AYIBOFANMEN UNEFREE WRITING

À mon enfant disparu

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J’avais beaucoup pensé au nom que je te donnerais. Aux personnes qui seraient là le jour de ta naissance. À ceux qui t’aimeraient, t’encadreraient, feraient de toi une priorité dans leur vie. J’avais pensé aux voyages que l’on ferait ensemble, aux livres que je te lirais, aux chansons que j’essaierais de te chanter et aux sourires complices que je t’arracherais. À tes poings resserrés fort autour de mon index,  à ta chaleur contre mon sein, aux cent pas que je ferais pour que tu t’endormes enfin.

Mais avant ça, j’avais pensé à la magie de mon ventre qui grossirait, aux premiers signes venant de toi que je sentirais – coups de pieds ou caresses, depuis ton nid. J’avais pensé que ta croissance ferait aussi pousser mes cheveux, provoquerait des acnés. Je m’inquiétais sur l’emplacement de ton berceau. Je m’alarmais aussi sur des choses plus preoccupantes: Est-ce qu’un jour tu serais déçu de nous? Serait-ce méchant de t’amener dans un monde pareil? Est-ce qu’il ne faudrait pas attendre encore un peu? Attendre une belle maison. Attendre que tes grands-pères deviennent peut-être des hommes meilleurs, capables d’aimer et d’être aimés.

Attendre que ton pays ne soit plus criblé par les attaques naturelles et humaines.

Attendre que la maladie arrête de grignoter ta grand-mère, le plus bel être qui soit. Attendre qu’elle soit forte afin de pouvoir tout t’apprendre, s’imprégner en toi, te transmettre un soupçon de cette alchimie qu’elle incarne. Qu’elle ait le temps de t’enseigner ses valeurs, sèves de sa résistance. Que la vie lui fasse un peu justice, afin qu’elle puisse t’aimer, rien pour ce que tu es. Sans amertume ni frustrations.

Attendre que l’argent, de plus en plus en carence, ne prédétermine pas l’avenir qui te serait réservé, ni la beauté du monde qui te serait ouvert.

Attendre que le bonheur se soit suffisamment infiltré dans les jours de ta tante, pour que tu ne sois qu’un multiplicateur de joie dans une vie déjà comblée.

Que ton père se trouve, et apprenne à accepter celui qu’il croise parfois dans le miroir.

Attendre que je puisse réapprendre à parler à Dieu, rebâtir les ponts avec Lui,  pour que ses bras t’enveloppent.

Attendre que tu sois désiré par d’autres que juste moi.

Attendre que peut-être tu sois voulu pour autre chose que me sauver. Me sauver de cette déprime qui envahit mon esprit, qui torture mon âme, qui brouille mes aptitudes émotionnelles,  qui agite ma paix et anéantit mon estime de soi.

J’avais fait le tour de ce que représenterait ta vie pour moi, et pour toi. Et même si le second aspect était peu convaincant, je t’ai voulu tout de même, de tout mon être.

J’ai prié pour que tu viennes, mais toujours j’ai remercié Dieu de sa perspicacité, lorsque 28 jours après, je compris que tu n’étais pas là. Je savais que c’était cruel de tant vouloir t’amener à bord de cette triste aventure qu’est ma vie. C’était égoïste, et Dieu y voyait clair.

Lorsque j’ai enfin compris qu’aussi profonde qu’elle fût, ma conviction d’être prête ne tromperait pas son jugement, j’ai choisi les verres, non, les bouteilles et la fumée afin de tenter de combler le vide, troubler le désarroi, m’endormir.

Lorsque tout le monde s’attardait à m’expliquer que le stress avait des symptômes et claironner que j’en illustrais un cas classique; lorsque la douleur était devenue lourdement familière et que le goût de vivre m’avait complètement déserté; que trois médecins de suite m’avaient confirmé que je « n’avais rien”, c’est seulement à ce moment que j’ai appris que tu étais là.

Que tu avais déjà un cœur. Un cœur qui ne battait plus,  tant mon découragement, mes pensées négatives et méchantes, ont dû le briser.

Tu as du avoir un tel chagrin que tu t’es caché, caché loin, là où aucun appareil ne pouvait te voir, et tu t’es accroché, comme pour signifier que tu ne voudrais jamais, jamais sortir, jamais connaitre ce lieu qui déjà t’inspirais tant de peine.

Je te comprends mon chéri et je m’en veux. Je m’en veux tellement.

Pardon.

