Ce dossier illustre les dysfonctionnements de la justice haïtienne
Les parents voulaient une autopsie des cadavres. Aujourd’hui, ils abandonnent cette requête. Selon leur avocat, les autorités n’ont rien fait pour éclaircir le dossier. Treize enfants et deux adultes sont pourtant morts dans l’incendie de l’orphelinat de l’Eglise de la Compréhension de la Bible, à Fermathe le jeudi 13 février dernier.
« Le dossier est bloqué, parce que le parquet et l’Institut du Bien Être social et des Recherches n’ont pas voulu contribuer à la réalisation de l’autopsie », déclare l’avocat Marc-Antoine Maisonneuve. Il représente les parents des enfants morts, calcinés ou asphyxiés dans le sinistre.
Ces parents portent trois revendications. D’abord la vérité sur le déroulé et les circonstances de l’évènement. La responsabilisation des fautifs. Puis, un dédommagement pour l’immense tort causé.
« On va adresser une requête au commissaire du gouvernement à la fin de cette semaine pour exiger une vérification sur les cadavres afin de constater si les organes des enfants sont encore présents », rapporte Maisonneuve.
Agir par la force
Depuis cette soirée de jeudi, le citoyen étranger responsable de l’orphelinat, Andrew Pereira, n’a jamais pris contact ni adressé des condoléances aux parents. Ceux qui avaient son numéro révèlent des tentatives infructueuses. Ermilia Lubéris a perdu sa petite fille dans les flammes. Elle pense que Pereira, qui disposait de 6,6 millions de dollars, pour faire fonctionner l’institution, a bloqué le numéro des parents victimes.
L’orphelinat continue pourtant à fonctionner. Un agent de sécurité est placé au local incendié à Kenscoff. Il interdit l’accès à quiconque, y compris aux parents et aux médias. Les seuls journalistes autorisés ne peuvent pénétrer le bâtiment, ils doivent se résigner à prendre des photos depuis l’extérieur. Plusieurs agents de sécurité armés interdisent l’accès au deuxième local de l’institution sise à Fermathe 32.
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Alors que Pereira se réfugie dans le mutisme, une seule personne prend la parole dans les médias pour expliquer, expliciter et défendre l’orphelinat : Me Osner Fevry.
Puissant avocat, Me Fevry s’est unilatéralement chargé de déplacer les treize corps sans vie de la morgue où la mairie de Kenscoff les avait placés pour les confier à l’entreprise funéraire Alcero Marc-Arthur. L’entreprise usera du formol pour embaumer les cadavres, ce qui rend toute autopsie impossible, rapportait à Ayibopost, le docteur Demorcy, de l’Institut Médico-légal.
Désormais, l’avocat met le cap sur l’inhumation des enfants. Un juge d’instruction fait fi de l’interdiction formelle de toucher aux cadavres donnés par le parquet. Deux des victimes sont déjà enterrées à la hâte. Les onze autres attendent, alors que des parents rapportent rejeter des offres de sommes dérisoires pour accepter l’organisation des enterrements. Me Osner Fevry n’a pas souhaité réagir.
Les enfants « vivaient comme des animaux », dénonce la juge de paix Raymonde Jean Antoine. Celle qui habite à deux pas de l’orphelinat dit s’être adressée à la mairie à plusieurs reprises pour dénoncer l’état des enfants. « Par oubli ou par négligence, ils n’ont rien fait ».
Manque de coopération
La structure de l’Église de la compréhension de la Bible fait partie des 721 orphelinats qui fonctionnent irrégulièrement dans le pays. L’humanitaire dans ce secteur enregistre des sommes conséquentes. Selon une étude sortie il y a trois ans par l’organisation Lumos, environ 70 millions de dollars américains sont transférés annuellement à 1/3 des orphelinats haïtiens. L’on n’a aucune idée des sommes collectées pour les 2/3 restants.
Une bonne partie des enfants placés dans ces institutions ne sont pas orphelins, techniquement. Ils sont transférés dans ces structures par leur parent souvent démuni et incapable de prendre soin d’eux.
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Dirigé par un étranger, ce qui reste en dehors de la loi, l’orphelinat de l’Église de la Compréhension de la Bible a instauré une technique de recrutement illégal, selon Diem Pierre, assistant de la directrice de l’IBERS. Ils sont allés négocier directement avec les parents alors que normalement, « il n’y a que les autorités administratives — le bien-être social — et judiciaires qui peuvent placer des enfants dans des orphelinats. »
Les appels des autorités compétentes pour régulariser la situation de l’institution sont restés sans réponse, rapporte Diem Pierre. En 2019, elle se trouvait sur la liste des orphelinats à fermer, en raison de ces problèmes administratifs. Après l’incendie, l’IBERS dit avoir récupéré 27 enfants dans l’espace. « 113 enfants sont encore sous la responsabilité de l’orphelinat », révèle Diem Pierre, qui s’appuie sur les données d’un décompte effectué par l’IBERS après le séisme.
Fonctionnement désordonné
Le manque de coopération des responsables de l’orphelinat a été observé le soir même du drame. « Un des responsables étrangers n’a pas voulu parler » raconte la juge Raymonde Jean Antoine, dépêchée sur les lieux pour dresser un procès-verbal. « Il a déclaré que son avocat lui a dit de ne pas parler en son absence ». Le personnage, dont le nom n’a pas été révélé est l’un des membres du conseil administratif de l’orphelinat. Il s’adressera au juge le lendemain.
« Ces gens ne veulent pas dialoguer avec l’État », conclut Pierre.
Les témoins dépêchés sur les lieux vers 9 h, quand l’incendie s’est déclaré, rapportent une situation catastrophique. L’institution, qui abritait plusieurs contenants remplis de carburants, n’avait aucun extincteur. « Si l’orphelinat disposait des petits appareils d’oxygène, on aurait pu sauver [plusieurs enfants] » explique Yvenir Polinis, un témoin. Des professionnels de la santé du quartier qui venaient en aide aux victimes n’ont pas voulu effectuer une réanimation de bouche-à-bouche « parce qu’on ne sait pas de quelle maladie souffrent les enfants ».
Widlore Mérancourt
Feguenson Hermogène et Frantz Cinéus ont participé à ce reportage
La musique du documentaire est composée par Samuel Sanon (Samy Beatz)
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