À l’approche de la rentrée, des couturiers se plaignent de la stagnation du secteur
Dans la zone de Fouchard à Carrefour Feuilles, Jean Joseph s’installe avec une mesure autour du cou sur la galerie d’une maison. Les pédales de sa machine résonnent un son qui ne peut être inaudible aux passants et riverains de la localité. « Tu peux passer dimanche, j’ai fini avec tes uniformes depuis quelque temps, mais je dois ajouter quelques détails », répond-il à un jeune homme de 12 ans qui venait récupérer des coutures.
Cette année, la rentrée semble ne pas rapporter beaucoup à boss Jean. « Tous les prix des fournitures de couture ont grimpé. L’an dernier, j’ai acheté l’aune de tissu pour le col des chemises à 75 gourdes, cette année, je l’ai eue à 160 gourdes », se plaint celui qui souvent se procure lui-même les étoffes et autres éléments pour offrir aux parents un produit fini. « Les gens n’ont pas d’argent. Même ceux qui ont déjà placé des commandes ne parviennent pas à les récupérer », ajoute-t-il.
C’est presque la même réalité pour Marie Yves, une couturière qui habite Dano à Grand-Goâve. « Je n’ai jamais vu une année aussi maigre que celle-ci. Je n’ai pas reçu un seul parent cette année », déplore-t-elle.
La couturière a une fillette de 7 ans pour laquelle elle a déjà confectionné des uniformes scolaires. Cependant, Marie Yves ne pense pas que sa fille pourra se rendre à l’école le 9 septembre prochain, car elle comptait sur la fidélité de ses clients pour finir les préparatifs de la rentrée.
Quand l’État confectionnait des uniformes scolaires pour les plus pauvres
En 1996, l’État avait confié à l’Institut national pour le développement et la promotion de la couture (INDEPCO) qui est une organisation locale, l’étude et l’exécution d’un projet de confection d’uniformes pour les parents de petites bourses.
Le Fonds d’assistance économique et sociale (FAES) a géré ce projet qui avait deux objectifs distincts. « Créer des emplois pour les artisans du secteur textile en leur donnant la possibilité de moderniser du même coup les petits ateliers de confection de vêtements. Et alléger la note des parents défavorisés en fournissant des uniformes aux élèves des écoles publiques », lit-on dans un document élaboré par la FAES en 1997.
Selon le même document, les objectifs ont été atteints pour la rentrée des classes en 1997. « 60 ateliers de couture ont travaillé pendant quinze jours ; 540 emplois au niveau du secteur informel ont été créés ; 23 000 jeux d’uniformes ont été confectionnés. »
Hans Garoute, couturier et fondateur de l’INDEPCO raconte que le projet de confection d’uniformes scolaires a connu en 2008, un essor considérable. « 450 ateliers dans tout le pays avec un budget de 32, 167 117, 40 gourdes », selon un document produit cette fois par l’INDEPCO.
Depuis, l’exercice n’a plus été renouvelée. « Cette initiative a pourtant été très bénéfique pour les parents et les professionnels de couture », se lamente Hans Garoute. Aujourd’hui, INDEPCO se trouve dans une construction inachevée sur la route de l’aéroport offrant ses services à des entreprises privées.
Les couturiers ne reçoivent presque plus de contrats
Depuis les années 1970, le métier de couture a connu un déclin à cause de l’industrie de friperie. Jadis les gens s’habillaient essentiellement de vêtements locaux. De nos jours, les prêts-à-porter ont pris le relais. Ce qui constitue un manque à gagner pour les couturiers locaux. Même la rentrée des classes qui a toujours été une grande époque pour les artisans de la couture n’est plus garantie aujourd’hui. De plus en plus, les couturiers se voient perdre des contrats.
Marie Yves, la couturière qui vit à Grand-Goâve avoue qu’elle n’a généralement pas une grande clientèle en raison du fait qu’elle est nouvelle sur le marché. D’après elle, les grands couturiers de la zone se regroupent dès le mois de juillet de chaque année pour la confection d’uniformes. « Cette année, il semble que les ateliers ont tout pris pour eux. »
Par ailleurs, beaucoup de couturiers se regroupaient pour travailler en atelier lorsque l’État confectionnait les uniformes. Cela leur permettait de gagner un peu d’argent. Boss Bazile, l’un des couturiers pionniers du projet de confection d’uniforme de l’INDEPCO se plaint de la cherté de la vie. Il travaille encore aux ateliers de Hans Garoute, mais il a son propre atelier à Christ-Roi. « Chaque année, je confectionne des uniformes. Cette année s’annonce mal pour moi, je n’ai pas encore reçu dix contrats. »
Même les maisons de couture n’échappent pas aux conséquences du coût de la vie. Des tissus de textures et de couleurs différentes sont exposés sur des étagères à l’intérieur de l’entreprise Guy tissu à Bourdon. On y voit aussi des vêtements dans des housses plastiques transparentes alignées dans des penderies.
« Chaque année nous recevons des demandes d’uniformes venant de tous les départements du pays. Maintenant c’est la fin du pays, nous n’avons presque pas de contrat », soutient Jean Pierre, couturier et l’un des responsables de Guy Tissus. Pourtant, il a ajouté que l’entreprise offre ses services en un court délai et à un prix abordable.
Certaines écoles vendent l’uniforme
De nos jours, la plupart des écoles vendent des tee-shirts et se chargent de la confection des uniformes scolaires. Elles ont des contrats avec des couturiers pour confectionner des uniformes qu’elles vont faire acheter aux parents à des coûts plus élevés que ceux des couturiers locaux.
« J’ai travaillé dans un établissement où les parents devaient acheter les uniformes de leurs enfants en dollars américains », soutient Minha Elismé, une jardinière d’enfants ayant sept ans d’expérience. Pendant toute sa carrière, Minha a toujours, en tant que professeure, acheté ses uniformes à la direction des écoles où elle a travaillé. « Comme pour les élèves, l’obligation est faite aux professeures de se procurer leurs uniformes à l’école sous prétexte de ne pas porter des tissus différents de ceux que propose l’institution ».
« Cette année, continue la dame, je dois payer plus de trois corsages au prix de 1000 gourdes l’unité. Pour la jupe, on peut la faire coudre ailleurs, à condition d’acheter le tissu à l’école. »
Pour Hans Garoute, les écoles font trop de profits. « Ce faisant, elle ne permettent pas aux parents qui ont déjà leurs lots de problèmes de respirer. Pourtant, ces établissements pourraient faire des partenariats avec des ateliers de couture pour offrir des uniformes à de meilleurs prix aux parents et leurs professeurs », scande l’entrepreneur.
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