«Nous risquons de perdre la Source impériale si rien n’est fait», alerte Chavannes Victor, ancien gardien de la maison de Claire-Heureuse située dans la commune de Marchand Dessalines
À Marchand Dessalines, lorsque Chavannes Victor ne travaille pas dans son jardin, on le retrouve à la Source impériale, où il se fait intermédiaire pour des pèlerins et visiteurs, venus adresser leurs requêtes à l’esprit vénéré appelé Félicité, incontestable maîtresse des lieux.
Une vue du bassin Félicité. | © Fidano Daméus
Cette source, alimentant le bassin Félicité, se trouve à l’intérieur du fort Culbuté, construit par Jean-Jacques Dessalines en 1804 pour protéger la ville contre un retour possible des Français.
Aujourd’hui, l’eau de cette source est utilisée pour fournir les robinets d’une bonne partie de la ville.
Pour les habitants de Dessalines et des adeptes de vaudou, le bassin Félicité, qu’on dit avoir appartenu à l’impératrice Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur, épouse de l’Empereur Jacques 1er, est doté de grandes vertus expiatoires.
Depuis quelques années, la coupe des arbres et l’exploitation clandestine de pierres de construction dans la pente surplombant le bassin mettent ce patrimoine en grand danger, selon des témoins au fait de la situation, contactés par AyiboPost.
Une vue de la pente surplombant le bassin Félicité. Déboisée. | © Fidano Daméus
Coiffé par le ministère de la Culture et de la Communication, l’institut de Sauvegarde du patrimoine (ISPAN) est responsable de la gestion et la préservation des sites historiques du pays.
Contacté par AyiboPost, l’institution n’a pas répondu à une demande de commentaire avant la publication de l’article.
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Chavannes Victor se décrit comme un «serviteur» de la divinité habitant la source.
L’homme de 55 ans a vu le jour et a grandi à Marchand Dessalines.
L’histoire de sa vie est inextricablement liée au fort et à la Source impériale.
De son temps, l’eau qui y coulait était limpide et fraîche. Des oiseaux mêlaient leurs mélodies aux chuchotements du vent dans les feuilles des arbres centenaires.
Mais ces dernières années, un problème de gestion compromet la préservation du site.
Victor en parle comme d’un paradis perdu.
«Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Nous risquons de perdre la Source Impériale si rien n’est fait», alerte l’ancien gardien de la maison de Claire-Heureuse située dans cette même ville.
Depuis quelques années, la coupe des arbres et l’exploitation clandestine de pierres de construction dans la pente surplombant le bassin mettent ce patrimoine en grand danger.
Située dans le département de l’Artibonite à environ 160 km au nord de Port-au-Prince, la commune de Marchand Dessalines a été la première capitale d’Haïti.
À ce titre, cette ville fondée en 1802 qui porte le nom de son fondateur, Dessalines, peut s’enorgueillir d’une demi-douzaine de forts datant du 19e siècle et d’autres sites témoignant son passé historique indéniable.
«La Source Impériale est un site à la fois historique et mystique occupant une grande place dans l’imaginaire des habitants de Marchand-Dessalines», témoigne Kessel Damier, président de l’office de tourisme Dessalines (OTD).
«Selon la petite histoire, poursuit Damier, il y a plus de deux siècles, le couple impérial aurait pris l’habitude de venir se baigner dans le bassin-Félicité. Jean-Jacques Dessalines y prenait son bain, avant d’aller à ses réunions.
Plus jeunes, Damier et ses amis fréquentaient cet endroit plusieurs fois par jour, s’y plongeant pour des bains revigorants et se détendre.
Une chose qu’il déplore ne pas pouvoir faire aujourd’hui.
«L’eau du bassin est aujourd’hui boueuse et remplie de détritus. Et la dégradation de l’environnement autour est préoccupante», s’inquiète Damier.
Selon le responsable, cette situation remonte au moins à 2010.
Selon la petite histoire, […] il y a plus de deux siècles, le couple impérial aurait pris l’habitude de venir se baigner dans le bassin-Félicité. Jean-Jacques Dessalines y prenait son bain, avant d’aller à ses réunions.
En dépit de multiples interventions pour sensibiliser autour du danger, «on n’a pas l’impression d’avoir été entendu», regrette Damier, craignant le pire.
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Vixama Phito, directeur administratif de la mairie de Dessalines reconnaît les défis environnementaux qui menacent la Source impériale.
Mais la Mairie manque de moyens pour payer les deux agents de terrain sous contrat, chargés de surveiller l’espace, révèle le responsable.
Selon le directeur, même si les impacts restent limités, plusieurs interventions ont été réalisées sur le site depuis les années 1990.
En 1997, une initiative de la mairie a permis d’installer des bordures en pierre autour du bassin.
Ces dernières structures de protection sont attaquées par des individus.
«Ils ont coupé des arbres pour faire du charbon et ont détruit les murs de soutènement pour en extraire des pierres pour la construction», déplore Vixama Phito.
Des individus ont détruit les murs de soutènement et ont coupé les arbres. | © Fidano Daméus
Cette situation est à la base de la dégradation de l’environnement immédiat de la source.
Face à ces défis, les autorités de la mairie n’arrivent pas à compter sur le soutien de la police qui fait face à un problème d’effectif et de moyens de déplacement pour «contrer ces individus malintentionnés qui opèrent généralement de nuit».
«Si ce n’était notre vigilance, des gens auraient même déjà construit dans les environs du site», se réjouit par ailleurs Vixama Phito.
Richemont Joseph, 60 ans, est l’un des contractuels cités plus haut.
L’homme travaille pour le compte de l’ISPAN depuis une vingtaine d’années.
Mais depuis six ans, Joseph ne perçoit plus aucun salaire de l’Institut. «Il n’y a presque plus de gestion faite de l’espace», déplore Joseph.
Les empreintes de l’insécurité, manifestées par les agissements des gangs armés, sont également visibles sur la commune de Dessalines.
Chaque 11 août, les habitants de Marchand Dessalines fêtent la Sainte-Claire, leur sainte patronne.
Lors de ces festivités, ce site, représenté par la Source impériale et le fort Culbuté (aussi appelé fort la Source) est une attraction touristique et mystique très prisée par les pèlerins venus de partout.
Vue partielle du fort Culbuté. Construit en 1802 pour protèger les sources d’eau qui alimente la ville de Dessalines. | © Fidano Daméus
Depuis au moins cinq ans, cette attraction flamboyante a pris un grand coup de froid.
«Les gens ne viennent presque plus», se plaint Chavannes Victor, rappelant les exactions mortifères des gangs de Savien et de Kokorat San Ras qui sèment impassiblement deuils et terreurs sur les principales routes menant à la ville de Dessalines.
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De son côté, Richemont Joseph craint le pire.
«Ce serait une catastrophe si la commune arrivait à perdre un site si important comme la Source impériale», lâche-t-il.
Fidano Daméus de Marchand Dessalines a participé à ce reportage.
Par Wethzer Piercin
Image de couverture éditée par AyiboPost illustrant l’engoument des enfants de la ville pour la Source impériale. | © Photos : Lost Explorations et Fidano Daméus.
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