Il a combattu dans le parti de Jacques Stephen Alexis. Il a fait deux fois la prison de Fort Dimanche, ce lieu sinistre où les prisonniers politiques disparaissaient. Il est de ces communistes formés à Moscou pendant la guerre froide pour combattre le despotisme et l’impérialisme. Max Bourjolly est un rescapé des tentacules mortifères des Duvalier
C’était l’horreur dans la prison de Fort Dimanche. Les poux sillonnaient les corps des détenus qui étaient réduits à l’état de squelettes ambulants avec leurs longues barbes. Ils se les enlevaient inlassablement comme le font les singes. Les fûts débordaient de matières fécales dans les cellules surpeuplés. Avant d’éliminer ses opposants, Duvalier les faisait subir une déshumanisation digne des pires atrocités de Hitler. Tout cela, sous la bienveillante protection des États-Unis.
Il y avait dans une salle, une longue table avec des bâtons de toutes dimensions que des tortionnaires en transe vidaient à merci sur le corps amaigri des prisonniers. Ils étaient jetés dans des cellules remplies que l’odeur de la mort habitait en permanence. Les tontons macoutes qui voulaient s’exercer au tir les triaient au hasard pour s’en servir comme cibles.
François Duvalier disait que Fort Dimanche n’existait que dans l’imaginaire des journalistes étrangers. « Faites travailler vos méninges », disait-il, raconte Max Bourjolly, un militant politique, deux fois emprisonné à Fort-Dimanche. « Les détenus n’ont ni nom, ni numéro de registre, de manière qu’il soit impossible de les retracer. Une fois à l’intérieur, il fallait résister le plus longtemps possible et espérer qu’un miracle se produise. »
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À quatre heures du matin, toute la prison devait se doucher en l’espace de quinze minutes. Sous un mince filet d’eau, les détenus imbibaient leurs corps squelettiques. Ceux qui sont surpris en train de s’abreuver étaient sauvagement battus par les gardiens. Les poux, les furoncles, la diarrhée et la faim épuisaient les corps les moins résistants.
« On plaçait le détenu qui ne pouvait pas se déplacer au milieu de la cellule et tout le monde lui pissait dessus. On le frottait avec l’urine et on vidait les pus des furoncles qui jonchaient son corps. »
Duvalier voulait casser le moral de ceux qui s’opposent à lui ou toute personne qu’il soupçonne en contradiction avec ses visées.
Les conditions de détention étaient d’une horreur sans nom.« On vidait le maïs liquide chaud dans nos mains. On le laissait tomber immédiatement sur le sol pour le manger avec nos doigts. »
Duvalier voulait casser le moral de ceux qui s’opposent à lui ou toute personne qu’il soupçonne en contradiction avec ses visées. Son régime brutal les désignait sous le nom de camoquins. Il a fait publier Le catéchisme du duvaliériste, un bréviaire pour prêter allégeance au régime que les jeunes devaient maîtriser.
Macoutisation de l’éducation
Pour être admis à l’université d’État, il fallait « faire le geste ». C’est le serment d’obéissance à Duvalier pour obtenir une carte de Volontaire de la Sécurité Nationale (VSN). En se faisant Tonton Macoute, on devient fils spirituel de Duvalier et protecteur de son régime.
Pour avoir refusé, Max Bourjolly n’a pas pu concrétiser son rêve de devenir ingénieur quoiqu’il décrochât la troisième place aux épreuves écrites à la faculté des sciences. L’année prochaine il ré-appliquera, mais être tonton macoute était une condition sine qua non.
Il a dû s’inscrire au poulailler. C’est ainsi qu’on désignait la Faculté de Droit qui avait peu d’importance. Les professions nobles à l’époque étaient le génie, l’agronomie et la médecine. Max ne finira pas non plus ses études en droit pour avoir déployé son zèle dans la promotion de la thèse marxiste de la plus-value. Il sera professeur de mathématiques dans la ville des Cayes.
Il avait seize ans au moment des élections de 1957. Natif de la ville des Cayes, il supportait l’agronome bourgeois Louis Déjoie dont la campagne tournait autour de l’agriculture et de la promotion de l’agro-industrie dans le pays. Une fois Duvalier au pouvoir, les partisans de Louis Déjoie disparaissaient l’un après l’autre. Le dictateur étalait ses tentacules. Sans expérience de lutte organisée, l’opposition devait mettre en place la résistance.
Max rencontre le poète journaliste Auguste Ténor qui partage avec lui le manifeste du Parti de l’entente populaire (PEP) de Jacques Stephen Alexis. Bien avant, il était charmé par les œuvres de Karl Marx, notamment, le manifeste du parti communiste. À l’époque, les idées marxistes circulaient en Haïti, surtout après le travail de l’intellectuel marxiste, Jacques Roumain.
