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Bas-Peu-de-chose redoute l’arrivée des bandits

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Les riverains ont vécu, pendant les jours qu’ont duré les attaques des bandits armés sur Carrefour-Feuilles en août dernier, la frayeur de l’ombre menaçante d’une descente des bandits sur leur célèbre quartier

À Bas-Peu-de-chose, «haut lieu de la culture urbaine» et bastion du hip-hop en Haïti, situé dans la commune de Carrefour-feuilles, les riverains ont vécu, pendant les jours qu’ont duré les attaques des bandits armés sur Carrefour-Feuilles en août dernier, la frayeur de l’ombre menaçante d’une descente des bandits sur leur célèbre quartier.

Si certains ont abandonné leurs maisons par crainte d’une attaque armée surprise, d’autres ont préféré rester, soit dans l’éventualité de se battre ou parce qu’ils n’ont pas d’autres endroits où aller.

Un jeune de Bas-peu-de-chose et trois personnalités culturelles connaisseurs de Hip Hop, expliquent à AyiboPost leur vécu tout en se questionnant sur le manque d’importance accordée à ce lieu symbolique dans l’annuaire culturel en Haïti.

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Fanfan habite à Bas-peu-de-chose, précisément la rue Nicolas depuis 2014.

Assis sur la ceinture d’une clôture, dans le rougeoiement de l’après-midi, le jeune homme confie ne s’être pas déplacé, malgré les alertes incessantes sur Bas-peu-de-chose.

«J’ai fait profil bas pour suivre le déroulé des événements, quoique plusieurs de mes voisins se sont jetés ailleurs», déclare-t-il à AyiboPost.

Si certains ont abandonné leurs maisons par crainte d’une attaque armée surprise, d’autres ont préféré rester, soit dans l’éventualité de se battre ou parce qu’ils n’ont pas d’autres endroits où aller.

Bas-Peu-de-chose ou BPC (prononcé en anglais) reste célèbre dans la mémoire collective quand il s’agit de parler de musique en Haïti, notamment le rap.

Selon Bychard Barreau, résidant dans la zone depuis 1994 et animateur de l’émission «Rap-intellect» sur Banj Fm à Port-au-Prince, le nom de la zone provient des habitués du «Bar de l’Amitié» dans le courant des années 1990. Ces fêtards utilisaient régulièrement l’expression «peu de chose» pour qualifier leurs élans de générosité. Ce qui aurait fini par requalifier le nom de la zone.

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Là, à la rue Nicolas, célèbre rue de ce quartier, des fresques de quelques éminents rappeurs du célèbre groupe «Barikad Crew» ornent les murs comme autant de bribes de souvenirs qui luttent contre l’évanescence d’une mémoire aux abois que l’espace abrite.

Une mémoire dont les bordures s’estompent à la faveur de l’insécurité distillée par les gangs armés presque partout à Port-au-Prince.

Pour des personnes ayant connu les années 2008-2009, où le rap arborait ses titres de noblesse dans le pays, Bas-peu-de-chose est un héritage culturel qui a vu monter l’étoile de plusieurs groupes de rap populaire en Haïti. Lesquels marqueront de fort belle manière la discographie musicale haïtienne. Il faut mentionner en exemple Majik Click, Pick Up Click, Million Code, Barikad Crew, Rockfam, et plus récemment G-Shytt.

«Ces groupes tenaient la hype des mélomanes friands de la tendance rap. Leurs tubes, les unes plus entraînantes que les autres, étaient à même de constituer un véritable hit-parade à la fin des années 2000», poursuit l’animateur de radio.

Bas-Peu-de-chose ou BPC (prononcé en anglais) reste célèbre dans la mémoire collective quand il s’agit de parler de musique en Haïti, notamment le rap.

Le Hip Hop, apparu dans les ghettos américains dans les années 1970, popularisé en Haïti par Georges Lys Harrys dit Master Dji dans les années 1980, n’a pas tardé à faire des adeptes dans le pays.

Le rappeur Daniel François Darinus aka «Dutty Nishishi» fait partie des habitants de BPC qui se sont résignés à y rester.

S’il est téméraire comme beaucoup d’autres, il reconnaît qu’il ne vole néanmoins pas au-dessus de l’insécurité qui sévit dans la capitale et que pour lui, « un rappeur est un citoyen comme tous les autres, qui se collette avec les mêmes besoins sécuritaires et sociaux que ses congénères.»

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Pierre Harry Dumorney, plus connu sous le nom de « Doc Filah », considère que la situation de Bas-Peu-de-Chose révèle, en filigrane, qu’il y a un véritable manque d’éducation culturelle en Haïti.

«Ces espaces qui sont des abris de cultures urbaines devraient être respectés à la hauteur de la valeur que draine leur histoire», explique-t-il.

À la rue Nicolas, le 8 septembre 2023, quelques semaines après les attaques perpétrées contre la commune de Carrefour-Feuilles le 15 août 2023, les rumeurs sur l’envahissement éventuel du marché Salomon, situé à Carrefour-Feuilles finissaient de mettre sur le qui-vive les habitants de BPC.

La rue Nicolas a évité le pire. Mais « certaines personnes se sont blessées pendant qu’elles prenaient la fuite, ne sachant véritablement pas où ils allaient donner de la tête », relate Fanfan.

Ces espaces qui sont des abris de cultures urbaines devraient être respectés à la hauteur de la valeur que draine leur histoire.

Selon un rapport du Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’homme (Cardh) en date du 25 septembre 2023, les déplacés internes à cause des agissements des gangs armés oscillent entre 30 000 à 35 000 personnes dans différentes communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

En plus d’être le bastion du rap en Haïti, le quartier de Bas-peu-de-chose est aussi reconnu dans le football pour être le quartier d’origine du Victory Football club, l’un des plus anciens clubs de football dans le pays.

« Notre manque de culture hip-hop nous fait piétiner ces hauts lieux de symboles », constate Doc Filah, titulaire de la plaquette A.S.T.R.E sortie en 2013 et qui est présentement doyen de la Faculté d’agronomie et des Sciences de l’environnement à l’Université américaine des sciences modernes d’Haïti (Unasmoh).

Par Junior Legrand

Image de couverture : Des habitants de Carrefour-Feuilles constatant avec impuissance leur maison partir en flammes depuis la Rue Magloire Ambroise.  | © David Lorens Mentor/AyiboPost


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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