SOCIÉTÉ

Internet gratuit, nouveau campus… les projets du recteur élu de l’UEH

0

En entrevue avec AyiboPost, le nouveau recteur Dieuseul Prédélus revient sur les défis auxquels fait face l’institution. Il fait des annonces importantes pour l’université publique

L’Université d’État d’Haïti (UEH) a élu un nouveau conseil exécutif le 9 mars 2025, dans un contexte où l’insécurité généralisée éprouve durement l’enseignement supérieur en Haïti.

Cette élection, organisée par la Commission Électorale Centrale (CEC) de l’UEH, a porté à la tête de l’institution un trio composé de Dieuseul Prédélus, recteur ; Prédener Duvivier, vice-recteur aux affaires académiques ; et Jacques Blaise, vice-recteur à la recherche. Le mandat de cette nouvelle équipe s’étend de 2025 à 2029.

Avec un score écrasant de 95,45 % des voix — soit 21 votes contre 1 pour son adversaire Jean Poincy — Dieuseul Prédélus succède à Fritz Deshommes, qui a dirigé l’UEH pendant deux mandats consécutifs, soit huit années.

Dans une interview accordée à AyiboPost, le nouveau recteur dresse un tableau sombre de la situation actuelle de l’université. Il fait également part de plusieurs initiatives futures pour adapter l’UEH aux réalités actuelles et faire face aux nombreux défis.

Parmi les mesures annoncées : une dotation mensuelle de 30 gigabyte d’internet pour les étudiants afin de faciliter les activités académiques en ligne; des ajustements salariaux pour le personnel administratif ; le lancement du processus de numérisation générale des documents dans l’ensemble des entités de l’UEH ; la distribution de kits Starlink à chaque administration ; et des démarches pour louer de nouveaux locaux. 

Interviewé le 1er avril 2025, le nouveau recteur de l’UEH, ancien directeur des affaires financières de l’Ecole Normale Supérieure (ENS), dit s’engager à relever les défis actuels de l’institution. Il appelle l’État haïtien à soutenir l’institution, notamment sur le plan financier.

Pour des raisons de clarté et de concision, l’interview a été éditée.

AyiboPost : Quel bilan dressez-vous de l’Université d’État d’Haïti ?

Dieuseul Prédélus : J’ai été élu à la tête de l’Université d’État d’Haïti dans un contexte très compliqué.

Presque toutes les onze entités de l’UEH ont été forcées de quitter leurs locaux au bas de la ville à Port-au-Prince à cause des attaques de gangs armés dans la capitale. L’université fonctionne aujourd’hui sans espace physique stable pour toutes ses facultés.

Lire plus : L’UEH confrontée à la crise du départ de ses professeurs

Nous avons perdu beaucoup de cadres de l’université soit, des professeurs ou des membres du personnel administratif qui ont dû quitter le pays à cause de l’insécurité. Par exemple, au niveau du rectorat, nous avons des postes clés qui n’ont pas de responsable, comme celui de secrétariat générale, la direction des ressources humaines, la direction des relations internationales ou le  registraire.

À cela s’ajoute un autre problème : le budget annuel de l’université, qui permet de répartir les fonds entre les différentes entités et d’assurer le fonctionnement de l’institution, n’avait pas toujours été distribué. Sans cette répartition, il est très difficile de financer les activités courantes, soit au niveau administratif qu’académique. 

Dans un contexte où les attaques armées ont contraint la plupart des facultés de l’UEH à quitter leurs locaux, quelles sont celles qui parviennent encore à fonctionner dans un espace physique actuellement ?

La majorité de nos facultés ne disposent pas d’espaces physiques pour fonctionner normalement pour l’instant. Certaines ont perdu leurs locaux et ont dû se relocaliser, mais elles continuent de rencontrer des difficultés, car elles se trouvent dans des zones à risque. C’est le cas de l’École Normale Supérieure, qui avait été transférée dans un local provisoire à Pacot et Canapé-Vert, mais qui est aujourd’hui difficilement accessible.

