuel. 

Lors d’une activité chez un camarade en décembre 2022, raconte Lucien, Didier a dit en me saluant : «Eddy, il faut que nous fassions la révolution».

La fille du défunt, Arielle Dominique, se souvient que son père était passionné des jeux de ping pong et de football. 

L’enfant unique déclare avoir été comblé de l’amour de son père qu’elle décrit comme une personne joviale envers elle et qui avait le sens de l’humour. 

« Je continue à remercier mon père parce qu’il m’a donné Haïti et m’a appris l’amour de mon pays, la connaissance de ma culture, le respect d’autrui et l’amour pour le peuple haitien », déclare Arielle Dominique qui ne cache pas sa fierté. 

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Couverture | Portrait du syndicaliste, architecte et professeur d’université Didier Dominique. Photo : Carvens Adelson

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti.

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