Dans une note rendue publique le 11 décembre 2017, le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) condamne une affiche de publicité qu’il estime « dévaloriser l’image et le corps de la femme ». Vingt-quatre heures plus tard, les panneaux publicitaires indexés sont enlevés dans les rues. Une décision saluée par plus d’un, mais qui, toutefois, soulève une interrogation : Que dit la loi haïtienne sur l’affichage publicitaire ?
Il est un fait certain que la publicité occupe énormément de places dans notre quotidien. De nos jours, avec le virage numérique, elle connaît probablement son âge d’or. Les entreprises investissent progressivement le web et les compétences digitales sont davantage recherchées dans ce domaine. Mais il n’y a pas que sur la toile où la publicité est présente. Elle est en effet partout. Tous les outils de communication sont mobilisés pour attirer le potentiel client. Et l’affiche géante, communément appelée billboard, en fait justement partie.
Alors, dans une société de consommation comme la nôtre, nous ne pouvons échapper à cette règle. C’est dans ce contexte que cette grande entreprise de fabrication de boissons gazeuses et énergisantes fait sortir quelques affiches géantes qui ont provoqué moult réactions au sein de la population. Chacun y va de son petit commentaire jusqu’au point où le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes s’est mêlé de la partie. « Le respect et la dignité de la femme » sont en jeu, d’après le MCFDF. Que dévoile donc cette affiche pour susciter autant d’attention ?
Représentation de la femme haïtienne dans la publicité
En fait, dès le premier coup d’œil, la scène de sexualité qui se présente à nous dans l’affiche-vedette est sans équivoque. L’on y voit une jeune femme assise sur un tabouret de façon très suggestive — traçant ainsi un angle de 45º avec ses cuisses —, portant ostentatoirement un t-shirt blanc décolleté sur un mini-pantalon ou culotte (c’est selon) de couleur noire. Dans un large sourire, elle regarde la face inférieure d’un bouchon : celui du produit en question probablement. L’essence du message est censée se résider sous ce couvercle, car l’objectif de la publicité étant justement de faire la promotion des primes que l’on pourrait gagner après la consommation du produit. Inutile donc de mentionner la présence superfétatoire de la jeune femme sous l’angle tel qu’il nous est présenté. Malgré tout, plus que vers le produit, le message porté sur l’affiche conduit de préférence vers cette jeune femme. Et ce choix semble visiblement délibéré.
Rien que dans cette image, tous les clichés représentant l’idéal-type de la femme haïtienne pour la gent masculine refont surface : cheveux longs, peau au teint clair, ventre plat, jambes athlétiques… La gamme est complète. Outre cela, l’entreprise concernée n’est pas à son coup d’essai. Déjà en mars 2016, dans un article publié sur Ayibopost, Widlore Mérancourt attirait l’attention sur une affiche similaire, de cette même compagnie, qui « exaspérait » les habitants de la ville des Cayes. Il faut croire que la femme joue un rôle essentiel dans la conception des messages publicitaires en Haïti. Qui plus est, l’idée de la femme-objet est fortement répandue dans ces derniers. La femme est donc utilisée comme appât pour susciter la motivation chez les clients potentiels. Et à ce jeu, il paraît que tout est permis.
De la nécessité d’une législation en matière de contenu dans les publicités en Haïti
En tant que garant des politiques de l’État relatives à la condition féminine et au respect des droits des femmes, il est plus qu’évident que le MCFDF monte au créneau pour dénoncer « tout comportement et action qui dérangent l’ordre public et les bonnes mœurs » quand l’intégrité des femmes se trouve menacée. « N’importe qui de la société civile qui, constatant ces dérives, peut entreprendre de telles initiatives auprès des instances concernées », affirme Me Yves Emmanuel Adéclat, avocat au barreau de Port-au-Prince. Mais il est également du devoir du MCFDF de procéder à la révision de textes légaux et de règlements administratifs devant favoriser des comportements et des attitudes non sexistes tel qu’il est mentionné dans la mission qui lui est confiée. À ce titre, il y a du chemin à faire.
En effet, dans le décret-loi du 23 octobre 1939 sur les affiches, nulle part il n’a été mentionné les limites à ne pas franchir en ce qui a trait aux contenus des affiches publicitaires. Aucune mention n’a été faite non plus sur l’existence d’un éventuel organisme de régulation qui aurait pour tâche, entre autres, de veiller à ce que les principes moraux régissant les bonnes mœurs soient respectés dans toute affiche destinée à un vaste public, notamment. Comme il en existe d’ailleurs dans certains pays. En ce sens, ce vide juridique laisse « une grande marge de manœuvre en matière d’interprétation », reconnaît Geneviève Michel, juriste. « C’est aussi l’occasion idéale pour nos législateurs de faire véritablement le travail pour lequel ils ont été en principe élus, en lieu et place d’autre chose », ajoute-t-elle.
En prenant le leadership d’un tel combat, le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes aurait tout à gagner, et cesserait, par la même occasion, de se substituer en une organisation de femmes qui se contente uniquement de dénoncer, de condamner, de réagir sur des faits dictés par l’opinion publique. Tous les ministères, en tant qu’éléments constitutifs du pouvoir exécutif, ont cette prérogative de travailler à l’élaboration de projet(s) de loi devant rendre plus dynamiques les secteurs dans lesquels ils évoluent. Le MCFDF peut, en ce sens, commencer à y penser.
Romaric Fils-Aimé
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