Pour assurer leur protection, certaines personnalités font blinder leurs véhicules. Coup d’œil sur une industrie florissante
Il est environ 2 heures PM. Nous sommes à l’atelier de Blindhasa sur la route de l’aéroport. Plusieurs véhicules dont une Prado et une Range Rover sont en train de subir le long processus qui va les transformer en forteresse ambulante. Ils sont en train d’être blindés.
Fortmonvil Saint-Clair est technicien en mécanique d’ajustage. Depuis 13 ans il travaille à la Blindhasa. Le blindage n’a plus de secrets pour lui. « C’est un travail difficile, mais passionnant, explique-t-il. Ce n’est pas la force physique qui est importante, mais l’adresse, la finesse. Après le blindage, quelle que soit la partie de l’automobile qui reçoit la balle, elle doit pouvoir résister. »
Le blindage de niveau 4 arrête les armes de poing.
Il faut plus de trois semaines pour compléter les travaux sur un véhicule. Les techniciens enlèvent tout le capitonnage intérieur, la boite de vitesse et les sièges. Seul le tableau de bord reste en place dans la voiture. Puis, ils appliquent un matériau spécial, à la pointe de la technologie: le kevlar.
« Pour installer le matériel de blindage, dit Fortmonvil Saint-Clair, nous faisons de gros trous à l’intérieur de la voiture, dans le châssis. Après nous soudons et polissons la partie que nous avons ouverte. Nous appliquons la peinture. Tout cela doit être invisible à l’œil nu. »
Tous les blindages n’ont pas la même efficacité. Il existe plusieurs niveaux, de 1 à 6. Selon le niveau choisi, la voiture pourra subir des dommages d’une arme déterminée. D’après Leonardo Gravina, manager de l’entreprise, la plupart des véhicules choisissent le blindage de niveau 4, qui peut arrêter les armes de poing. Les niveaux supérieurs sont spécialement conçus pour de plus gros calibres.
Plusieurs techniciens haïtiens travaillent dans l’atelier, mais il y a également des étrangers, colombiens et guatémaltèques. Laurent Tesserot, fondateur de la Blindhasa, explique qu’il préfère confier les tâches de finition aux étrangers qui sont, d’après lui, meilleurs dans ces détails.
Après que le kevlar soit apposé, le revêtement intérieur de l’automobile est remis en place. Les vitres sont blindées aussi ; le véhicule est prêt.
Une industrie compétitive
D’autres compagnies, comme la Socoprosa qui est l’entreprise parente de Avis Haïti, sont aussi spécialisées en blindage automobile. La Socoprosa utilise le kevlar également pour ses blindages. Raina Forbin est la directrice de cette entreprise fondée il y a plus de 30 ans, mais qui évolue dans le blindage depuis 2007.
L’entreprise représente Armor International, spécialiste en blindage automobile basé en Colombie. « Notre technologie est la même, mais notre technique de blindage est différente des autres compagnies, affirme Raina Forbin. Pour blinder une voiture, il faut que le modèle soit déjà développé par notre concessionnaire, Armor International. »
La Socoprosa n’offre que le niveau 4. D’après Raina Forbin, il n’y a pas vraiment de nécessité pour les autres types de blindage. « Nous n’avons pas de risque suffisant en Haïti pour un niveau de blindage 6, croit-elle. Mais dans le passé, je sais qu’il y avait des véhicules de niveau 6. » De plus, les matériaux sont différents. « Les vitres sont beaucoup plus épaisses que les 9 mm d’épaisseur de celles d’un B4, poursuit Raina Forbin. En B6, ce n’est plus du kevlar, mais du métal qu’on applique. C’est très lourd. »
De plus en plus de demandes
Depuis quelque temps, l’insécurité est en hausse dans le pays notamment à Port-au-Prince et ses banlieues. Comme on pourrait s’y attendre, cela a un impact sur le secteur du blindage automobile. Selon Leonardo Gravina, les demandes augmentent. « Je ne dirai pas que les chiffres de ventes ont explosé, dit-il, mais il y a plus de demandes de personnes qui veulent faire blinder leur véhicule. Ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit de personnes qui n’ont jamais pensé à faire blinder leur voiture avant. »
Quand l’insécurité est en hausse, même si les concessionnaires vendent moins de voiture, nous avons plus de clients.
