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Lyonel Trouillot | Zorro et les neuf mercenaires

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Pas un mot aux secteurs qui les ont délégués, pas de concertation, pas une intervention du président du conseil auprès de la nation. À noter qu’il utilise souvent un « je » aussi impérial que celui de Conille

Le mépris du peuple est tellement bien installé dans la mentalité des politiques et cette réalité tellement acceptée par de nombreux citoyens et dans les médias que personne ne semble avoir fait mention d’un des signes les plus inquiétants dans la « révocation » de Garry Conille et la « nomination » de son « successeur ».

Indépendamment de l’arrogance de Conille et de l’usurpation par lui de prérogatives n’étant pas les siennes, de son inefficacité, de son style Zorro et ses déclarations de va-t-en-guerre, le signe majeur reste que le processus de son éviction à quelque chose d’arbitraire.

La chose, telle qu’elle a été produite, ne répond à aucune des normes fixées par l’accord ayant donné naissance au pouvoir de transition, et surtout le CPT n’a pas jugé bon de s’adresser à la nation pour expliquer, justifier son geste.

Peuple, circulez, je n’ai rien à vous dire.

Ce silence est le signe le plus inquiétant.

Verrait-on pareille chose ailleurs ? Un pouvoir de compromis, un échec patent au moins dans le domaine de la lutte contre la criminalité qui n’est pas que celui du gouvernement, mais celui de l’Exécutif en tant que tel, un conseil présidentiel composé de « représentants » de multiples groupes et secteurs, un scandale autour de trois conseillers sur lequel certains de ces secteurs eux-mêmes réclament une prise de position du conseil, silence dudit conseil et la publication d’un arrêté.

Une adresse à la nation par le CPT était nécessaire.

Pas un mot aux secteurs qui les ont délégués, pas de concertation, pas une intervention du président du conseil auprès de la nation. À noter qu’il utilise souvent un « je » aussi impérial que celui de Conille.

A-t-on raté le procédé discursif par lequel il s’est changé en Leslie Dessalines Voltaire dans son usage de la citation de l’Empereur sur le jugement de l’histoire qu’il revendique comme sienne dans son discours du 17 octobre ?

Comment des délégués de groupes et de secteurs, peuvent-ils prendre une telle décision comme s’ils avaient été élus par un vote populaire ! Même des présidents élus jugent nécessaire sinon obligatoire de s’adresser à la nation et de consulter leurs bases lorsqu’ils estiment devoir prendre des décisions aussi graves.

Pas un mot aux secteurs qui les ont délégués, pas de concertation, pas une intervention du président du conseil auprès de la nation. À noter qu’il utilise souvent un « je » aussi impérial que celui de Conille.

Dans l’analyse des signes, un absolutisme à neuf têtes semble avoir vaincu une tentative ou une tentation d’absolutisme qui n’avait pas les moyens. Zorro et les neuf mercenaires… Pas de doute que Garry Conille pensait ne pas avoir de comptes à rendre au CPT, aujourd’hui, on a tous les signes d’un CPT qui estime ne pas avoir de comptes à rendre à la nation.

Pas une adresse au peuple.

C’est une affaire entre le CPT et… le CPT.

Que peut être un premier ministre « nommé » dans de telles conditions sinon un subalterne docile qui travaille pour répondre aux objectifs de ses chefs ? Quels sont ces objectifs ? Personnels, on en a la preuve au moins pour trois sur neuf.

Pour le reste, Intérêts particuliers de groupes, et de groupes à l’intérieur de groupes. Quels pourront être les hauts fonctionnaires, ministres et directeurs généraux sinon que des cooptés redevables à leurs « bienfaiteurs » ?

Nous sommes bien loin du chef-d’œuvre de Kurosawa. Ses samourais, transformés en mercenaires par le cinéma américain, avaient été engagés par un village pour le défendre contre des bandits. Héroïques jusqu’à y perdre leur vie, ils avaient lutté avec le village. Aujourd’hui, le village d’Haïti est aux mains d’une bande d’anti-héros n’ayant de compte à rendre à personne. La population ne peut ni manifester ni influer. On ne s’adresse même pas à elle.

Que peut être un premier ministre « nommé » dans de telles conditions sinon un subalterne docile qui travaille pour répondre aux objectifs de ses chefs ?

Je ne discute pas du sort du docteur Conille, il n’était pas méritant. Si l’on voulait être méchant, on dirait que c’est une caricature de super héros vaincu par des anti-héros, un ogrillon sans repères dévoré par des ogres. Mais pas besoin d’être méchant, il suffit d’être inquiet.

Tout le monde n’est pas Kurosawa.

Nous ne sommes pas en train de regarder l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Nous sommes pris en otages par des chefs se partageant tous les pouvoirs sans aucun mécanisme de contrôle.

Par Lyonel Trouillot

Image de couverture | Alix Didier Fils-Aimé, entrepreneur et ancien candidat au Sénat d’Haïti, est devenu le nouveau Premier ministre du pays lundi 11 novembre 2024, après que le Conseil présidentiel de transition composé de neuf membres a révoqué le Premier ministre Garry Conille.  

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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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