Le Fonds Monétaire International a recommandé l’augmentation du prix de l’essence qui a provoqué les soulèvements en Haïti les 6 et 7 juillet 2018. L’État haïtien passe outre la volonté de sa population pour satisfaire les exigences d’une institution étrangère. Par quels mécanismes le FMI parvient-il à suggérer des lignes de conduite à un État souverain?
On ne dispose pas encore du bilan. En moins de vingt-quatre heures, des entreprises de Port-au-Prince ont été saccagées suite à l’annonce par le gouvernement de la hausse des prix de l’essence. Et comme résultat, l’économie du pays a pris un sérieux coup. À mesure que les dégâts s’amplifiaient, la liste des victimes se partageait en temps réel sur les réseaux sociaux.
Nous sommes dans une économie où les dépenses de l’État ne profitent pas véritablement à la population. Depuis des années, les différentes administrations ont failli sur un point majeur : expliquer à la population la logique de l’ajustement du prix de l’essence sur le marché. Avec les réseaux sociaux, les fake news alimentent les confusions et l’État n’a toujours pas compris ce problème de communication. Le malaise peut être plus profond. Tout porte à croire qu’il s’agit bien d’une stratégie pour entretenir l’opacité sur le sujet. L’État haïtien a toujours été réfractaire à la transparence.
Un partenaire financier influent
Le Fond Monétaire International est un nom inconnu pour des millions d’Haïtiens. C’est pourtant une institution dont les décisions impactent leur vie depuis des décennies. Des bureaucrates étrangers font des injonctions à l’État sans mesurer les véritables conséquences. Au lieu de dialoguer avec les citoyens, les dirigeants préfèrent en guise d’alternative, négocier avec ces acteurs externes.
Le 25 février 2018, le gouvernement haïtien s’est engagé une fois de plus envers le FMI pour réduire le déficit public. Le Washington Post rapporte que Haïti s’engage auprès du FMI à augmenter le prix du carburant pour pouvoir bénéficier de 96 millions de dollars de prêts à faibles taux et des subventions auprès de la Banque Mondiale et de l’Union européenne. Pourquoi Haïti confère autant d’autorité à une institution étrangère au détriment d’un consensus national ?
D’abord une logique classique : La main qui donne est celle qui ordonne. Jusqu’en 2010, la rubrique subventions et dons représentait plus de 60% du budget de l’État haïtien. Des institutions comme le FMI ont toujours été une béquille qui évitait à l’État de s’effondrer. On les appelle des partenaires financiers de l’État. En dépit du fait que les différentes solutions proposées n’ont pas révélé des résultats probants, on persiste à toujours les appliquer.
Il faut le reconnaitre: Haïti est un État totalement affaibli. Comment donc verser de l’argent à un État qui ne prend jamais les mesures minimales de transparence et de bonne gestion ? Autant dire que tout financement de la part des bailleurs est assorti de conditionnalités. Pour des bureaucrates dont le seul souci est de s’assurer de la solvabilité de l’État auprès de ses créanciers, les effets secondaires de leurs recommandations leur importent peu.
Ajustements destructeurs pour l’économie
La hausse du prix des produits pétroliers entre dans le cadre de nouvelles mesures d’ajustement structurel. Haïti en a adopté plusieurs depuis les années 1980 en se promettant de s’affranchir du cycle du sous-développement. Un nom qui revient sans cesse, c’est celui de l’ancien ministre des Finances, Lesly Delatour, qui a ouvert la vanne avec l’adoption des politiques néolibérales. Ce concept que les économistes et politiques évoquent souvent fait référence à une série de mesures où l’État ouvre son commerce extérieur, limite ses interventions, libère sa fiscalité en faveur des entreprises et privatise les entreprises publiques. Dans ce cadre, la baisse des tarifs douaniers facilite la destruction de la production locale et encourage les importations massives de biens. Depuis, Haïti s’est davantage appauvri.
Le pays est aujourd’hui le troisième importateur mondial du riz des États-Unis alors qu’il en produisait suffisamment pour son marché dans les années 1980. Face à la concurrence de produits étrangers –dont beaucoup sont subventionnés- des milliers de producteurs locaux ont été condamnés à la faillite. Il en résulte une baisse considérable du PIB local. Aujourd’hui, plus de 70% des biens vendus sur le marché haïtien sont importés.
