De nombreux Haïtiens attendent une décision concernant leur demande de statut de protection temporaire (TPS) aux États-Unis
En mai 2021, pour des raisons de sécurité, Laurence a quitté Haïti avec sa mère et ses deux frères et sœurs. Ils sont arrivés aux États-Unis juste avant que le Département de la Sécurité intérieure (DHS) ne délivre la nouvelle désignation du statut de protection temporaire (TPS) de 18 mois pour Haïti.
Le TPS permet aux Haïtiens et aux étrangers de 14 autres pays d’avoir le droit de vivre et de travailler aux États-Unis sur une base temporaire mais prolongeable. Laurence a pu travailler aux États-Unis lorsqu’elle et d’autres membres de sa famille ont obtenu le TPS un an après avoir déposé leur demande. L’ancienne étudiante en droit supervise désormais le contrôle de qualité dans une boulangerie à Miami, tandis que sa mère et ses deux frères et sœurs luttent encore pour trouver du travail.
« La vie était dure sans le permis de travail. Nous dépendions de mon père en Haïti pour survivre », explique-t-elle.
La situation est toutefois différente pour Valérie. Cette jeune femme de 31 ans a quitté Haïti le 29 juillet 2021, à cause des cas de kidnappings répétés dans son quartier de Turgeau (Port-au-Prince). Valérie, qui avait un emploi décent en Haïti en tant que membre d’une agence des Nations unies, se trouve maintenant en Arizona, où elle vit temporairement avec un ami – en comptant sur ses économies qui s’épuisent.
« Je me sens désespérée et frustrée par la lenteur du processus. J’envisage souvent de retourner en Haïti car vivre sans papiers est psychologiquement et économiquement difficile. Je ne peux pas trouver d’emploi sans permis de travail et je suis presque ruinée », a déclaré Valérie.
Dachou a étudié en sciences infirmières en Haïti. Elle a fait du bénévolat dans un hôpital de Léogâne. Par la suite, elle a prodigué des soins aux personnes de son quartier à Port-au-Prince. Elle a quitté le pays en mai 2021 pour passer ses vacances en Floride avec sa tante. En raison de la détérioration de la situation politique et sécuritaire en Haïti, elle a décidé de rester aux États-Unis lorsque les autorités américaines ont accordé le statut de protection temporaire aux Haïtiens en mai 2021, puis en juillet 2021.
« J’ai fait une demande de TPS immédiatement après la deuxième annonce en juillet 2021. J’ai obtenu le TPS 11 mois après avoir soumis ma demande. »
Dachou a reconnu que la situation était un peu compliquée pour elle.
« J’ai eu un emploi à temps partiel dans un fast-food sans permis de travail où j’étais payé 10 dollars de l’heure alors que d’autres gagnaient entre 12 et 15 dollars. J’ai aussi eu une expérience dans un camion-restaurant où j’étais payé par semaine et non par heure. Ce n’est pas une expérience facile, parfois je désire retourner en Haïti pour voir ma famille. Parfois je pleure, surtout quand je ne sais pas quand je pourrai voir ma famille », a-t-elle expliqué.
Pour faire face aux catastrophes
Haïti a été désigné pour le statut de protection temporaire pour la première fois en 2010, après qu’un tremblement de terre d’une magnitude de 7,0 sur l’échelle de Richter ait détruit Port-au-Prince et d’autres villes, faisant plus de 200 000 victimes. En outre, 1,5 million de personnes ont été déplacées et contraintes de vivre dans des centaines d’abris provisoires.
Le programme a été prolongé à plusieurs reprises et, le 22 mai 2021, le secrétaire à la sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, a désigné Haïti pour le TPS pendant 18 mois. Seules les personnes résidant déjà aux États-Unis pendant cette période et remplissant toutes les autres conditions peuvent demander le TPS. Les personnes essayant de venir aux États-Unis après l’annonce ne seront pas éligibles pour le TPS et pourront être expulsées.
« Haïti connaît actuellement de graves problèmes de sécurité, des troubles sociaux et une augmentation des violations des droits de l’homme, une pauvreté accrue et un manque de ressources de base qui se sont intensifiés en raison de la pandémie de Covid-19 », a déclaré Mayorkas en guise de justification.
Le 7 juillet 2021, le président haïtien Jovenel Moïse est assassiné à son domicile. Le 14 août, un séisme de magnitude 7,2 a frappé le sud d’Haïti, qui avait déjà été rasé par l’ouragan Matthew en 2016. D’importants espaces du territoire sont actuellement contrôlés par des bandes armées impliquées dans de nombreux massacres, qui ont été documentés par les organisations de défense des droits humains les plus importantes du pays.
Sans président et avec seulement dix élus (10 sénateurs), Ariel Henry, soutenu par les États-Unis, fait office de premier ministre sans programme officiel. Les crises de carburant sont récurrentes et les kidnappings se multiplient.