Il en va de même pour la Faculté des Sciences, qui, après avoir quitté le bas de la ville, a été transférée à Delmas 31, ainsi que pour la Faculté de Droit et des Sciences Économiques, qui se trouve actuellement sur l’avenue Martin Luther King.

Nous avons perdu beaucoup de cadres de l’université soit, des professeurs ou des membres du personnel administratif qui ont dû quitter le pays à cause de l’insécurité

D’autres entités, comme la Faculté de Médecine et de Pharmacie, connaissent la même situation et doivent parfois compresser certains cours et examens en présentiel.

Face à cette réalité, nous avons dû privilégier les cours en ligne, bien que nous soyons conscients que cela ne peut pas remplacer totalement l’enseignement en présentiel. Le véritable besoin, à ce jour, est l’acquisition de nouveaux espaces pour permettre à nos facultés de fonctionner dans des conditions normales.

Vous avez été élu dans un contexte où l’université fait face à une série de besoins et de défis majeurs. Quel est le plan que vous envisagez pour exercer vos fonctions pendant votre mandat de quatre ans ?

La première priorité est d’aborder la question du relogement global de toutes nos facultés, non pas comme des entités distinctes, mais en envisageant l’implémentation d’un campus universitaire capable d’accueillir l’ensemble des facultés.

Nous mettrons également en place des plans pour accompagner les étudiants face à différents défis. Parmi ces initiatives, nous prévoyons l’accès à Internet pour tous les étudiants, des services de photocopie, des salles de cafétéria, ainsi qu’un accès à une bibliothèque numérique centrale. Nous envisageons aussi de garantir à tous les étudiants une couverture d’assurance santé.

En parallèle, nous travaillons sur un système de standardisation du fonctionnement administratif des différentes entités de l’université, car, à ce jour, chaque entité ne fonctionne pas toujours en corrélation. Pour remédier à cela, nous allons instaurer un manuel de procédures administratives qui définira un ensemble de normes pour assurer une coordination optimale entre toutes les entités de l’université.

Nous travaillerons sur l’adoption d’une loi-cadre de l’Université d’État d’Haïti. 

Nous renforcerons également le volet du « services à la communauté », au sein de l’université, surtout en cette période de crise. Nos étudiants en formation que ce soit en sociologie, en psychologie, en médecine et autres pourraient apporter leur contribution, dans ses structures d’aides instaurées par l’UEH.

Lire aussi : Chute drastique des inscriptions dans les Universités en Haïti

Nous réfléchirons également à la mise en place de structures dédiées à la production de connaissances, notamment des laboratoires, afin de prioriser et d’encourager la recherche.

Un autre objectif est la création d’un service d’accompagnement académique pour les étudiants, incluant des cours de langues étrangères comme le chinois, l’espagnol et l’anglais, afin de renforcer leurs compétences linguistiques et leur ouverture internationale.

En outre, nous prévoyons une formation continue pour l’ensemble du personnel administratif de l’université, particulièrement dans le domaine des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), qui se développent rapidement. Sans oublier d’adresser la question de l’ajustement des salaires pour le personnel administratif, avec l’introduction de cartes de débit.

Nous réactiverons également le volet du service de relations internationales pour recréer des liens académiques et intellectuels avec d’autres pays.

Parmi les points de ce plan, quelles actions concrètes sont actuellement en cours d’exécution et quelles initiatives ont déjà été prises par le conseil depuis son élection ?

Pour l’instant, nous avons entamé des démarches de location et nous sommes en pourparlers pour acquérir de nouveaux espaces afin de reloger progressivement chaque faculté.

Face à la vulnérabilité actuelle, notamment avec la perte de locaux par plusieurs entités, nous avons démarré un processus de numérisation des documents de l’université, en collaboration avec la direction informatique.

Nous avons commencé par les archives du rectorat, et dans les deux mois à venir, nous prévoyons de numériser l’ensemble des documents de toutes les entités.

Nous envisageons également de fournir dans les jours qui viennent, aux étudiants inscrits à l’UEH des entités à Port-au-Prince d’un accès de 30 gigabytes par mois pour renforcer leurs activités académiques, qui, pour la plupart sont réalisées en ligne.

