A Bellevue-Lamontagne, les habitants font face à une sévère pénurie d’eau depuis 2010. Le séisme a asséché la rivière qui alimentait la zone depuis longtemps. La pénurie d’eau qui s’ensuivit change profondément les conditions de vie.
Johnny Pierre est enfin arrivé à « Frèdèl », un creux d’eau verdâtre qui alimente plusieurs quartiers de la 4ème section Bellevue la Montagne. Assis calmement sur une pierre, ce gamin vient de gravir habilement les pentes rocheuses et abruptes de la rivière Millet, desséchée depuis 2010. « Je viens ici une fois par jour pour tirer l’eau de boisson pour ma famille » raconte-t-il en remplissant son récipient avec un bol. Cela fait plus de cinq ans que Johnny effectue ce trajet qu’il estime être très difficile. Chaque jour, il se met en danger pour se rendre à Frèdèl. Il n’a pas trop le choix. Pour ses parents, l’envoyer puiser de l’eau dans cette source reste l’aternative la plus abordable. « Ma famille n’a pas les moyens de s’acheter un seau d’eau tous les jours »,témoigne t-il. Johnny n’a aucun doute sur la potabilité de l’eau qu’il croit d’ailleurs être de meilleure qualité que celle traitée par osmose inverse, selon le gamin « La population serait déjà infectée si l’eau n’était pas potable ».
Conséquence d’un puissant séisme
Depuis le séisme du 12 janvier 2010, la rivière Millet qui desservait plus d’une dizaine de quartiers de la 4ème section rurale Bellevue la Montagne s’est brusquement desséchée. A chaque saison pluvieuse, les quartiers Bossier, Duplan I, Citron-Marlique, Loiseau espèrent le retour des sources naturelles dans lesquelles ils s’alimentaient en eau depuis plusieurs générations. Une situation inédite qui a bouleversé les conditions de vie et habitudes des habitants.
La disparition de la rivière est un phénomène courant et scientifiquement possible selon l’hydrogéologue Lionel Rabel qui affirme qu’un cours d’eau peut bien laisser son lit pour se faire un nouveau passage en contrebas. L’ingénieur cite en exemple le cas de la rivière Glace à Jérémie, dans le département de la Grand‘Anse, qui a progressivement laissé son canal habituel pour couler à quelques mètres de profondeur. Il est donc possible, selon l’hydrogéologue, que « Le séisme provoque une cassure souterraine dans les zones calcaires comme celle de Bellevue la Montagne. Il faut cependant une étude pour mieux aider à identifier les causes du problème ».
L’ingénieur Rabel continue pour expliquer qu’il serait presque improbable de faire remonter la rivière dans son lit précédent car ce serait trop couteux. « Mais, les techniciens après avoir effectué les études appropriées pourraient procéder au captage et au drainage », précise l’ingénieur qui pense que cet approche serait économiquement plus abordable.
Et les prix grimpent
« Ce serait notre plus grand malheur si cette eau disparait un jour. Fredel est notre dernier recours », lance pour sa part David Chéry, habitant du quartier Loiseau. Le jeune homme déclare n’avoir jamais acheté un seau d’eau puisqu’il n’a pas les moyens. Comme Johnny, il croit que l’eau de Frèdel est potable malgré la conduite négligente de certains habitants. « Certains ne se rendent pas compte de l’utilité de cette source. Ils défèquent et font la lessive dans les environs », déplore-t-il cependant.
Aujourd’hui, à la quatrième section communale de Bellevue_La Montagne, le prix de l’eau varie en fonction des accessibilités routières, des contenants et de la qualité. A Bossier par exemple, le seau de cinq gallons coûte 10 gourdes tandis qu’à Loiseau, les habitants le payent 15 gourdes. Un prix que ne peuvent se payer quotidiennement beaucoup de foyers dont les besoins dépassent de loin le revenu.
Pour contourner le problème certains habitants ont creusé leurs réservoirs privés. Une situation qu’ils n’avaient pas envisagée auparavant. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Hérode Domerçant qui avoue qu’il y était obligé, « J’espérais une éventuelle remontée de la rivière, mais la situation se compliquait de plus en plus ». Ce père de famille pense que la population est très vulnérable face à l’ampleur du phénomène. Mais, creuser un réservoir ne résout pas le problème puisque plusieurs endroits de la section communale sont encore inaccessibles aux camions citernes. « La plupart des réservoirs se remplissent uniquement grâce à l’eau de pluie. Du coup, les longues périodes de sécheresse inquiètent les propriétaires de réservoirs », explique Hérode. Pour lui, seule une intervention des autorités politiques de Pétion-ville résoudrait définitivement le problème.
Conflits et prise en charge communautaire
Le nombre de gens à puiser l’eau à « Frèdèl » augmente considérablement durant les périodes de sécheresse.Ceci provoque parfois de violents affrontements entre les habitants. « Je préfère m’y rendre très tard la nuit ou à l’aube afin d’éviter le brouhaha »,confie David Chéry qui revèle que les gens restent parfois jusqu’à minuit devant le trou qui suinte généralement pendant ces moments.
Le comité administratif de Bossier a entrepris de capter l’eau provenant de Lamothe, un quartier riverain où se trouve le système de drainage qui alimente la commune de Pétion-ville. « Nous avons contacté des responsables de la Direction Nationale d’Eau Potable (DINEPA) qui promettent seulement de nous aider techniquement », explique Junior Castel Desroses, un étudiant en génie civil. Les soutiens financiers que des particuliers avaient promis se font attendre depuis 2016 toujours selon ce dernier. Entre temps, les difficultés des habitants pour trouver une goutte d’eau persistent et paraissent de plus en plus incontournables.
Hadson Albert
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