À l’époque, on emprisonnait les Haïtiens qui fuyaient le pays clandestinement.
Il intègre clandestinement le PEP en 1960. Son nom de code est Kafka. « Militer sous Duvalier, c’était prendre de gros risques », souligne-t-il. À l’époque, toute réunion entre trois personnes donnait lieu à des suspicions de subversion. C’est dans ce contexte que les communistes du PEP s’activaient à travers le pays. Malgré les contraintes, ils créent des cellules, des comités de quartiers et de villes pour les rattacher au comité central du parti.
Première arrestation
C’est son camarade, Adrien Pierre, qu’il a intégré au Parti de l’Entente Populaire, qui a vendu la mèche. Refoulé par les autorités de Nassau, il a dû dénoncer Max en tant que communiste pour quitter la prison. À l’époque, on emprisonnait les Haïtiens qui fuyaient le pays clandestinement.
Accusé de distribuer des tracts et de poser des bombes, Max Bourjolly est arrêté et incarcéré à Fort-Dimanche. Il a dû inventer une histoire de conflit passionnel entre lui et son délateur pour ne pas être considéré prisonnier politique. Et le plan a marché. Grâce à quelques contacts, c’est madame Max Adolphe en personne (bras droit de François Duvalier) qui intervient pour son élargissement. C’était la première fois qu’un communiste sortait de Fort Dimanche. L’évènement crée la confusion au sein des communistes. Ils s’imaginent que Max a commis une délation pour quitter la prison. « Les conditions de lutte à l’époque rendaient tout le monde parano », explique Max Bourjolly.
Après le bagne, il s’est rendu à Moscou pour suivre une formation. « Rien dans nos passeports n’indiquait que nous étions à Moscou. Le visa était sur une simple feuille volante. Lorsqu’il fallait quitter Moscou, on devait se dépouiller de tout ce qui appartient au monde soviétique. Il fallait acheter des chaussures, du savon et du parfum du monde occidental dans des magasins spécialisés. »
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Pour quitter la Russie sans éveiller les soupçons, il passe par la Belgique pour aller au Tchad, ensuite au Congo pour revenir en Belgique et rentrer en France. C’est là qu’il apprend par télégramme que sa femme en Haïti a été arrêtée. C’est sa mère qui a pu récupérer ses deux enfants en bas âge. Nous sommes en 1971. Duvalier mourra le 21 avril et son fils ne veut libérer aucun prisonnier politique.
Entre-temps, Max Bourjolly refait sa vie en France avec une nouvelle femme. En 1976, il décide d’aller à Saint-Domingue pour créer une filière clandestine afin de relier Santo Domingo à Port-au-Prince. Il se fait appeler Maximo Antonio Rodriguez. L’objectif était de suivre la route des braceros et travailler avec eux pour recruter des combattants. Interpellé par un soldat dominicain avec un camarade, Max Bourjolly a été transféré à la prison de Mencia, puis à Banano avant d’être livré aux autorités haïtiennes à Ouanaminthe.
Prisonnier politique à fort dimanche
Lorsqu’il est transféré à Fort Dimanche en 1976, Max Bourjolly était un chadèque. C’est-à-dire un gros morceau dont l’arrivée annonce une fusillade. Les détenus, du plus gros au plus petit étaient soit chadèque, orange ou citron en fonction de leur importance. « Il n’y a que les avions, le chant des coqs et la montée du drapeau qui nous donnaient une idée du monde extérieur », se rappelle Max.
C’est au moment de quitter la France qu’il révèle son vrai nom à sa femme française, enceinte de leur deuxième enfant. Communiste, cette dernière travaillait au Sénat français. C’est elle qui lance l’alerte auprès du président du Sénat, Alain Poher, qui demande au ministère des Affaires étrangères d’intervenir auprès de la République dominicaine sur le cas de Max Bourjolly.
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La pression sur le président Balaguer fait rebondir le dossier en Haïti. Mais, il était difficile de retracer le prisonnier Max Bourjolly dans les prisons. Entre temps, le président américain Jimmy Carter mettait la pression pour garantir les Droits humains en Haïti. Jean Claude Duvalier devait montrer sa bonne volonté en libérant quelques prisonniers politiques. C’est ainsi que le nom de Max Bourjolly figure sur la liste des 104 prisonniers amnistiés par le président. Il est transféré aux casernes Dessalines pour être désinfecté et soigné afin de « ressembler à quelque chose » avant sa libération.
Le jour de sa libération, il apprend que sa première femme était encore en vie après sept ans en prison. C’est à ce moment aussi que cette dernière apprend que son mari était en Haïti, et en prison. Max Bourjolly se trouve avec deux femmes. Nous sommes en 1977.
Le gouvernement expulse les anciens prisonniers en utilisant un stratagème pour les faire revenir en Haïti. Leur billet d’avion était ainsi réservé : Port-au-Prince-Jamaïque-Londres-Amsterdam-Curaçao-Port-au-Prince.
