Progressivement, l’arabica typica cède sa place à des variétés plus résistantes comme le catigua et le blue moutain
L’arabica typica se meurt. Ce café local qui remonte à la période coloniale séduit le Japon et entretient une solide réputation internationale. « C’est un café de qualité qui se fait remarquer par sa saveur et son arôme », rapporte l’agronome Jean Fritzner Clervéus.
Cependant, deux fléaux vont attaquer les caféières du pays et occasionner la mise en danger de l’arabica typica. Dans les années 1980, l’insecte ravageur dénommé scolyte a sévèrement dévasté les cultures. Puis, une autre maladie appelée la rouille orangée va détruire les 80 % de café restant en Haïti en 2012.
Ces attaques, couplées à la baisse des prix sur le marché international dans les années 1990 et à l’abandon du secteur par l’Etat, ont contribué non seulement à un déclin progressif de la production, mais aussi à la réduction du nombre d’exportateurs privés traditionnels de café. « Sur une trentaine, il ne restait que deux après 2004 : Café Selecto et Rebo », informe Douglas Wiener, directeur marketing de Café Selecto.
Aussi, l’arabica typica semble voué à un destin tragique. « Puisqu’elle ne peut résister à la maladie, l’on s’approche vers sa disparition lente et progressive afin de faire place à d’autres variétés plus résistantes », rapporte l’agronome Jean Fritzner Clervéus, responsable de la production végétale au Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR).
Deux plants de café s’épanouissent avec aise sous la canicule en Haïti. « Le catigua et le blue mountain sont introduits dans le pays, parce que ce sont des variétés beaucoup plus résistantes », informe Douglas Wiener qui travaille a l’entreprise familiale Geo Wiener S.A/ Selecto.
L’importation d’espèces plus résistantes n’éradiquera pas totalement l’arabica typica qui fait partie des « variétés de café les plus protégées en Haïti », selon Wiener. De plus, le typica a développé des capacités adaptatives aux maladies, estime l’agronome Emmanuel Jean-Louis, responsable de la production végétale du Nord au MARNDR.
Une production coloniale
Il faut remonter à 1726 pour marquer l’introduction du café à Saint-Domingue. Quelques années plus tard, le produit noir prend une expansion dans la colonie au même titre que la canne à sucre. Haïti fut dès lors le premier exportateur de café dans le monde.
« C’était une production caféière en plein soleil, raconte Douglas Wiener, membre du conseil d’administration de l’Institut national du café d’Haïti (INCAH). On défrichait les zones pour sa culture et les plantations ne duraient qu’une décennie, avant de migrer vers d’autres sols [plus] propices à la production. »
L’habitation Dion, située non loin de Cabaret, est le parfait exemple de ce que décrit Douglas Wiener. Cette plantation estimée à près de 4 200 mètres carrés est l’un des vestiges pertinents de l’installation caféière coloniale identifiée dans le pays sur le sommet de la chaîne des Matheux.
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Cette mode de production héritée des colons ne va pas survivre après l’indépendance d’Haïti en 1804. « La plupart des Africains qui avaient intégré la colonie connaissaient la culture du café en Afrique, dit Wiener. Ils ont procédé à une culture sous ombrage. Et par conséquent, le café colonial réalisé en plein soleil va être abandonné. »
Depuis, les très grandes plantations de café ont disparu en Haïti pour faire place à une culture plus sporadique où des paysans font grandir leur caféière autour de leur maison. Une estimation de l’INCAH dénombre près de 250 000 familles haïtiennes regroupées en association pour la production du café dans leur lopin de terre.
Le déclin de l’arabica typica
Jusqu’en 2012, l’arabica typica régnait en maitre comme la seule variété de café produit en Haïti. Le Japon importe près de cinq millions de sacs de café l’an et ce pays place celui produit en Haïti parmi les meilleurs, révèle Marcel Duret, un ancien ambassadeur d’Haïti au grand empire.
Sous Duvalier, le café sera terrassé. Avec les outils de contrôle de la culture imposés par la dictature et qui impliquaient la brutalité des macoutes, les recettes du café vont financer en majeure partie la construction du parc industriel SONAPI et de l’aéroport François Duvalier, devenu aujourd’hui aéroport national Toussaint Louverture.
L’oppression systématique mise en place par le régime a poussé nombre de cultivateurs à abandonner la culture du café après 1986.
