La police manque de personnel pour combattre les gangs. Mais des centaines d’officiers se retrouvent en détachement avec des individus influents
Lorsque le «prophète» Markinson Dorilas arrive à l’hôtel Karibe pour participer à une émission dans la matinée du 5 avril 2025, le soldat en uniforme de l’armée d’Haïti qui l’accompagnait arborait une arme de guerre.
Questionné sur place par AyiboPost, Dorilas a révélé que son imposant dispositif de sécurité comprend quatre policiers, un soldat de l’armée et un garde du corps.

Le « prophète » Markinson Dorilas à l’hôtel Karibe, le 5 avril 2025, accompagné d’un soldat en uniforme de l’armée d’Haïti. Photo : AyiboPost
Ce cas illustre la partie émergée d’un immense iceberg : des centaines de policiers et de soldats de l’armée sont affectés — officiellement ou non — à la protection d’hommes d’affaires, de proches du gouvernement, d’anciens responsables de l’État, voire d’entreprises privées.
Cette pratique oblige l’État à assumer chaque mois les frais de sécurité rapprochée d’individus influents, alors même que la Police nationale d’Haïti (PNH) et l’armée manquent d’effectifs pour protéger la population face à la violence des gangs.
« L’indiscipline et le désordre qui caractérisent la gestion de l’institution policière ne permettent pas aux responsables de mettre fin à cette pratique, qui affaiblit la PNH et empêche de mobiliser le plus grand nombre d’agents disponibles pour la lutte contre l’insécurité », déclare à AyiboPost le président du conseil d’administration de la Fondasyon Je Klere, Me Samuel Madistin.
Des centaines de policiers et de soldats de l’armée sont affectés — officiellement ou non — à la protection d’hommes d’affaires, de proches du gouvernement, d’anciens responsables de l’État, voire d’entreprises privées.
Dans un pays comme les États-Unis, les membres du cabinet bénéficient d’une protection financée par l’État pendant six mois après la fin de leur mandat. Cette mesure peut être prolongée en cas de menaces avérées. Mais ces anciens responsables de l’État ne peuvent prétendre à une sécurité permanente aux frais des contribuables américains.
En Haïti, la loi confie à la Police nationale (PNH) la mission d’assurer la sécurité des institutions de l’État — un mandat qui inclut la protection des autorités en exercice. « Aucun texte juridique ne prévoit explicitement une telle protection pour les anciens détenteurs de ces fonctions », selon Me Madistin.
Dans les faits pourtant, d’anciens ministres, ex-fonctionnaires ou même des figures politiques sans rôle officiel semblent bénéficier d’une escorte policière permanente, financée par les deniers publics haïtiens.
Ainsi, deux agents armés de fusils d’assaut et coiffés de képis de la PNH ont été observés par AyiboPost à la clinique privée de l’ancien Premier ministre Jack Guy Lafontant, située à la Ruelle Berne, le 21 avril dernier — soit plus de six ans après son départ du gouvernement.
Le gastro-entérologue Lafontant n’a pas répondu à une demande de commentaires transmise par courriel deux jours après cette observation.
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En Haïti, les privilèges liés à la sécurité ne se limitent pas aux anciens hauts responsables de l’État. Ils s’étendent souvent à des figures politiques influentes. Selon une source, au moins un policier accompagnait régulièrement l’opérateur politique Me André Michel, un proche allié de l’ex-premier ministre Ariel Henry.
Cette pratique s’inscrit dans un contexte où plus de la moitié des effectifs de la Police nationale d’Haïti (PNH) sont concentrés dans le département de l’Ouest.
Pourtant, « la majorité de ces agents sont affectés à la protection de personnalités ou mobilisés pour des activités privées, ce qui les empêche de participer activement à la lutte contre l’insécurité », déplore à AyiboPost Garry Jean Baptiste, syndicaliste du SPNH-17.
