« Notre production a baissé de moitié et nous avons renvoyé près d’une dizaine de personnes qui travaillaient dans la ferme », se désole Jean
Dominique Charles Jean, une ancienne employée d’Haïti Broilers, a voulu contribuer à la relance de la production d’œufs et de poules à travers son entreprise « La Petite Ferme ».
« Haïti Broilers » — à un moment responsable de 40 % de la consommation locale en œufs — a cessé de fonctionner en 2022.
L’entreprise enregistrait des pertes consécutives depuis 2019, selon des révélations faites par son ancien directeur à AyiboPost.
Au début de l’année 2024, La Petite Ferme de Jean comptait environ 18 000 poules pondeuses pour une production d’à peu près 200 000 œufs mensuellement.
Mais les vagues successives d’insécurité, les tarifs toujours plus « élevés » de la douane haïtienne, et la concurrence « déloyale » avec les productions dominicaines mettent en péril les activités de cette entreprise de Port-au-Prince.
« Notre production a baissé de moitié et nous avons renvoyé près d’une dizaine de personnes qui travaillaient dans la ferme », se désole Jean.
La Petite Ferme de Jean comptait environ 18 000 poules pondeuses pour une production d’à peu près 200 000 œufs mensuellement.
Une demi-douzaine d’acteurs dans la filière rapportent à AyiboPost des difficultés similaires, avec en toile de fond, des griefs contre la non-prise en compte de la production locale dans le système douanier haïtien.
Le père de Jean a commencé les activités de la Petite Ferme à Delmas en 1978 avec seulement 1 000 poules pondeuses et trois employés.
Jean hérite de l’entreprise en 1996.
La fermeture de la frontière par les Dominicains à cause de la construction du canal de Ouanaminthe dans le deuxième semestre de l’année 2023 aggrave la situation de l’entreprise, qui se tourne vers la Jamaïque pour l’importation de la nourriture des poules pondeuses. Le coût d’achat et des tarifs douaniers sont plus élevés dans ce pays.
Pour supporter ce coût, des employés ont été renvoyés : sur plus d’une trentaine, seulement la moitié conserve encore leur travail.
La production a aussi baissé. De 200 000 œufs dans les premiers mois de 2024, la ferme passe à 108 000 par mois aujourd’hui.
Les frais de passage imposés par les gangs sur les routes n’aident pas. De la Plaine à Delmas, le péage est passé de 5 000 à 35 000 gourdes pour les chauffeurs de la Petite Ferme depuis le pic de l’insécurité en ce début d’année.
Les frais de passage imposés par les gangs sur les routes n’aident pas.
Le 14 juin 2024, près d’une vingtaine de minutes avant de s’entretenir avec AyiboPost, deux hommes lourdement armés descendent d’une motocyclette et font irruption dans l’espace de la Petite Ferme à Lillavois pour demander une rançon à l’agronome Fontil Durand, manageur des points de production de l’entreprise.
Vingt minutes plus tard, la voix inquiète de Durand explique à AyiboPost que, fin 2023, près de 1 000 dindes destinées à l’abattage sont mortes dans la ferme de Lison parce qu’elles ne pouvaient pas s’y aventurer à cause des gangs qui contrôlent pratiquement toute cette localité. « Nous sommes délaissés par l’État », conclut-il.
Parmi les centres de production de la Petite Ferme, ceux de Lison et de Bon-Repos ont cessé leurs activités par crainte des assauts des gangs armés.
La concurrence avec les productions dominicaines préoccupe aussi.
Jean confie à AyiboPost que les œufs importés de la République dominicaine constituent un véritable tourment pour son entreprise.
« Notre faible production ne trouve pas assez de preneurs. Hormis ceux qui connaissent la qualité nutritive des œufs locaux, même des supermarchés à Port-au-Prince préfèrent se tourner vers la production dominicaine, beaucoup plus bon marché pour eux », souligne-t-elle.
Certains supermarchés posent comme condition contractuelle l’ajustement de la production de la Ferme sur les prix plus abordables des œufs dominicains, selon Jean. Une proposition qui mettrait la Ferme à perte.