Je m’excuse de n’avoir pas su reconnaître les signes que j’avais pourtant tant anticipés. De n’avoir pas compris ton langage à toi, ta manière de me dire que tu existais. Je m’excuse d’avoir essayé de taire les messages que tu m’envoyais. De l’agacement que je ressentais lorsqu’on me confirmait qu’il n’y avait rien d’anormal, et qu’il n’y avait surtout pas de toi. Je m’excuse du soulagement qui suivait cette colère. D’avoir toujours pensé qu’au final il valait mieux qu’aucune autre vie n’ait à connaitre tant de déchirements, d’épreuves et de tristesse.

D’avoir été convaincue que cette douleur anonyme s’en irait, que ce gêne pesant, cette sensation intruse passerait.

Je m’excuse de n’avoir pas su que mes idées, ces blasphèmes parentaux, tu les ressentais déjà. Je m’excuse de ma confusion. De n’avoir pas su mieux vivre avec mes choix. Du couple torrentiel que tu aurais eu pour parents. Des absences qui auraient meublé ta vie. Des réponses trop vraies et trop dures qui expliqueraient le déficit affectif qui aurait été ton patrimoine.

Je m’excuse pour toutes les fois où, tout allait tellement mal, la noirceur de la vie était tellement opaque, j’ai pensé aux moyens de me débarrasser de toi si jamais tu aurais existé. Je m’excuse que tu aies dû vivre tout cela. Que tu aies sondé mon for intérieur et pressenti mon incompétence maternelle. Je m’excuse de toutes ces choses malsaines, matérielles comme réfléchies, que j’ai du te faire ingérer; pour l’acidité des jours que tu as connu à l’intérieur de moi.

Je m’excuse d’avoir pensé que tu ressemblais à une tumeur. D’avoir discuté des méthodes d’extraction de cette “masse” qui mettait en péril ma vie. Je m’excuse surtout pour la manière dont nous nous sommes séparés…pour ma lâcheté.

Je m’excuse d’avoir accueilli, telle une délivrance, le verdict que tu avais cessé de grandir -que ma vie était sauvée. Je m’excuse d’avoir tenu à ma trompe, à ma fertilité et à un futur sans toi.

Je m’excuse de n’avoir jamais prononcé le mot qui te désignait vraiment, ni murmuré ce nom qui était déjà tien. Ce nom que tu devais déjà connaître tant j’avais imploré que tu ne viennes.

Je m’excuse d’avoir tenu si longtemps avec la douleur. Je m’excuse que ma tolérance masochiste pour ce qui fait souffrir, mon habitude au mal-être, mon penchant pour la négligence, t’aient gardé en vie -non, en limbo, aussi longtemps.

Triple crime que j’ai commis.

De t’avoir tant espéré, pensant naïvement qu’à ton premier souffle la terre arrêterait de tourner si vite, que la vie aurait enfin un sens, que l’amour jaillirait de tous les côtés, que la clarté reviendrait, les sourires, les éclats de rire, la chaleur, la confiance, l’abandon des façades.

D’avoir laissé les marrées de mes humeurs, mes tracas et mes préoccupations dicter, masquer combien je tenais vraiment à toi.  De les avoir laissé me faire croire en mon incapacité de te mériter, et de te suffire, jusqu’à m’assourdir à ton battement, à me laisser emporter par l‘anesthésie ivre qui me marqua le temps de ton passage.

De de cette mort lente. Des poisons administrés. De ne t’avoir rencontré qu’à travers cette désarticulation sanguine que j’ai dû chasser, à plus d’une centaines de coups, au fond de ma toilette.

Ce rêve, où Allan venait t‘accueillir, toi sous la forme d’un têtard qui avait du mal à se transformer, la veille même ou j’apprenais que tu existais, explique bien cette contradiction que je t’ai infligé. Cette confusion dont tu as été l’héritier le long de ces deux mois de vie.

Tu es né, mort. Accueilli parmi les disparus avant même d’être détecté par les vivants.

C’est mieux ainsi mon cheri.

Qu’allais-je faire de toi à part t’aimer?

Qu’est-ce que j’aurais pu t’offrir dans un tel enfer? Des soucis d’argent, de maladie, d’insécurité? Un environnement bondé d’hypocrites, de trahison et de haine.

Que t’aurais promis la vie ? Où aurais-je mis ton berceau?

Même mon utérus n’a su t’inviter, te mettre à l’aise comme tu le méritais, te cajoler, te protéger, te convaincre le temps d’un stage.

Pardon de n’avoir pas su te recevoir, toi, le plus beau cadeau.

Bon voyage mon chéri

La rédaction de Ayibopost

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