Laurent Tesserot
Laurent Tesserot confirme les observations Leonardo Gravina. Mais, précise-t-il, c’est une industrie qui a toujours connu des hauts et des bas, tout dépend du secteur et de la période. Chaque fois qu’un secteur particulier est frappé par l’insécurité, celui-ci est plus enclin à procéder au blindage. « Il y a une époque, c’était seulement les riches qui faisaient blinder leur voiture, explique le directeur. Puis il y a eu les compagnies étrangères, quand ils envoyaient des ressortissants de leurs pays en Haïti. Pendant un certain temps, les entreprises qui évoluent dans l’agroalimentaire venaient souvent blinder leurs véhicules. »
Pour le moment, la compagnie blinde entre 50 et 100 véhicules par année, mais Laurent Tesserot prévoit déjà que le marché va augmenter de plus en plus. « Quand l’insécurité est au plus bas, nous n’avons pas beaucoup de demandes. Par exemple, un concessionnaire peut vendre plus de 50 voitures, et la Blindhasa ne reçoit qu’un seul client parmi eux. Mais dans les périodes difficiles, quand l’insécurité est en hausse, même si les concessionnaires vendent moins de voitures, nous avons plus de clients. »
Un luxe inaccessible aux petites bourses
Il faut beaucoup d’argent pour blinder son véhicule. Pour Blindhasa, les prix varient entre 25 000 $ et 65 000 $ US, selon le niveau choisi. Pourtant, malgré le coût, 80 % de la clientèle de l’entreprise est constituée de propriétaires privés. Seuls 20 % des véhicules blindés appartiennent à l’État, selon Leonardo Gravina. Laurent Tesserot affirme que les particuliers sont les premiers clients de Blindhasa, en termes de quantité de voitures blindées.
Raina Forbin confirme que le blindage peut coûter cher. Le prix peut grimper jusqu’à 35 000 $, tout dépend des choix du propriétaire. « Nous offrons seulement le B4 il est vrai, mais il y a plusieurs paliers dans le niveau 4. » Ce n’est pas l’activité principale de l’entreprise spécialisée en location de voitures, mais en moyenne annuelle, une dizaine de véhicules passent par ses ateliers.
De la Honda Accord à la Toyota Prado
La plupart des véhicules peuvent être blindés. Mais comme l’opération ajoute un poids supplémentaire, le moteur du véhicule doit être prêt à le supporter, surtout dans un pays montagneux comme Haïti. Selon le manager de la Blindhasa, les SUV 4×4 sont très fréquemment concernés. Des marques comme Toyota, Jeep, Ford, Mazda, Suzuki etc. sont une part importante de la clientèle.
Cependant, certaines voitures ne peuvent pas recevoir un niveau de blindage élevé. La Toyota Prado 2018, autre voiture très remarquée dans les rues d’Haïti, ne peut pas subir un blindage supérieur au B4, à cause de son moteur trop petit, d’après Leonardo Gravina.
Armor International, la marque que représente la Socoprosa en Haïti, peut blinder un véhicule, quel qu’il soit. Selon Raina Forbin, en Colombie même des Honda Accord ont subi le processus. Il suffit que le prototype ait déjà été développé par Armor International.
Comment avoir un blindé
Pour blinder sa voiture, le particulier a jusqu’à trois options. Il peut l’importer directement, déjà blindée, sans passer par les concessionnaires de véhicules ; il peut apporter sa voiture non encore blindée à une compagnie spécialisée dans le domaine comme la Socoprosa ou la Blindhasa ; pour finir, il peut en commander une auprès des concessionnaires.
Toutefois, explique Leonardo Gravina, cette dernière option renvoie à la deuxième. Les concessionnaires de véhicules n’importent pas de voitures blindées, pour ne pas perdre la garantie qui accompagne chaque véhicule. Ils ne font que les apporter aux compagnies spécialisées, avant de les délivrer aux clients.
Un véhicule blindé est un nouveau véhicule
Le blindage ajoute un poids supplémentaire au poids original du véhicule. Cela modifie considérablement son comportement face à certaines situations. Pour quelqu’un qui habite en hauteur, la conduite doit être légèrement modifiée. « Il faut surtout surveiller le freinage, avertit Raina Forbin. Les freins s’usent plus rapidement quand la voiture est blindée ; il faut compresser le moteur au lieu de freiner à tout va. »
Leonardo Gravina prévient aussi qu’il faut adapter ses habitudes à la voiture. « Trop de chauffeurs ne font que détruire les blindés qu’ils conduisent, déplore-t-il. Ils devraient suivre une formation spéciale. »
Les suspensions d’un blindé sont très affectées à cause du poids du blindage. « Comme la voiture supporte une charge supplémentaire, dit le manager de la Blindhasa, il faut contrebalancer en installant des suspensions spéciales. Les roues ne sont pas négligées non plus. Nous y intégrons des pneus spéciaux Runflat, si le client en fait la demande. Ils permettent au conducteur de continuer à rouler sur une certaine distance, même s’ils ont été atteints de projectiles. »
Plusieurs attaques ont déjà été perpétrées en Haïti contre des détenteurs de blindés. L’une des plus récentes et des plus médiatisées, a été commise contre le véhicule de l’ex-Premier ministre, Jean Henry Céant, alors qu’il était candidat à la Présidence, en 2016.
Cet article a été mis a jour. 30/08/2019 : 12:02
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