De plus, nous allons équiper toutes les administrations de l’université, qu’il s’agisse de l’administration centrale ou des facultés, d’un kit Starlink, pour dynamiser davantage leurs activités.

Face à la vulnérabilité actuelle, notamment avec la perte de locaux par plusieurs entités, nous avons démarré un processus de numérisation des documents de l’université, en collaboration avec la direction informatique.

Vous avez évoqué l’accès mensuel à Internet pour les étudiants. À partir de quand ce service sera-t-il disponible ? Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce projet ? Et avec quelle entreprise ce partenariat sera-t-il réalisé ?

Nous ne savons pas encore avec quelle entreprise de téléphonie mobile ou fournisseur d’accès Internet nous allons signer ce contrat. Néanmoins, nous pouvons donner l’assurance que les fonds sont déjà prévus dans le budget pour ce projet pour cette année, et que très bientôt, tous les étudiants des entités de l’UEH situées à Port-au-Prince pourront en bénéficier. 

Dans un contexte où tous les institutions publiques ou privées situées au bas de la ville de Port-au-Prince sont en train de migrer massivement vers d’autres régions de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, comment parvenez-vous à trouver des espaces de location pour reloger l’ensemble des dizaines de facultés de l’UEH ?

Dans les démarches que nous avons entreprises, nous avons pu trouver des propositions de locaux. Néanmoins, le principal obstacle reste le manque de moyens financiers, car les loyers sont très élevés et ne correspondent pas au budget dont nous disposons. 

Quel est le montant alloué à l’Université d’État d’Haïti dans le budget national, et comment ce budget est-il réparti pour répondre aux besoins de l’institution ?

Le budget annuel de l’Université d’État d’Haïti se divise en deux parties. Environ 1,7 milliard de gourdes sont consacrés au paiement de salaires des employés, tandis qu’une enveloppe d’environ 500 millions de gourdes est prévue pour assurer le fonctionnement global de l’institution. Toutefois, dans le contexte actuel, l’UEH fait face à une situation exceptionnelle : la quasi-totalité du matériel des facultés a été perdue, compliquant davantage le fonctionnement de l’université. 

Combien sera approximativement le coût total pour la location des ces nouveaux espaces ?

Il faut préciser que, la location totale des espaces nécessitera environ 80 millions de gourdes, hormis l’acquisition de nouveaux matériels de fonctionnement logistique. Tout en rappelant aussi que le budget alloué pour le fonctionnement normal de l’université n’avait pas inclus ces dépenses.

Lire aussi : État des lieux de la recherche à l’UEH à l’heure du renouvellement du Conseil exécutif

Dans un tel contexte, pendant combien de temps estimez-vous l’Université d’État d’Haïti continuera-t-elle à fonctionner sans locaux stables ?

Nous sommes incertains quant à la durée pendant laquelle l’UEH pourra rester dans cette situation, où nous ne disposons pas d’espaces stables et sécurisés pour fonctionner. Néanmoins, nous sommes déterminés à nous battre, tout en accordant la priorité à des initiatives telles que l’accompagnement des étudiants, en leur fournissant les moyens nécessaires pour continuer à suivre les cours, et  de soutenir l’administration des nos facultés. Nous nous adaptons à cette situation, en optant un format hybride pour les programmes, combinant les cours en ligne et en présentiel.

Dans un contexte où l’université ne dispose pas d’espaces logistiques pour accueillir les étudiants, y aura-t-il des conséquences sur le nombre de postulants l’UEH prévoit d’accepter par année ? 

Nous n’écartons pas la possibilité de réduire le nombre d’admissions pour nos postulants. Car, d’une part, la capacité d’accueil logistique de l’UEH a diminué, ce qui limite le nombre d’étudiants que nous pouvons accepter. D’autre part, la quantité ainsi que la qualité académique des postulants a également baissé, ce qui nous oblige à recevoir moins de postulants.

ParLucnise Duquereste


Couverture | Photo de Dieuseul Prédélus, nouveau recteur l’UEH. ( Source :  Université d’Etat d’Haiti UEH)

► AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com


Gardez contact avec AyiboPost via :

► Notre canal Telegram : cliquez ici

► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici

► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

    Comments