En plaidant pour un clergé indigène, François Duvalier avait placé quelques hauts dignitaires dans la hiérarchie catholique.
Max Bourjolly soupçonne que l’objectif était de les faire revenir en Haïti pour les exécuter au motif qu’ils étaient des envahisseurs. Le vol vers la Jamaïque étant en retard, l’avion pour Londres est parti. Une fois en Jamaïque, des militants de droits humains se sont saisis de la question.
Le 7 février 1986, Jean Claude Duvalier quitte le pouvoir et prend l’avion pour l’exil. Max Bourjolly s’apprêtait à rentrer pour aider à mettre de l’ordre dans le chaos laissé par la dictature. « Duvalier a fui, mais l’édifice duvaliériste était encore là à diriger l’appareil d’État. Je croyais que le système allait changer. Même dans nos rêves les plus sombres, on n’a jamais pensé que Haïti tomberait aussi bas. »
Max et quelques camarades ont exigé un procès du duvaliérisme. L’enjeu était de taille compte tenu de l’importance d’un tel procès pour l’histoire. « Nous nous sommes heurtés à un mur », regrette Max Bourjolly.
À l’époque, les deux institutions les plus puissantes en Haïti étaient l’Église catholique et les forces armées. En plaidant pour un clergé indigène, François Duvalier avait placé quelques hauts dignitaires dans la hiérarchie catholique. Le haut état-major de l’armée était acquis à la cause du régime. Le duvaliérisme a réussi à tout verrouiller en macoutisant toutes les institutions du pays. Lorsqu’il arrive au pouvoir avec l’appui de l’Église catholique, Jean Bertrand Aristide rasera Fort dimanche. Max estime que l’espace aurait dû servir de lieu de mémoire de la dictature.
La voie ouverte à un autre Duvalier
L’histoire de la dictature n’est pas enseignée dans les écoles en Haïti. Même s’ils ne sont pas officiellement au pouvoir, les Duvaliériste ont occupé les grands couloirs. Certains alimentent un révisionnisme historique qui fait nourrir une nostalgie du temps de Duvalier.
Contre toute attente, Jean Claude Duvalier retourne en Haïti le 16 janvier 2011. Il mourut de sa belle mort le 4 octobre 2014 sans avoir été jugé. Il a été parrain d’une promotion d’étudiants à la faculté de Droit et des sciences économiques des Gonaïves. Parmi ses défenseurs, il y a l’avocat Reynold Georges qui, paradoxalement, a contribué à la rédaction de la Constitution de 1987 qui ouvre la voie à la démocratie en Haïti.
Aujourd’hui, le petit fils de François Duvalier et fils de Jean Claude Duvalier met les pieds dans l’arène politique. François Nicolas Duvalier veut s’imposer rien qu’avec le patronyme « Duvalier », car personne ne sait rien d’autre de sa vie. A-t-il jamais travaillé dans sa vie ? A-t-il fait des études ? Il rencontre des officiels Américains. Il est reçu par des organisations d’Haïtiens de la diaspora et certains membres du secteur des affaires en Haïti. Le duvaliérisme a encore une forte emprise dans le pays.
« Que pensez-vous d’une dictature progressiste [en Haïti, NDLR] ? », demandait le journaliste Wendel Théodore le 14 août 2019 à un ancien ministre de Duvalier. L’esprit est dans la question. Si la mémoire de la dictature n’a pas été transmise, la presse a certainement négligé son rôle de chien de garde.
« Les jeunes doivent s’organiser en Haïti »
Max Bourjolly a 78 ans cette année. La dernière fois qu’il a mis le pied en Haïti remonte en 1992. La plupart de ses camarades de combats qui ont vécu sous la dictature sont morts en exil, éparpillés sur différents continents. Il suit tout ce qui se passe dans le pays de sa résidence à Paris.
Il demande aux jeunes d’apprendre à s’organiser, car, « On ne peut gagner aucune bataille victorieuse en étant solitaire », leur conseille-t-il. Pour guider leur combat, il croit qu’il leur faut suffisamment de réflexions pour déterminer leurs véritables ennemis pour tirer Haïti du stupre.
A son époque, les communistes avaient une connaissance de l’histoire du pays, des enjeux de leur époque. Ils maîtrisaient des techniques de lutte clandestine. Ils communiquaient avec de l’encre invisible (encre sympathique). Ils savaient laisser des indices là où ils entraient et lorsqu’ils sortaient. Ils savaient mobiliser les membres et recruter de nouveaux adeptes. Pendant la guerre froide, certains communistes haïtiens allaient se former à Moscou pour mieux mener leur combat.
Max Bourjolly a fait son temps. Il pense publier bientôt un mémoire pour raconter aux jeunes générations la bataille de son époque.
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