Les institutions de Bretton Woods comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont chargés de surveiller l’application par les pays des politiques d’ajustement structurel appelées aussi politiques néolibérales. Depuis le 8 septembre 1953 que Haïti est membre, le FMI ne peut se prévaloir d’aucun satisfecit dans son carnet de réalisations en Haïti. L’institution garde son influence en dépit du fait que ses directives n’ont pas un impact positif sur l’économie nationale. Comment expliquer cela ?
« Le plus puissant moyen de domination du nord sur le sud est aujourd’hui le service de la dette » Jean Ziegler
Un prêt engendre automatiquement une dette. En devenant créanciers de l’État, les bailleurs s’octroient, à travers leurs exigences, une autorité d’injonction. En 2017, l’État haïtien a annulé un contrat pour l’agrandissement de l’aéroport Toussaint Louverture à cause de la « pression maximale » du FMI et de la Banque Mondiale entre autres. L’annulation de la dette d’Haïti par ses créanciers en 2009 et en 2010 est un signe d’insolvabilité de l’État. Cette décision limite automatiquement l’accès du pays aux marchés financiers. Parce que Haïti ne jouit pas de la confiance nécessaire pour emprunter sur le marché international, il doit se limiter aux dons.
Puisque les ajustements du FMI sont administrés en situation de crises, les crises qu’ils entretiennent renforcent la dépendance de l’État haïtien envers l’institution. Il s’agit donc d’un cercle vicieux. L’ancien prix Nobel de la paix, Joseph Stiglitz, dans son ouvrage La Grande Désillusion qui présente une critique assez édifiante des pratiques du FMI, affirme que « La Banque Mondiale, l’Union européenne et de nombreux pays posent comme condition à leur aide que le pays ait reçu l’approbation du FMI […]. Tant que le FMI n’approuve pas la politique économique du pays, pas d’allègement. Cela lui donne un énorme moyen de pression et il le sait. »
Il se trouve que des experts étrangers décident du sort de millions d’Haïtiens en ignorant les logiques propres à cette communauté. Étant à l’origine du revers de l’économie haïtienne, ils ont enjoint à l’administration Moïse/Lafontant d’augmenter le prix du carburant. L’on doit bien se demander si cette perspective d’analyse se révèle la seule valable.
Haïti encore affaibli
On voyait l’image des pillages sur les réseaux sociaux. Des entreprises qui contribuaient au fisc se trouvent, en l’espace de douze heures, totalement à plat. L’État va devoir diminuer ses prévisions de recettes, continuant ainsi à accroître son déficit budgétaire sans qu’il soit à même de réparer les dégâts. Pourtant, la réaction populaire était prévisible. La hausse des prix de produits pétroliers a toujours été la goutte qui pouvait à tout moment faire déborder le vase. Il s’agit bien d’une décision inopportune selon l’économiste Enomy Germain. « Il y a d’autres alternatives internes auxquelles l’État devrait recourir pour financer ses projets. La pression fiscale est à environ 14% aujourd’hui. Un État qui n’est pas du tout efficace dans l’utilisation de ses ressources n’est pas crédible pour prendre des mesures aussi impopulaires », avance-t-il. Loin de disculper les politiques de leurs multiples maladresses de planification et de gestion, il est quand même important de fixer l’implication du FMI.
Le modèle de financement de l’économie et de l’activité de l’État a fragilisé le pays à un point où les bailleurs disposent d’une marge décisionnelle assez importante au détriment des citoyens. Haïti n’est pas le premier pays ou une décision du FMI allume un brasier. Les pays qui se sont tirés de ses politiques sont ceux qui ont considéré les priorités de leurs citoyens. Après les casses et les incendies en Haïti, les experts du FMI n’ont rien perdu. Pour ce cas précis, il s’agit d’un échec de plus. Son administration va continuer ses purges et appliquer les mêmes formules à d’autres États en difficultés. Les misères d’Haïti perdurent et sa dépendance est une garantie pour les perpétuer.
Ralph Thomassaint Joseph
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