Être suspecté malade et être effectivement infecté du coronavirus revient au même pour certains Haïtiens. Les deux catégories risquent la stigmatisation et même leur vie, alors qu’elles ne présentent aucun danger si elles respectent les règles de confinement, d’hygiène et de distance sociale. Témoignages
Sony Destiné travaille comme journaliste à Radio Télé Ginen. Depuis la circulation, sur les réseaux sociaux de la nouvelle de l’infection au coronavirus du PDG de la station, Jean Lucien Borge, le 17 mai dernier, le journaliste affronte, en silence, l’enfer dans sa communauté à Léogane.
Pour avoir travaillé dans le même espace que le patron testé positif au coronavirus, toute l’équipe de la station est placée en quarantaine à domicile. Depuis, Sony Destiné vit dans ce qu’il appelle « une stigmatisation brutale », dans son propre domicile à Darbonne.
Il explique sur un groupe Whatsapp regroupant des confrères journalistes : « Ce que je n’aurais jamais souhaité en temps marqué par le coronavirus, c’est de savoir que l’un d’entre vous vit la stigmatisation dont je suis l’objet aujourd’hui, et que j’estime être aussi grave que la maladie du coronavirus. Les gens de mon quartier se téléphonent pour annoncer que je viens d’apporter le coronavirus dans la zone et qu’il faut m’éviter à tout prix ».
Les recommandations de quarantaine, appliquées dans les pays déjà frappés par la pandémie du Covid-19, sont réitérées en Haïti à partir d’un décret pris le 21 mai 2020 qui fixe les règles générales de protection de la population en cas de pandémie/épidémie.
En son article 12, il est dit que : « Toute personne ayant été en contact étroit, avec un malade atteint de la pandémie/épidémie, doit se mettre automatiquement en quarantaine ou aller se faire dépister dans un délai ne dépassant pas (48) heures… ».
Le hic, c’est que les autorités sanitaires ne semblent pas assurer un suivi actif des personnes placées en isolement, selon les témoignages de journalistes de Radio Télé Ginen.
De plus, la peur de la maladie, qui résulte en partie d’un manque d’informations fiables sur sa transmission et la dangerosité des personnes infectées, occasionne des récriminations verbales qui parfois tournent à la violence.
Joint au téléphone, Sony Destiné qui dit ne pas ressentir jusqu’à date aucun symptôme lié au COVID-19, explique que les gens, pour donner du piment à la nouvelle, ne disent pas qu’il est en quarantaine, mais qu’il est infecté du coronavirus.
Pour le moment, Sony Destiné assure ne pas se sentir menacé physiquement dans cette communauté où il a grandi. Mais son collègue à radio télé Ginen, Ismaël Chesner Antoine, vit exactement la même situation que lui à Delmas 46.
Selon Antoine, quelques heures après la vulgarisation de l’état de santé du PDG, quelques résidents de la zone ont fait preuve d’une extrême hostilité envers lui et sa famille, subitement perçus comme des brebis galeuses. « C’est comme s’ils voulaient que j’aille me mettre en quarantaine quelque part d’autre que le quartier où j’habite », analyse Antoine.
Isoler la personne
Katilla Pierre travaille à la Direction épidémiologie, des laboratoires et de recherche au Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP). Elle souligne que les mesures de mise en quarantaine sont adoptées pour isoler pendant un temps une personne qui a été en contact avec un individu infecté.
Cette mise à l’écart, qui dure d’habitude quatorze jours, doit permettre aux autorités de déterminer si oui ou non, la personne est elle aussi atteinte.
Pour ce faire, selon Katilla Pierre, la personne en quarantaine doit se soumettre quotidiennement à une prise de températures afin de détecter toute éventuelle fièvre.
Le MSPP intervient d’habitude, directement auprès de la personne après 9 jours de quarantaine, rapporte Katilla Pierre. L’objectif est de réaliser des tests si toutefois, l’individu présente des symptômes liés au Covid-19.
Dans le cas d’une quarantaine à domicile, comme c’est le cas pour les employés de la Radio Télé Ginen, la responsable confie que, « c’est à la personne elle-même de mesurer sa température, à l’aide d’un thermomètre, et de l’envoyer aux autorités sanitaires, par le biais d’un canal, bien connu entre le MSPP et le concerné ».
Cependant, Ismael Chesner Antoine ne confirme pas l’existence d’un canal de transmission d’informations entre le MSPP et les gens mis en quarantaine. Le journaliste révèle que depuis sa mise en isolement, il n’a jamais eu de communications avec un quelconque membre du MSPP.
Médias et autorités irresponsables
Si les journalistes et les employés de la Radio Télé Ginen sont dans un tel embarras aujourd’hui, la faute est imputable non seulement à l’ignorance de certains membres de la population, mais aussi au manque de professionnalisme de certains médias et la défaillance du secret professionnel au niveau du MSPP.
Selon les informations recueillies de sources proches de la Radio Télé Ginen, le PDG, Jean Lucien Borge s’est fait tester le mercredi 13 mai 2020 et devait avoir son résultat, 72 heures plus tard, soit le samedi 16 mai. Le dimanche 17 mai, bien avant de recevoir les résultats de son test, la nouvelle commençait déjà à enflammer la toile.
Cette divulgation d’information sur la santé d’un particulier au niveau du MSPP, fait l’affaire de certains sites en ligne qui, en quête de primeur, ont diffusé la nouvelle, bien avant que Jean Lucien Borge n’en soit lui-même informé.
Ce geste révélant l’identité et l’état de santé du patient sans son consentement constitue une violation des droits de ce dernier.
Selon l’article 16 du décret publié pris le jeudi 21 mai 2020, le gouvernement interdit la publication de résultat de test d’un patient, sans son autorisation, comme ce fut le cas pour le patron de la Radio Télé Ginen.
Samuel Céliné
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