« Après avoir consulté les partenaires inter-agences, le secrétaire d’État Mayorkas a décidé de désigner Haïti pour le TPS en raison de conditions extraordinaires et temporaires en Haïti qui empêchent les ressortissants de rentrer en toute sécurité, notamment une crise politique et des violations des droits humains, de graves problèmes de sécurité et l’aggravation par la pandémie de COVID-19 d’une situation économique désastreuse et d’un manque d’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé », a informé le Département de la Sécurité intérieure dans un communiqué.
Un défi sans support
« Le TPS donne l’autorisation de travailler, de louer et d’acheter des maisons. A l’exception d’accéder à l’université, les titulaires du TPS et leurs enfants non américains n’ont pas accès à certaines protections sociales comme l’assurance maladie. Les étudiants titulaires du TPS ne peuvent pas recevoir d’aide financière », explique Léonie Hermantin, directrice du développement, de la communication et de la planification stratégique de Sant La.
Sant la est une organisation dirigée par des Haïtiens et basée à Miami qui offre une assistance aux migrants haïtiens qui demandent le TPS et à ceux qui traversent la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Elle travaille avec six organisations, telles que l’Association haïtienne de droit (Haitian Legal Association) et le Centre d’appui pour les travailleurs de Miami (Miami Workers Center), pour fournir une assistance juridique aux demandeurs de TPS et d’autres formes de soutien social.
« Il y a beaucoup de tensions et de développement de la maladie mentale dans la communauté haïtienne, note Hermantin. Certaines mères abandonnent leurs enfants après une dépression. Les femmes sont plus vulnérables à l’exploitation sexuelle où des individus leur proposent d’échanger l’inscription gratuite au TPS contre des faveurs sexuelles. »
56 463 Haïtiens ont obtenu un statut de protection temporaire. Le nombre de demandeurs depuis la dernière désignation est inconnu. Le Secrétaire Alejandro N. Mayorkas estime qu’environ 155 000 personnes sont éligibles pour demander le TPS dans le cadre de la désignation d’Haïti.
Le délai de traitement du TPS varie selon le cas. Selon le Département de la Sécurité intérieure (DHS), il faut trois mois pour traiter l’autorisation d’emploi et environ six pour le statut de protection temporaire. Toutefois, la pandémie de Covid-19 a entraîné des fermetures d’un mois à l’USCIS entre 2019 et 2021.
Questions courantes sur le TPS
Avec l’avocat en immigration Ruth Jean
Quel est le statut des Haïtiens qui demandent le TPS ?
Les Haïtiens qui demandent le TPS peuvent bénéficier d’un statut de non-immigrant, d’immigrant ou d’aucun statut. Une fois qu’on accorde le TPS à un citoyen haïtien, le statut est le statut de protection temporaire. S’il détient un autre statut, il peut s’agir du TPS et de tout autre statut que l’immigrant peut avoir.
Le nom en lui-même est ”statut de protection temporaire”. Bien qu’une approbation permette une certaine tranquillité pour ceux qui en font la demande, ce soulagement n’est que temporaire. Comme l’a démontré la dernière administration, l’incertitude résultant de l’absence de solution permanente peut être stressante pour toute personne dont le statut est TPS.
Qu’arrivera-t-il à un immigrant s’il ne reçoit pas le TPS ?
Si une personne remplit les conditions d’admissibilité, elle devrait être approuvée. Cependant, pour les personnes qui ne sont pas approuvées, ce qui leur arrive dépend de leur situation. L’absence du statut TPS signifie qu’une personne ne sera plus protégée contre l’expulsion. La situation de chaque immigrant étant différente, je ne peux pas déterminer ce qui arrivera à chaque individu, mais en général, l’absence de protection du TPS peut conduire à l’expulsion. Une personne à qui l’on a refusé le TPS peut également faire appel à la décision de refus si elle estime que le refus est une erreur.
Les demandeurs peuvent-ils être expulsés pendant qu’ils sont sur la liste d’attente ?
Techniquement, tant qu’une personne n’est pas approuvée pour le TPS, elle n’est pas protégée contre l’expulsion. Cependant, il est très peu probable qu’une personne éligible soit expulsée en attendant une décision de l’USCIS.
Quels sont les avantages dont les demandeurs peuvent jouir en attendant la décision ?
L’immigration est considérée comme une loi fédérale, et les différents États n’ont aucun pouvoir de décision en matière de législation sur l’immigration. Toutefois, selon l’État dans lequel un immigrant vit, il peut avoir accès à plus d’avantages. Par exemple, un demandeur de TPS peut obtenir un permis de conduire ou une carte d’identité en Floride.
Différents États peuvent également disposer de programmes destinés aux immigrants qui offrent certains avantages publics. Dans des États comme New York ou la Californie, un demandeur de TPS a beaucoup plus accès aux avantages, tels que les soins de santé, que ceux qui vivent dans d’autres États. Les États favorables aux immigrants offrent plus d’avantages que ceux qui le sont moins.
Traduction française par Didenique Jocelyn et Sarah Jean.
Comments