SOCIÉTÉ

Des employeurs de la sous-traitance en Haïti détournent les prélèvements salariaux des travailleurs

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Ils effectuent des prélèvements sur le salaire des ouvriers pour des institutions telles que l’ONA et l’OFATMA, sans toutefois reverser les montants aux institutions concernées

Des entreprises du secteur de la sous-traitance effectuent des prélèvements sur le salaire des travailleurs sans les reverser à l’État, révèlent deux acteurs informés de ces pratiques «illégales» à AyiboPost.

Premium Apparel S.A., dirigée par Clifford Apaid, fait partie de la liste des entreprises fautives. Depuis 2016, cette entreprise n’a pas versé à l’Office National d’Assurance vieillesse les montants prélevés sur ses employés, selon les informations communiquées à AyiboPost par un haut cadre de l’ONA.

Premium Apparel S.A. n’a pas pu être joint à son numéro public avant la publication de cet article.

Depuis 2016, cette entreprise n’a pas versé à l’Office National d’Assurance vieillesse les montants prélevés sur ses employés, selon les informations communiquées à AyiboPost par un haut cadre de l’ONA.

En réalité, la plupart des patrons du secteur effectuent des prélèvements sur le salaire des ouvriers pour des institutions telles que l’ONA et l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA), sans toutefois reverser les montants aux institutions concernées. Télémarque Pierre, membre du «Sendika Ouvriye Tekstil ak Abiman-Batay Ouvriye» (SOTA-BO), confirme à AyiboPost cette pratique aux conséquences parfois tragiques.

Un ouvrier de SONAPI lors d’une marche en mai 2023 sur la Route de l’aéroport à Delmas, protestant contre les pratiques illégales des employeurs de la sous-traitance, montre une fiche de paie mentionnant la part de son salaire prélevée pour l’ONA et l’OFATMA. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

«Il s’agit d’un détournement !» dénonce à AyiboPost David Bazile, un administrateur à l’ONA.

Sur la Route de l’Aéroport, en mai 2023, les ouvriers brandissent leurs pancartes et banderoles pour exprimer leurs revendications. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Lorsque les retards atteignent cinq mois, certaines entreprises acceptent de payer des pénalités. Dans certains des cas enregistrés par l’ONA, les employeurs ne paient pas les cotisations d’assurance pour leurs employés, puis ferment l’entreprise.

Cet agissement est contraire à la loi, qui exige aux entreprises d’avertir l’ONA, l’OFATMA et la Direction générale des impôts (DGI) de leur fermeture. Sinon, l’État est habilité à geler puis saisir les biens de l’entreprise.

Il y a une quinzaine d’années, une entreprise étrangère de la Société Nationale des Parcs Industriels (SONAPI) «a disparu avec l’argent prélevé sur les salaires des ouvriers, et lors de la saisie des biens, nous n’avons rien trouvé», témoigne le responsable de l’ONA.

Un ouvrier tient une pancarte, en mai 2023, devant le bureau de l’ONA à Delmas 19, pour dénoncer la corruption au sein de l’institution. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Horizon Manufacturing S.A., par exemple, a fermé ses portes en avril 2022 sans avoir payé les prestations légales ni reversé les prélèvements, déclare Télémarque Pierre.

Cependant, selon la loi organique de l’ONA, une fois que l’entreprise a effectué le prélèvement sur le salaire de l’employé, elle dispose d’un délai de dix jours pour le verser à l’ONA. Passé ce délai, la loi prévoit une amende de 10 % du salaire de l’employé, imposée à l’entreprise. Par conséquent, l’employeur n’a aucun intérêt à retenir le salaire de l’employé, précise l’administrateur à l’ONA.

Dans certains des cas enregistrés par l’ONA, les employeurs ne paient pas les cotisations d’assurance pour leurs employés, puis ferment l’entreprise.

En général, pour atténuer le problème, certaines entreprises acceptent de payer un à deux mois de dettes de prélèvements non versées sur une période de un à quatre ans. Cependant, cela empêche les ouvriers de bénéficier des services des institutions d’assurance et de santé, tels que l’ONA et l’OFATMA.

Le syndicaliste Télémarque Pierre est au courant du cas de deux ouvriers décédés en raison du non-versement des prélèvements d’assurance à l’ONA. Il s’agit, selon lui, de Sandra René, une «femme enceinte qui devait subir une césarienne [en 2020] et de Pierre Louinel, un homme sous traitement de dialyse renvoyé chez lui car il ne pouvait pas payer l’hôpital».

AyiboPost a contacté la famille d’une des victimes, prénommée Sandra René. Elle travaillait depuis dix ans chez Palm Apparel S.A à Diquini. Le 12 juillet 2020, en raison de complications liées à sa grossesse, son médecin lui a recommandé de subir une césarienne.

«Des soins de qualité», revendiquent les ouvriers sur la Route de l’Aéroport en mai 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Pour cela, la femme devait verser 70 000 gourdes à l’hôpital Centre hospitalier de Carrefour, en plus des 27 600 gourdes déjà payées pour l’hospitalisation et les médicaments.

Une fois admise à l’hôpital, elle apprend que «l’OFATMA ne couvrait pas ses frais d’assurance maladie», raconte Judith, sa grande sœur. Elle est renvoyée chez elle et finit par décéder.

Lire aussi : Sandra René payait son assurance chaque mois. Elle est morte faute de soins.

Cette situation a profondément affecté sa mère, Jislène Nose, qui se sent démunie : «Depuis la mort de Sandra, je me retrouve sans recours avec les enfants, car Sandra soutenait toute la famille», raconte-t-elle à AyiboPost. Jusqu’à présent, la famille n’a reçu aucune indemnisation.

