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Toto Constant fait un recours en Habeas Corpus. Qu’est-ce que ça veut dire ?

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Très utilisé pour libérer des prévenus, le recours en Habeas corpus manque toutefois de procédure claire pour être exécuté. Eclairages avec Me Nathan Laguerre

À la faveur des déportations de l’administration américaine, pendant la pandémie du Covid-19, Emmanuel “Toto” Constant a été remis aux autorités haïtiennes le 23 juin 2020. Le célèbre chef du Front pour l’avancement et le progrès d’Haïti (FRAPH), milice armée qui a beaucoup fait parler d’elle dans les années 90, était détenu aux États-Unis d’Amérique depuis quelques années.

Dans le pays, il a déjà été condamné par contumace, c’est-à-dire en son absence, notamment pour un massacre survenu à Raboteau, aux Gonaïves, en 1994. À son arrivée dans la capitale, il a été remis à la Direction centrale de la police judiciaire, et devrait bientôt passer devant un juge.

Mais, selon Serrard Gasius, commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance des Gonaïves, non seulement le dossier de l’ancien paramilitaire est introuvable, mais ses avocats ont aussi introduit un recours en Habeas corpus, pour le libérer.

Cette procédure d’habeas corpus est un instrument très utilisé par la justice haïtienne, pour que des prévenus soient libérés. Nathan Laguerre, avocat au barreau de Port-au-Prince, spécialiste des droits humains, explique les subtilités de cette procédure dans cette entrevue.

Me Nathan Laguerre, à quoi se réfère-t-on exactement quand on parle de procédure en Habeas corpus ?

Habeas corpus est une locution d’étymologie latine traduite littéralement par « que tu aies ton corps ». Par extension, « tu as ton corps » en vue de le présenter devant tribunal. La procédure en Habeas corpus a pris naissance en Angleterre. Elle s’est développée dans le droit haïtien en lien avec des procédures internationales mais elle est consacrée dans la constitution haïtienne en vigueur, qui traite des libertés individuelles. Le recours en Habeas corpus permet à un individu arrêté ou détenu illégalement de recouvrer sa liberté. Ces deux conditions sont essentielles pour justifier un habeas corpus. Soit l’arrestation est illégale, soit la détention l’est.

Quand est-ce qu’une détention ou une arrestation est illégale?

Dès que les délais et les formes prévus par la loi ne sont pas respectés, la détention ou l’arrestation n’est pas légale.

Selon les lois haïtiennes, un individu doit comparaître devant un juge dans les 48 heures qui suivent son arrestation. Ce juge appréciera la situation pour savoir si la décision d’arrêter cet individu est motivée. Si ce délai n’est pas respecté, la détention de la personne est illégale. Si un mandat est décerné  régulièrement contre un individu, même si ce mandat respecte la forme, ou que la personne qui le délivre est autorisée par la loi à le faire, si le moment de l’arrestation ou de l’audition dans la prison ne respecte pas les délais, le recours en habeas corpus peut avoir lieu.

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Mais plusieurs autres raisons peuvent justifier l’illégalité d’une détention. Dans le cas où le parquet défère le cas d’un prévenu à un cabinet d’instruction, le juge a un délai de trois mois pour mener son enquête et statuer sur le cas. Si aucune ordonnance n’est prise pour prolonger ce délai, et qu’à son expiration aucune décision de justice n’est prise contre l’accusé ou en sa faveur, sa détention devient illégale.

C’est la même chose pour l’arrestation. En dehors des cas de flagrance, nul ne peut être arrêté sans mandat. Ce mandat doit respecter une forme, par exemple elle doit être en créole et en français, et délivré dans un délai. S’il n’y a pas flagrance, c’est le juge d’instruction seulement qui peut décerner un mandat d’amener. Si c’est un commissaire du gouvernement qui l’envoie, et que la personne est arrêtée en vertu de ce mandat, l’arrestation est illégale.

Peut-on arrêter à nouveau une personne qui a bénéficié d’une procédure en habeas corpus ?

Oui. La procédure en habeas corpus n’est pas une décision sur le fond, mais sur la forme. Elle est liée à la liberté individuelle. Mais quand une personne en bénéficie, elle n’est pas libérée des charges contre elle. Elle peut être arrêtée à nouveau pour passer devant un juge.

Les cas de viols en sont un exemple. Quelqu’un qui a commis un viol mais qui a été arrêté illégalement, peut bénéficier d’une procédure en habeas corpus. Mais le dossier suit son cours, jusqu’au cabinet d’instruction qui peut arrêter cet individu à nouveau.

Mais en Haïti, une grande majorité des gens libérés en Habeas corpus ne sont plus poursuivis. Un juge peut se déclarer incompétent dans un cas d’Habeas Corpus parce qu’il sait qu’il y a des chances que cette personne, contre qui les charges sont normales, ne soit pas rappelée par la justice. Il faut beaucoup d’éthique dans ces questions, et les avocats, surtout ceux des droits humains, réfléchissent par deux fois avant d’introduire des recours en habeas corpus.

Il y a un risque certain d’impunité, et aussi de violation des droits de la victime. En effet, lorsque la procédure en habeas corpus a lieu, la victime en est exclue et ne peut pas s’y opposer.

Est-ce qu’un juge peut décider de refuser d’accorder un Habeas corpus à quelqu’un qui a été arrêté ou détenu illégalement ?

En principe non. Parce que le juge est tenu de respecter les prescrits de la loi. Mais la plupart des juges dans le pays n’accèderont pas à une demande de libération en habeas corpus, dans certains cas ou les faits reprochés sont graves. Ce n’est pas normal, mais c’est un peu compréhensible, au regard des problèmes de la justice haïtienne.

Mais le problème va bien au-delà. A part les dispositions constitutionnelles, et des prescrits conventionnels, il n’y a pas une loi spécifique qui traite du recours en habeas corpus, et de la procédure à suivre. A cause de cela, tous les juges ne décident pas de la même façon. Par exemple, un juge peut accepter des recours en habeas corpus collectifs. C’est-à-dire, pour des dossiers différents, il peut accepter que l’avocat introduise le recours pour plusieurs personnes. Mais d’autres juges ne l’acceptent pas. Toutes les difficultés d’application de l’habeas corpus peuvent être résolues pour la plupart par cette loi spécifique.

Est-ce qu’il existe un lien entre la détention préventive prolongée et le recours en habeas corpus ?

Le lien existe. Les organismes de droits humains surtout peuvent en témoigner. La majorité des cas de personnes sorties de prison pour détention préventive prolongée l’ont été grâce à une procédure en habeas corpus. La procédure est simple et efficace, et elle peut être introduite à n’importe quel moment, même après des années. Le prévenu n’est pas obligé d’être présent pendant le processus. Mais c’est une arme à double tranchant car même s’il est libéré, la justice n’a pas statué sur son cas de manière définitive. C’est la forme qui a été jugée.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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