Aucune unité « n’échappe à ce désordre », poursuit cet officier fort de 21 ans d’expérience, révélant que « plus de vingt agents du groupe d’élite SWAT sont affectés à des détachements, de même qu’entre dix et quinze membres de la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID) ».
Lionel Lazarre, porte-parole de la PNH, n’a pas donné suite à une demande de commentaires adressée par AyiboPost.
« La majorité des policiers [de l’Ouest] sont affectés à la protection de personnalités ou engagés dans des activités privées, ils ne participent donc pas activement à la lutte contre l’insécurité », déclare Garry Jean Baptiste, syndicaliste du SPNH-17
Les agents en détachement exécutent une grande variété de tâches, parfois à la limite de la légalité.
Certains assurent la sécurité de bâtiments ou d’entreprises privées. L’argent perçu de ces entités est souvent partagé avec leur hiérarchie, selon trois sources proches de ces pratiques.
D’autres sont chargés de surveiller des terrains impliqués dans des litiges fonciers ou sont affectés à des individus influents vivant à l’étranger. En l’absence de leurs protégés, ces policiers errent sans affectation, tout en continuant de toucher leur salaire de l’État.
« La politisation de la police nationale se manifeste aussi de cette manière », estime Garry Jean Baptiste, porte-parole du SPNH-17, soulignant que ce désordre nuit au bon fonctionnement de l’institution, incapable de s’appuyer sur ses ressources clés.
Les forces de sécurité haïtiennes souffrent d’un manque criant de personnel. L’armée et la police comptent respectivement environ 1 000 soldats et 12 000 agents.
Ces chiffres, probablement surestimés en raison des nombreux départs à l’étranger et des assassinats, restent largement en deçà des normes internationales pour une population estimée à douze millions d’habitants.
Le déficit en effectif est tel que, début avril, l’État a annoncé son intention de mobiliser une brigade armée irrégulièrement, déjà impliquée dans multiples cas de violations des droits humains, dans la lutte contre l’insécurité.
La privatisation d’une partie de la PNH réduit encore plus le nombre de policiers disponibles pour le service public.
Les agents en détachement exécutent une grande variété de tâches, parfois à la limite de la légalité.
La faible rémunération et les retards de paiement accélèrent ce phénomène.
Un soldat d’une trentaine d’années, affecté depuis trois mois à la protection d’un membre du Conseil présidentiel de transition, dénonce des conditions de travail déplorables : primes aléatoires, frais non versés, retenues arbitraires imposées par sa hiérarchie…
Il affirme percevoir un salaire de moins de 30 000 gourdes, souvent versé en retard, accompagné d’une carte prépayée d’un montant de 15 000 gourdes et des bons de carburant aléatoires de plusieurs milliers de gourdes.
C’est ce genre de conditions de travail qui pousse nombre de policiers et de militaires à rechercher des postes en détachement informels.
Lire plus : Les policiers désertent les rues de Port-au-Prince
D’après les déclarations du « prophète » Markinson Dorilas dans la cour de l’hôtel Karibe, les agents des forces de l’ordre qui l’accompagnent « travaillent pour lui de manière privée », sans passer par les canaux officiels.
Ce comportement, selon Me Madistin, va « à l’encontre des règles déontologiques de l’institution policière ».
Lorsqu’un agent se met au service d’intérêts privés contre rémunération, en utilisant les ressources fournies par l’État, « cela constitue un acte de corruption », poursuit Me Madistin, appelant la PNH à établir une réglementation claire pour endiguer cette dérive.
Par : Widlore Mérancourt & Jérôme Wendy Norestyl
Couverture | Photo d’un soldat en posture de salutation. (Photo : Freepik), accompagnée du « prophète » Markinson Dorilas en arrière-plan. (Source : Compte FaceBook du « prophète » Markinson Dorilas). Collage : Florentz Charles pour AyiboPost – 30 avril 2025.
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