Même des supermarchés à Port-au-Prince préfèrent se tourner vers la production dominicaine, beaucoup plus bon marché pour eux ,
-souligne-t-elle.
« Il est déraisonnable que nos œufs soient vendus au même prix que ceux du pays voisin quand nous dépensons beaucoup plus pour les produire », analyse Jean.
La douane « surtaxe » souvent les intrants agricoles, dans une situation où les exonérations pour ces entreprises locales par les organismes concernés peinent à voir le jour, selon Dominique Charles Jean.
L’Administration Générale des Douanes rejette cette accusation.
Pour Jean Ralph Gracia, directeur de contrôle au sein de l’AGD, « la douane ne donne pas d’exonérations, c’est une tâche qui revient à l’État via le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), et dont l’applicabilité seule incombe à l’administration douanière ».
D’autres entreprises avicoles ferment leurs portes.
La Ferme des Antilles, une structure moderne de production d’œufs et de poulets de chair entièrement mécanisée, a été inaugurée en 2014 à Cavaillon, à quelques kilomètres de la ville des Cayes.
Avec 12 000 poulets de chair et une capacité de production de 20 000 œufs au quotidien, cette structure « avant-gardiste » comptait participer à casser la dépendance en œufs d’Haïti de la République dominicaine.
Lors des épisodes de « pays lock » entre septembre et décembre 2019, la ferme a enregistré d’énormes pertes de poules pondeuses qui ne mangeaient plus à leur faim dans la localité de Cavaillon.
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Les intrants achetés souvent de la République dominicaine n’étaient pas en mesure d’être acheminés dans la commune en raison des axes routiers de Martissant et de Carrefour bloqués par les bandes armées.
« On a dû liquider 15 000 poules de différents poulaillers. Celles qui n’étaient pas mortes ont été données gratuitement à des particuliers ou vendues à bon marché », ajoute Myrna Verdier, une des copropriétaires.
Cette entreprise familiale a dû mettre à pied sa douzaine d’employés.
Des professionnels qui trouvaient un moyen de nourrir leurs familles se sont retrouvés du jour au lendemain au chômage.
« Beaucoup n’ont pas pu trouver d’autres boulots, d’autres sont partis vers l’Eldorado américain, vers le Canada, le Chili, entre autres », souligne Verdier.
Près de quatre années après, Verdier ne digère pas cette fermeture : « C’est une déception totale. La production locale est perdue. Et c’est regrettable ».
Quand, en 1991, l’acquisition d’une petite propriété à Gressier accueille les premiers poulets de JAVEC Ferme Agricole, l’agronome et entrepreneur Jacques Bontemps n’aurait jamais pensé mettre un terme à ses activités environ 25 ans plus tard, avec une production qui a évolué de 3 000 à 78 000 poules entre 1991 et les années 2000.
C’est une déception totale. La production locale est perdue. Et c’est regrettable.
Cette ferme, présente à Gressier dans le département de l’Ouest et dans la plaine de Petit-Goâve, s’est spécialisée dans la production de poulets de chair, de la nourriture avicole, l’incubation de poussins, entre autres.
L’élevage de bovins destiné à l’abattage et la production de races améliorées était la dernière activité tentée par l’entreprise.
Mais l’absence de ressources humaines compétentes, les tarifs imposés par la douane haïtienne, et les difficultés de commercialisation fortement liées à l’insécurité ont donné le coup de grâce à l’entreprise.
Dans le courant de 2018 à 2019, l’élevage des poulets de chair a été abandonné complètement par la ferme.
« Les poules restantes ont été vendues », confie Bontemps.
Le marché haïtien des œufs de table s’alimentait déjà à 90 % de la République dominicaine, soit environ 40 millions d’œufs par mois en 2022, selon les données de l’Asociación Dominicana de Avicultura.
Au début des années 1980, un ensemble de politiques d’ajustement structurel qualifiées de néolibérales, organisées sous la coupe des institutions telles que le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, ont ouvert le marché haïtien à l’importation et réduit considérablement les tarifs douaniers.
En 1995, les tarifs douaniers sont passés de 40 à 5 % sur le poulet.
Par Junior Legrand
Image de couverture | Ferme avicole
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