Un marché juteux
Dès son jeune âge, Mickaël s’est intéressé à la fabrication des cercueils. En 2006, il investit les locaux d’un atelier à la Rue de l’Enterrement pour apprendre le métier. Cette rue est celle qui mène tout droit au portail du cimetière de Port-au-Prince où l’énoncé sobre « Souviens-toi que tu es poussière » est inscrit.
Dans son atelier, « bòs » Mickaël fabrique, expose et vend des bières. « Mes cercueils sont vendus à des salons funéraires ou à des particuliers, dit-il. Les salons funéraires nous contractent et des particuliers débarquent souvent pour l’achat de nos produits. »
Le coût du cercueil pèse énormément dans la balance des dépenses pour les obsèques dans le pays. Chaque fournisseur pratique sa palette de prix, définie suivant la forme, le confort et la qualité de la pièce choisie.
Avec les meurtres en cascades occasionnés par l’insécurité, l’économie de la mort s’accroît. Mais, les rivalités financières ne sont pas des moindres entre les maisons funéraires qui refusent de payer correctement les artisans locaux comme Mickaël. Cette situation s’amplifie avec les cercueils étrangers qui envahissent le marché et attirent une bonne partie des clients.
Un argument marketing
Le « showroom » désigne l’espace réservé à l’exposition des cercueils au sein des entreprises funéraires. Les cercueils importés y sont placés à des endroits stratégiques, parfois juste à côté de ceux produits localement pour mieux marquer la différence.
Plusieurs pays profitent de ce business lucratif. Doux Repos, une entreprise localisée à Puits Blain importe ses cercueils de la Chine. Les responsables de cette entreprise n’ont pas réagi aux demandes d’interview d’Ayibopost.
La qualité reste l’argument premier des importateurs. « Les cercueils étrangers sont bien finis, raconte Marie Lamercie Dorvil, directrice de Zénith funéraire à la Rue de l’Enterrement. Ils se diffèrent de ceux produits localement. Généralement, les clients souhaitent les avoir pour installer leur proche ».
Le confort
Le métal et le bois sont les matériaux principaux qui rentrent dans la fabrication du dernier lit des humains. « Les cercueils métalliques sont tous importés même s’ils sont rares sur le marché ces dernières années, précise Marie Lamercie Dorvil. Les cercueils étrangers en bois sont beaucoup plus demandés ».
Robert Loubeau est le directeur de l’entreprise funéraire Pax Villa. Sa boite importe une quantité très restreinte de cercueils métalliques des États-Unis. II rapporte que la demande pour ces cercueils n’est pas énorme. « Ils n’offrent pas les mêmes avantages [que les cercueils en bois] aux familles haïtiennes qui souhaitent souvent réutiliser leur caveau puisqu’ils ne sont pas dégradables », dit-il.
La plupart des cercueils étrangers affichent une allure impressionnante. Leur couvercle ne s’ouvre pas facilement. Pour ce faire, certains comportent un loquet. Ils détiennent aussi un matelas léger et un oreiller au lieu des ripes de bois utilisés dans les cercueils construits localement. « Leurs poignées et leurs couleurs les rendent nettement différents des cercueils fabriqués dans nos ateliers », poursuit Marie Lamercie Dorvil.
Des cercueils chers
Certains clients débarquent dans les maisons funéraires, d’autres préfèrent se fier aux ateliers de fabrication de cercueils pour échapper aux prix exorbitants de ces entreprises qui offrent aussi des services d’organisations d’enterrement.
« Les cercueils n’ont pas un prix standard, explique bòs Mickaël. Je vends à 25 000 gourdes les cercueils carrés à des particuliers. Parfois je les vends encore plus cher ». Grâce à des accords passés avec les salons funéraires, un cercueil fabriqué dans l’atelier de bòs Mickaël peut coûter moins de 17 500 gourdes.
Les cercueils locaux varient les un des autres. Parmi les modèles, l’on dénombre les cercueils pointe à filer, à deux têtes, dos ronds, des cercueils en œufs, carrés, des cercueils polis, etc. Les modèles spéciaux peuvent « coûter 50 000 jusqu’à 75 000 gourdes au minimum », fait savoir Marie Lamercie Dorval.
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Le directeur de la chapelle funéraire Marcellus à la rue de l’enterrement, Paulson St Louis, les revend au minimum à 40 000 gourdes dans son entreprise.
Les cercueils importés coûtent longtemps plus cher, selon Robert Loubeau de Pax Villa. « Un cercueil étranger peut être vendu à 5 000 dollars américains », renchérit Marie Lamercie Dorval. Quand les familles ne peuvent pas s’offrir un cercueil étranger, la maison funéraire négocie avec eux pour la fabrication du modèle voulu dans un atelier local.
C’est aussi la précarité économique qui maintient en vie les ateliers du pays, puisque la majeure partie des gens n’ont pas les moyens de s’offrir les bières « Made in the USA ».
Emmanuel Moïse Yves
Photo couverture : Georges Harry Rouzier / Ayibopost
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