Ces fantômes roulants rappellent la nécessité d’une prise en main du transport en commun en Haïti, un secteur crucial, délaissé par l’État et occupé par des prolétaires aux bras financiers souvent cassés
«Des amas errants de ferraille» !
Patrice Valembrun réserve l’expression fleurie pour les autobus de son quartier, Christ-Roi.
«Il est de notoriété publique que ces véhicules sont perpétuellement dans un état de délabrement», partage l’homme avec un brin d’ironie.
Déchireurs de vêtements, odeurs fortes de fumées… les bus de Christ-Roi portent effectivement une mauvaise réputation.
Ces fantômes roulants rappellent la nécessité d’une prise en main du transport en commun en Haïti, un secteur crucial, délaissé par l’État et occupé par des prolétaires aux bras financiers souvent cassés.
Un décret du 26 mai 2006 fait office de code de la route. Il exige ceinture de sécurité et interdit les lunettes, demande le respect de la route et instigue l’usage d’un permis de conduire.
Ce décret rarement appliqué n’empêche en rien le délabrement des voitures de transport en communs, généralement mal entretenues, non contrôlées et mettant en danger la vie des usagers.
«En dépit des débats à ce sujet, aucune action concrète n’a été entreprise et l’instauration de l’ordre dans ce secteur n’est pas considérée comme une préoccupation majeure du gouvernement», tranche Méhu Changeux, coordonnateur du Secteur Transport terrestre haïtien (STTH).
La plupart des circuits s’aventurent dans l’art urbain. C’est le cas de Carrefour-Feuilles avec ses clubs de musique colorés sur quatre roues, poétiquement dénommés Bwafouye.
Ces autobus supportent les portraits grandeur nature de stars hollywoodiennes ou du football, lorsqu’ils n’arborent pas des slogans pimentés, parfois déplaisants, mais bourrés de sagesse.
Sagesse. Certes. Mais ici encore, les passagers se plaignent des surcharges, de la chaleur étouffante, et d’un volume sonore parfois excessif.
L’originalité traverse d’autres trajets. Christ-Roi demeure peut-être le tronçon le plus distinctif. Lucien Pierre en sait quelque chose : il est chauffeur de bus dans la zone depuis 2005.
Selon l’homme, yeux vifs et barbes hirsutes, les autobus du circuit sont des antiquités mis au rebut, transférés à Christ-Roi pour finir leur vie.
Le délabrement devient preuve d’authenticité. «Les passagers refusent de monter à bord des autobus en bon état sur le circuit, car ils ne correspondent pas au type de véhicules habituellement utilisés pour ce trajet», soutient-il.
Des chauffeurs comme Wilfrid Dieu, dans le tronçon depuis 1994, s’efforcent de faire bonne figure. Mais l’homme se plaint de la détérioration du rendement économique due à l’insécurité.
En Haïti, les véhicules de transport en commun roulent parfois sans feu de signalisation, dénués de rétroviseurs avec des passagers entassés partout, sauf sur les quatre roues.
L’inconfort engendre des plaintes, évidemment. Marie-Junie Joseph avait rendez-vous avec un dentiste en Plaine en juin 2020.
Habillée pour son budget maximum, Marie-Junie a pris place dans un bus «très sale» transportant des marchands qui venaient d’acheter des tas de provisions. Les passagers dits simples sont généralement mélangés avec les marchandises lourdes. «Lorsque je suis descendue, mes vêtements étaient sales et froissés», se plaint Marie-Junie.
Les autobus desservant Bon-Repos se distinguent avec leurs palettes de couleurs jaunes et noires, associés au transport scolaire aux États-Unis et au Canada. Ces gros transporteurs sont rentables, disent des chauffeurs comme Noël Pascal.
L’homme remarque que les autobus en direction du centre-ville de Bon Repos sont souvent «dans un état de propreté inférieur à ceux assurant la liaison avec l’aéroport de Bon Repos».
Pascal a sa petite théorie : le non-paiement régulier du tarif de transport par les usagers, mais également la présence fréquente de marchandises, laquelle contribue inévitablement à la détérioration de l’état de propreté des véhicules.
Les syndicats, confrontés à la précarité des chauffeurs, disent leurs limites. «Cette situation crée un désordre où les normes de sécurité sont souvent négligées, et les prix du transport fluctuent de manière incontrôlée», analyse Petrus Eustache Lerice, administrateur de l’Association des Propriétaires et Chauffeurs d’Haïti (APCH).
Pour ce syndicaliste, les transports en Haïti restent un secteur informel. Et c’est à l’État de venir à la rescousse avec des réglementations appropriées, les infrastructures routières qu’il faut et surtout, un «soutien financier» pour les chauffeurs.
Une prise en main qui ferait du bien aux usagers du circuit de Pétion-ville-Jacquet avec ses minibus transportant généralement plus de passagers que leurs capacités normales. «Ces véhicules sont peu entretenus et inconfortables», se plaint Roody Beauchamps, un résidant de Jacquet.
Jean-Baptiste Bernard, chauffeur et président du syndicat des bus Jacquet, s’en défend. «En tant que chauffeurs, notre situation économique est difficile, ce qui limite notre capacité à prendre certaines mesures», dit l’homme.
Finalement, toutes les routes mènent à l’État.
L’État qui doit réguler.
L’État qui doit mettre en œuvre les règles fixées.
Méhu Changeux, coordonnateur du STTH, soutient ce point.
«Le système de transport d’un pays se profile comme un miroir de sa propre identité», dit Changeux. «C’est à l’État qu’incombe la responsabilité de superviser et de réglementer», soutient-il.
Image de couverture : Un bus bondé se dirige vers Portail Léogane, à Port-au-Prince, en novembre 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Gardez contact avec AyiboPost via :
► Notre canal Telegram : cliquez ici
► Notre Channel WhatsApp : cliquez ici
► Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments