A la base de l’affaire PHARVAL, une négligence grave de l’État haïtien : l’inexistence d’un droit haïtien de la consommation. Qu’est-ce que ce droit et pourquoi il est nécessaire ?
On parle de consommateur (acheteur) et de producteur pour distinguer celui qui fait l’acquisition des biens et services de celui qui les fournit. Le Droit de la consommation est le cadre légal qui protège l’acheteur du producteur. Il offre un recours au consommateur à travers des règles juridiques et procédures spécifiques pour corriger les situations d’inégalité mais aussi de risques pour la santé.
En quoi consiste le Droit de la consommation ?
Selon Juritravail, le Droit de la consommation appartient à la sphère privée ; il s’agit d’un droit spécial dans la mesure où, pour mieux protéger le consommateur, certaines des dispositions de ce droit dérogent au droit commun des contrats. Cette branche du Droit a pris naissance au XXe siècle, à partir des années 1970.
Avant l’acte de consommation, le Droit de la consommation intervient à 3 niveaux :
L’information : l’obligation d’information a pour but de rétablir l’égalité entre le consommateur et le producteur. Ainsi, l’acheteur doit être informé sur les prix et les conditions de vente. Le producteur doit renseigner le consommateur en fonction de ses besoins, tout en lui prodiguant des conseils pour une utilisation et jouissance optimale des biens et services.
La réflexion et la possibilité de rétractation : par rapport à l’ensemble des informations reçues, le consommateur pourra réfléchir en vue de prendre de meilleures décisions. Pour cela, il lui est accordé un délai de rétractation, c’est-à-dire une période au cours de laquelle il peut se désengager sans besoin de se justifier.
La règlementation : le Droit de la consommation prohibe certaines pratiques et méthodes commerciales pouvant léser le consommateur. Par exemple, il est interdit au consommateur d’annoncer ou de revendre un produit à un prix inférieur à celui de l’achat ; ou bien d’inciter par la ruse le consommateur à acquérir un produit.
Application du Droit de la consommation en Haïti
S’il est vrai qu’il existe en Haïti une direction du Contrôle de la qualité et de la Protection du consommateur (DCQPC), il n’existe jusqu’à date, aucun cadre légal garantissant les droits du consommateur. Rappelons que la DCQPC est l’une des sept directions du Ministère du Commerce et de l’Industrie. Néanmoins, aucune information pertinente sur le fonctionnement de la DCQPC n’est fournie par le Ministère du Commerce et de l’Industrie. Renaud Pierre, actuellement inscrit à l’école du barreau de Port-au-Prince, est l’unique étudiant de la faculté de Droit et des sciences économiques de l’Université d’Etat d’Haiti à avoir travaillé sur l’inexistence d’une législation protégeant le consommateur haïtien. Son travail n’est malheureusement pas en ligne mais peut être consulté à la bibliothèque de la FDSE.
Depuis 2012, un projet de loi a été déposé au parlement haïtien sur la protection du consommateur, mais aucune suite n’y a été donnée. La négligence de l’Etat à ce niveau débouche sur plusieurs situations désastreuses. C’est le cas dans l’affaire PHARVAL.
L’affaire Pharval
Entre 1995 et 1996, 86 enfants au moins ont été diagnostiqués d’insuffisance rénale aiguë. Le 14 Juin 1996, le ministère de la Santé d’Haïti, l’hôpital général universitaire de Port-au-Prince, l’Organisation Panaméricaine de la Santé / Organisation Mondiale de la Santé, et le Centre d’Epidémiologie des Caraïbes et le CDC (centre de contrôle de maladie) ont conjointement ouvert une enquête sur le dossier. Les conclusions de cette enquête révèlent que la glycérine contaminée au diéthylène glycol utilisée dans la fabrication du sirop Acétaminophène, était la cause de ce drame national. Plus de 200 enfants sont morts. Les médicaments Afébril et Valodon, fabriqué par les compagnies Vos et Helm, ont été distribués par les Laboratoires Pharval sans aucun contrôle de l’Etat.
Une fièvre avant-coureur, une insuffisance rénale anurique*, une pancréatite, une hépatite et un dysfonctionnement neurologique évoluant vers le coma sont les principales caractéristiques des effets du médicament. Il est à noter que la glycérine a été importée de la Hollande en Haïti par Pharval. Dix enfants ont été transférés dans des centres médicaux aux États-Unis pour des soins intensifs et des dialyses ; Des centaines d’enfants diagnostiqués, seulement 10 ont survécu à ce drame. Et le dernier enfant mort parmi les survivants remonte à 2014.
La responsabilité de l’État haïtien dans l’affaire PHARVAL
L’Etat haïtien, en tant que garant du territoire national et protecteur de ses citoyens, a pour devoir de procéder à un contrôle efficace de l’ensemble des produits traversant ses frontières. Il revient à l’Etat de définir une politique nationale de normalisation et de contrôle de la qualité des biens et services fournis par les producteurs.
C’est également le rôle de l’Etat, notamment du pouvoir législatif, de voter des lois cadres sur la protection du consommateur, en obligeant le producteur à fournir des informations complètes et précises sur les biens et services. C’est à lui de condamner les pratiques commerciales malhonnêtes. L’absence de ces paramètres rend l’Etat haïtien, le premier responsable de l’homicide de ces centaines d’enfants. Ce projet de loi, 23 ans après ce drame national, est la seule initiative des instances étatiques, notamment le Parlement, au niveau de la protection du consommateur.
Le Jeudi 3 août 2017, le sénateur de l’Ouest, Antonio Cheramy, président de la commission des Affaires sociales du Sénat, avait réactivé la proposition de loi sur la protection des consommateurs. Depuis, plus rien. La proposition de loi n’a toujours pas été mis à l’ordre du jour afin d’être vote dans les mêmes termes par les deux chambres. C’est à se demander combien d’enfants doivent encore mourir pour garantir les droits et la protection des consommateurs d’une part.
* Anurique : Relatif à la cessation de la sécrétion rénale
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