Le centre Mars & Kline, spécialisé dans le traitement des troubles mentaux, connait des jours difficiles. À cause d’un problème de personnel, des patients arrivent à s’en échapper. Ceci constitue un des nombreux problèmes de cette institution placée sous tutelle du ministère de la Santé publique
L’hôpital psychiatrique Mars & Kline se loge à l’intersection des rues Monseigneur Guilloux et Oswald Durand à Port-au-Prince. Il s’inscrit dans la liste des établissements hospitalo-universitaires placés sous la responsabilité du ministère de la Santé publique et de la population (MSPP).
Dans un endroit aménagé pour accueillir les parents qui amènent leurs proches se faire consulter dans l’institution, un jeune garçon à peu près dans la vingtaine se trouve menotté à un poteau le 25 janvier dernier. Torse et pieds nus, il affiche un sourire exagéré à quiconque porte le regard sur lui.
Ce jeune homme, maintenu en place par la force, fait partie des dizaines de patients potentiellement violents que reçoit Mars & Kline chaque année. « En Haïti, on n’a pas de structures adéquates pour maîtriser certaines personnes violentes affectées par des troubles mentaux », explique un employé senior de l’institution qui requiert l’anonymat parce qu’il n’est pas autorisé à parler à la presse.
« Certains patients sont momentanément menottés ou enchainés lorsqu’ils deviennent incontrôlables », continue l’employé qui révèle que régulièrement, le problème de surveillants occasionne des cas d’évasions.
Pour illustrer son propos, il prend l’exemple récent de Jeanne Darius. Placé au centre par suite de troubles psychiques, le jeune patient fut remarqué en pleine rue par un membre de sa famille. Parce qu’en vérité, la structure de surveillance des malades s’avère poreuse à Mars & Kline. « Au total le centre compte 9 surveillants et 20 agents de sécurité. Ils sont tous inactifs », confie notre source.
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L’absence de personnels pour superviser les malades mène à la maltraitance. Une violence inacceptable que dénonce le psychologue Wilcox Toyo. Ce spécialiste estime que les pratiques résultent des manquements du centre, mais aussi de l’incompétence des personnes embauchées pour le travail.
« Admettons que le patient menotté fracture un de ses membres, ses parents peuvent entamer des procédures judiciaires [contre le centre] », remarque le psychologue également président de la Société haïtienne de la santé mentale (SHMH).
Les tentatives d’Ayibopost pour interviewer les responsables du MSPP n’ont pas abouti.
Un hôpital abandonné
Pénétrer le centre Mars & Kline, c’est se confronter à la souffrance, aux bruits constants et aux odeurs difficilement supportables. Le centre se noie sous les déchets et de vieilles voitures en panne transforment sa cour en garage improvisé.
L’établissement possède une pharmacie peu fournie et un laboratoire équipé d’un électroencéphalogramme à l’arrêt depuis trois ans. Cet appareil crucial permet d’effectuer des examens relatifs à l’activité électrique au niveau du cerveau, en vue d’orienter le diagnostic des patients. « Toutes les demandes adressées au MSPP se sont révélées vaines pour la mise en marche du laboratoire », déplore notre source.
Ainsi, les médecins s’efforcent de travailler avec les moyens du bord, sans appareil scientifique sophistiqué, pour soigner les malades de cet hôpital cédé à l’État haïtien en 1954 après les expérimentations du psychiatre américain Stephen Kline en collaboration avec son collègue haïtien Louis Mars.
Le budget annuel d’une trentaine de millions de gourdes accordé au centre par le MSPP témoigne du peu d’intérêt de l’État haïtien pour la santé mentale. Pour fonctionner, Mars & Kline compte sur le support de l’ONG Food for the Poor qui l’approvisionne en médicaments chaque deux mois.
Le centre détient aujourd’hui 120 patients placés dans deux pavillons (homme et femme) et 116 employés. Normalement, les malades ont droit à un plat par jour et à des médicaments. Mais, « la plupart des membres du personnel entretiennent un marché parallèle au sein du centre et vendent des médicaments aux parents », regrette notre source.
Il décrit également des cas de corruption pratiqués par certains employés qui exigent une rémunération mensuelle des parents pour prendre soin de leur proche hospitalisé.
État de la santé mentale en Haïti
La situation peu réjouissante de l’hôpital Mars & Kline n’est pas exceptionnelle en Haïti.
Selon le psychologue Wilcox Toyo, le nombre de professionnels qui s’occupent de la santé mentale est très réduit dans le pays. Il y existe quatre centres psychiatriques : l’Hôpital Beudet, le centre psychiatrique Mars & Kline et deux autres institutions privées se trouvant à Delmas. Les médecins de ces structures sont autorisés à prescrire des psychotropes, mais ne disposent cependant d’aucun protocole de soins et d’évaluation de la santé mentale selon l’OMS.
Or, de l’avis du psychologue Wilcox Toyo, les problèmes d’ordres éducationnels, sécuritaires, sociopolitiques du pays sont des sources de traumatismes. « Ils doivent donc inciter l’État à se préoccuper de la santé mentale des citoyens dans le processus du développement du pays. Se tèt ki mennen kò », conclut-il.
*Jeanne Darius est un nom d’emprunt
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