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Les rares grands planteurs dans le domaine se sont établis à Thiotte dans le département du Sud’Est. « 70 % du café produit en Haïti provient de Thiotte et de Baptiste, une localité du département du Centre », selon Bichard Bonnet, cultivateur de café à Thiotte.
Dans cette localité, la récolte du café s’étend du mois de septembre à janvier. Ces productions concernent le café produit en basse altitude (700 à 1 000 mètres). Les cafés de haute altitude (plus de 1 000 mètres) sont récoltés entre les mois de novembre et juin. Ils nécessitent un maximum de soleil pour leur épanouissement.
« Le café de basse altitude a moins de valeur que celui de haute altitude qui présente des caractéristiques résistantes à la maladie », selon Bichard Bonnet.
Les cafés haïtiens produits en haute altitude sont généralement de haute gamme. Ils atteignent des scores standard (au-delà de 80 sur 100) sur l’échelle Specialty Coffee Association of America (SCAA), informe Douglas Wiener de Café Selecto.
Une longue liste de problèmes
Parmi les difficultés que connaissent les producteurs de café, Bichard Bonnet décrit entre autres, des problèmes de semence, de composte fumier et d’engrais.
Beaucoup de cultivateurs souhaitent avoir un accompagnement technique des autorités pour des rendements satisfaisants dans la culture du café en Haïti. « L’État central devrait s’impliquer dans la production du café, dit Bonnet. Les paysans s’engagent dans la production avec leurs faibles moyens sans accompagnement de l’État. »
Le café pilé (natural coffee) se vend entre 90 et 125 gourdes par livre sur le marché local. Le café lavé (spécialty coffee), généralement exporté, renferme des qualités exceptionnelles et se vend à 3 dollars américains (360 gourdes), la livre.
« Parfois, j’ai du mal à écouler le produit sur le marché national en raison du manque flagrant d’acheteur local », dit Bonnet. Cette situation pousse le planteur à vendre son café à des acheteurs en République Dominicaine.
« À chaque récolte, plus de 1000 sacs de café sont fournis à chacune de ces institutions : Rebo Et Café Selecto », raconte Bichard Bonnet qui dirige actuellement l’Association des planteurs innovateurs de l’arrondissement de Belle-Anse (APIAB). La structure compte de près de 600 cultivateurs.
70 % du budget national
Le decrescendo du café aujourd’hui ne cadre en rien avec sa gloire passée. 66 ans après l’indépendance et jusqu’en 1880, Haïti avait le même volume de production de café que produisait la colonie. Le pays exportait environ 1 million de sacs de 60 à 80 kilos du produit.
« Le café alimentait le fonctionnement de l’État et le budget national à travers des taxes de 3 dollars prélevés sur chaque sac exporté », explique Douglas Wiener. Les ressources que génère le café représentaient à l’époque 70 % du budget national et constituaient la principale source en devises du pays.
Ainsi, la dette de l’indépendance fut, en partie, payée par les taxes prélevées sur le café. « Sur les trois dollars de taxes tirées, 2,93 dollars étaient retenus par les banques françaises pour les créanciers de l’Etat haïtien avant d’être transféré vers la Banque Nationale de la République d’Haïti pour le paiement de la dette de l’indépendance», dit-il. Les sept centimes restants étaient acheminés au trésor public.
Malgré ces gains substantiels, l’État n’offrait pratiquement aucun accompagnement, comme aujourd’hui. « La production caféière reposait pratiquement sur les paysans. Les présidents Durmasais Estimé et Paul Eugène Malgloire sont les seuls chefs d’État à avoir investi dans l’industrie du café, informe Wiener. Ces plantations n’ont pas survécu avec le cyclone Hazel.»
Selon l’agronome Jean Fritzner Clervéus, l’exportation a fortement baissé et les taxes perçues par l’État sur le café ne représentent qu’une miette aujourd’hui. La faible quantité de café produit dans le pays de nos jours est en majeure partie consommée par les Haïtiens.
À cause de l’informalité qui plane ses ailes sur le secteur, on n’a pas de chiffres exacts sur les profits réalisés, ni même la quantité de café effectivement exportée par année. L’État réalise très peu d’investissement dans le secteur, regrette l’agronome Clervéus. En réalité, “l’État n’a pas de politique d’investissement pour les cultures d’Haïti.”
Emmanuel Moïse Yves
Les photos sont de Ralph Thomassaint Joseph. Elles ont été prises au département du Centre.
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