Télémarque Pierre relate qu’en avril 2018, lorsque les ouvriers réclamaient des preuves de versement des cotisations d’assurance, l’entreprise Premium Apparel S.A a licencié une cinquantaine d’entre eux sous prétexte de réduire le personnel.

Une fois admise à l’hôpital, Sandra apprend que l’OFATMA ne couvrait pas ses frais d’assurance maladie. Elle est renvoyée chez elle et finit par décéder.

Jean Murat Casimir, un ouvrier, a commencé à travailler chez Premium Apparel S.A en novembre 2019. En mai 2023, il est licencié par cette entreprise. «Nous avons été révoqués parce que nous revendiquions le paiement de nos prélèvements d’assurance à l’ONA», déclare Jean Murat Casimir. Jusqu’à présent, l’entreprise n’a pas été en mesure de fournir de preuves de paiement, ajoute-t-il.

«Lors de notre dernière réunion avec le directeur, il nous a dit que l’entreprise utilisait ces prélèvements pour payer son personnel», explique Casimir à AyiboPost.

En qualifiant cette pratique de «détournement», l’administrateur à l’ONA semble avoir la loi de son côté.

Lire aussi : Elle veut être révoquée de son job à la SONAPI. Les patrons refusent.

Selon Philippe Junior Volmar, spécialiste en droit du travail, ces cas peuvent en effet être considérés comme un détournement de fonds, et le fait de ne pas verser les cotisations à l’ONA et à l’OFATMA constitue déjà une infraction à la sécurité sociale, affirme-t-il.

Mis à part d’autres procédures judiciaires légales, l’action publique peut être engagée contre ces employeurs qui utilisent les prélèvements des employés à d’autres fins, ajoute l’avocat.

Ces cas peuvent en effet être considérés comme un détournement de fonds, et le fait de ne pas verser les cotisations à l’ONA et à l’OFATMA constitue déjà une infraction à la sécurité sociale.

Ces dénonciations interviennent dans un contexte où des milliers d’ouvriers de la SONAPI sont descendus dans les rues au cours du mois de mai 2023 pour protester contre leur niveau de salaire insuffisant face à l’inflation croissante, évaluée à 48,2 % en février 2023.

Une vue de la foule d’ouvriers du parc industriel SONAPI défilant en mai 2023 sur la route de l’aéroport, exprimant leur ras-le-bol. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

«Après avoir reçu notre salaire de la semaine, nous sommes obligés de contracter des emprunts pour pouvoir acheter de la nourriture après avoir payé nos dettes», raconte Fortuné Stanley, l’un des protestataires, à AyiboPost le 22 mai 2023.

La dernière augmentation salariale remonte au 21 février 2022, avec une augmentation de 185 gourdes sur le salaire journalier de 500 gourdes à l’époque. Cependant, selon l’article 137 du Code du travail, lorsque le taux d’inflation augmente de 10 %, une ajustement salarial doit être effectué.

«Nous devrions avoir cet ajustement depuis le 1er octobre dernier», rapporte Télémarque Pierre, membre de SOTA-BO.

En présence des forces de l’ordre, les ouvriers protestataires persistent à exprimer leurs revendications en mai 2023 à Delmas. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Ces mouvements font suite au silence de l’État et des employeurs, rapporte le syndicaliste Télémarque Pierre, qui menace d’intensifier les manifestations dans le Nord et le Nord-Est.

Avant la pandémie de Covid-19, le secteur de la sous-traitance comptait environ 60 000 ouvriers, mais aujourd’hui, il ne reste plus que 40 000 travailleurs actifs dans ce secteur.

L’insécurité a entraîné le licenciement de 20 000 ouvriers en raison de la fermeture de certaines usines, depuis fin décembre 2021 jusqu’en mai 2023, précise Télémarque Pierre.

Après avoir reçu notre salaire de la semaine, nous sommes obligés de contracter des emprunts pour pouvoir acheter de la nourriture après avoir payé nos dettes.

Par exemple, Digneron Manufacturing de la Croix-Des-Bouquets, qui employait environ 1 700 ouvriers, est fermée depuis le 5 octobre 2022 en raison de l’inaccessibilité de la zone due à la présence de bandits. À Tabarre 27, des usines telles que Valdor Apparel Manufacturing et H4H sont également à l’arrêt.

Palm Apparel S.A de Carrefour, qui employait environ 2 000 ouvriers, a fermé une partie de l’entreprise, réduisant l’effectif à environ 1 000 personnes. Sur la route de l’aéroport, Premium Apparel S.A, qui comptait 2 500 ouvriers, est maintenant réduite à environ 1 000.

Un ouvrier allume des pneus dans le but de paralyser la circulation sur la Route de l’aéroport. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

D’autres entreprises telles que Go Haïti S.A, Haïti Premier Apparel S.A, Horizon Manufacturing S.A s’ajoutent à la liste, dans un contexte où la plupart des institutions survivantes décident de réduire leur effectif.

La plupart des usines fonctionnent désormais quatre jours par semaine (du lundi au jeudi) depuis 2022 en raison du manque de commandes des entreprises étrangères.

Depuis le 5 mars 2023, par exemple, PACIFIC SPORTS HAITI S.A et HANSAE HAÏTI S.A ont adopté un horaire de travail réduit, ce qui constitue une violation flagrante du contrat de travail entre les ouvriers et les entreprises, dénonce Télémarque Pierre.

Lire aussi : Comprendre le débat sur le salaire minimum des ouvriers

Les ouvriers protestataires réclament actuellement un salaire minimum de 2 500 gourdes, la mise en œuvre du programme d’accompagnement social des travailleurs, le rétablissement de la sécurité par l’État et la régularisation de la question des prélèvements salariaux.

Par Jérôme Wendy Norestyl

© Image de couverture : Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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